L'Algérie ne veut pas que la Ligue arabe, dont le siège est au Caire, devienne « une annexe » du ministère des Affaires étrangères égyptien. « Nous l'avons clairement dit. Beaucoup de pays arabes nous soutiennent dans cette démarche. Il se trouve malheureusement que certains ne le disent pas », a déclaré, hier, Abdelaziz Belkhadem, ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères, lors de l'émission « Questions de l'heure » de la Chaîne III de la radio nationale. « Nous ne faisons pas dans la demi-mesure. Nous avons proposé un schéma de réformes qui ne concerne pas seulement l'organigramme et les institutions de la Ligue arabe. Nous avons proposé une refonte totale de la charte de la ligue », a-t-il précisé. Cette charte, qui date de 1945, a été une initiative britannique. M. Belkhadem a annoncé la finalisation d'un avant-projet de charte. « Nous ne voulons plus subir le diktat de l'unanimité. Nous voulons qu'on maintienne le consensus uniquement pour les questions qui concernent les institutions. Les décisions doivent être prises à la majorité qualifiée pour éviter l'immobilisme de la ligue », a-t-il indiqué. La position algérienne a suscité une levée de boucliers en Egypte. « J'ai fait l'objet d'une campagne de presse en Egypte. Parce que j'ai dit que la démocratie exigeait que l'on aille vers une élection (...). L'important est que l'on fasse prévaloir la volonté des pays membres », a-t-il souligné. Rappelant les propositions faites par le Yémen, l'Egypte, la Libye et l'Arabie Saoudite, Belkhadem a estimé que la ligue doit être « totalement démocratisée ». Il a annoncé la tenue du sommet des chefs d'Etat arabe le 22 mars à Alger qui sera précédé, le 9 janvier, par la réunion des ministres des Affaires étrangères. Le désaccord exprimé au Caire va-t-il se répercuter sur le sommet d'Alger ? « Nous avons l'habitude de parler de ces problèmes », a-t-il répondu, reconnaissant que cela ne se faisait pas avec la même intensité. M. Belkhadem ne trouve pas de lien entre les réformes proposées de la Ligue arabe et le projet américain du Grand Moyen-Orient. « En Algérie, nous avons commencé nos réformes dans les années 1980. Nous n'avons pas attendu l'initiative du Grand Moyen-Orient dont on parle beaucoup », a-t-il précisé. L'Algérie - qui a participé au forum sur l'avenir (11 décembre 2004) à Rabat - est favorable à l'initiative de réformes proposée par les Etats-Unis et le G8. Sauf qu'il y a une réserve. « Les réformes ne suivent pas un modèle unique. Elles doivent se faire selon les rythmes et les spécificités de chaque pays. On ne veut pas qu'on nous mette sur la même ligne. Dans certains pays, la femme n'a même pas le droit de conduire une voiture », a déclaré M. Belkhadem, qui a annoncé que l'Algérie est invitée au prochain sommet du G8 prévu en Grande-Bretagne. « Le Maghreb a fait preuve d'une cohésion qui lui permet d'être une locomotive dans le monde arabe. Plus nous serons unis, plus nous entraînons les autres dans la prise de décision », a appuyé le ministre. Il n'a pas écarté la tenue prochainement d'un sommet des chefs d'Etat de l'Union du Maghreb arabe (UMA). L'édification de cet ensemble est, selon lui, un choix stratégique. « Le point de vue algérien est écouté. Jamais par le passé l'UMA n'a tenu autant de réunions au niveau ministériel que depuis que l'Algérie la préside. On a mis en place un système qui revitalise l'UMA. On a proposé aux pays ayant un accord d'association avec l'Union européenne (UE) de former une entité économique.Cela ne veut pas dire l'exclusion de la Mauritanie ou de la Libye », a précisé le chef de la diplomatie algérienne. Revenant sur les relations algéro-marocaines, M. Belkhadem a annoncé la venue prochaine du Premier ministre Driss Jettou et n'a pas exclu un sommet Bouteflika-Mohammed VI. L'Algérie va-t-elle ouvrir ses frontières avec son voisin de l'Ouest ? « La suppression du visa est une décision unilatérale du Maroc. Nous n'avons pas été consultés en 1994 à la suite des événements de Marrakech. L'Algérie avait été accusée à tort dans cette affaire. La levée du visa, décidée aussi d'une manière unilatérale, n'a pas comme corollaire l'ouverture des frontières », a indiqué le ministre. Il a relevé qu'Alger veut aller « plus loin » dans sa coopération avec Rabat, « une coopération franche, pleine, sereine et confiante ». « Nous n'avons aucune réserve, du plan militaire au plan sécuritaire, diplomatique, commercial et politique. Rien ne nous sépare, sauf une divergence d'approche sur le problème du Sahara-Occidental », a souligné M. Belkhadem. Il a rappelé que deux commissions mixtes, consulaire et économique, planchent actuellement sur plusieurs dossiers. « Le Maroc et l'Algérie sont deux grands pays qui ont les mêmes potentialités et qui sont dans un état de complémentarité où la connexion des voies routières, des chemins de fer et du réseau électrique est possible. La connexion gazière est faite déjà », a-t-il appuyé. L'Algérie, selon lui, a retardé à dessein les procédures de ratification de l'accord d'association avec l'UE. « Lorsque j'ai déclaré à Dublin que l'Algérie n'était pas pressée pour ratifier cet accord, cela a permis de précipiter la ratification par 14 pays européens, les nouveaux adhérents en sont exempts. Il ne reste que les Pays-Bas où les procédures sont engagées », a-t-il indiqué. Le projet de ratification, discuté fin décembre 2004 en Conseil des ministres, sera, selon lui, bientôt proposé au Parlement. « Nous avons exploité le temps qui nous était imparti pour la mise à niveau économique. On aurait dû achever ce travail. Après la ratification, il existe un délai qui permettra d'arriver à un désarmement tarifaire qui ne se fera pas illico presto », a déclaré M. Belkhadem. Le chef de la diplomatie algérienne a reconnu les faiblesses du processus de Barcelone (dialogue euro-méditerranéen) qui bat de l'aile depuis des années. « Nous y croyons. Ce processus n'est pas exempt de critiques. Il est généreux dans ses objectifs, mais modeste dans ses résultats. Il y a le volet politique qui n'a pas permis d'aller de l'avant, notamment la question du Moyen-Orient. Il y a le volet financier. L'Algérie a critiqué le système des Meda. C'est une machine lourde pour le financement des projets », a-t-il dit. Alger a proposé, à la faveur de la rencontre Euromed de Marseille, des modifications pour ce financement. M. Belkhadem a annoncé que l'Algérie est en phase d'établir des accords d'entre-aide judiciaire avec, entre autres, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Suisse pour faciliter l'extradition de personnes soupçonnées de terrorisme.