Beaucoup de citoyens, dont le pouvoir d'achat est déjà érodé par l'envolée des prix des produits de large consommation, ne pouvaient s'offrir, cette année, le mouton de l'Aïd. L'événement est, certes, synonyme de grandes dépenses, mais les élans de solidarité, à Blida, comme à l'accoutumée, n'ont pas déçu. Si les mutations socioéconomiques ont quelque peu émoussé certains aspects du vécu de l'Algérien, certaines occasions ne manquent pas de retaper dans les faits nos réflexes d'antan. A Blida, à l'instar des autres wilayas du pays, la fête de l'Aïd El Adha a été une occasion propice pour accomplir des actes de bienfaisance. Les exemples sont légion. Des dons et des dons...Il s'agit, selon la tradition, de distribuer une partie de la viande du mouton du sacrifice à ceux qui n'ont pas été en mesure de célébrer le rite de Sidna Ibrahim. Les dons des parts de viande se font généralement le deuxième jour ; au premier, on s'intéresse beaucoup plus aux abats. Contrairement aux autres jours durant lesquels la cuisine algérienne est pratiquement végétarienne, celle-ci se dope, à l'occasion, d'une bonne dose de protéines animales. Les disparités disparaissent : toutes les tables se ressemblent, du moins en cette occasion de mansuétude. Là où vous passez, ça donne à humer à votre nez. Voulant apprécier la portée de ces gestes de solidarité en ces jours de miséricorde, nous nous sommes permis quelques curiosités. La plupart des bienfaiteurs préfèrent garder le secret sur ces actes hautement symboliques. Ceux qui ont voulu s'exprimer nous ont affirmé avoir offert entre le tiers du mouton et pour les plus généreux la part cédée peut aller jusqu'aux deux tiers. D'autres, plus aisés, préfèrent carrément s'acheter un deuxième mouton pour l'offrir, un jour ou deux avant la pratique du rite. Dans les petites bourgades, dans les grandes cités aux immeubles collectifs ou dans les quartiers huppés, l'ambiance était frappée du même sceau : on s'embrasse, on s'échange des accolades ; l'heure est aux réconciliations. Les seuils des maisons, repeintes de couleurs éclatantes, le parterre arrosé d'eau, la famille blidéenne accueille ses hôtes qui affluent en vagues successives, en leur proposant, en plus des abats frits ou rôtis, toutes sortes de sucreries traditionnelles. Faut-il s'égayer devant cette fresque pittoresque ? Ces portes grandes ouvertes comme pour rappeler une certaine sérénité du bon vieux temps. Partout, ça grouille d'enfants en grappes colorées et des familles qui se rendent des visites mutuelles, la main portant un grand couffin, un sachet volumineux, une assiette couverte d'un tissu ou tout autre support servant à dissimuler la part de viande offerte à un proche, à un voisin… Il n'y a pas si longtemps, ces actes de générosité n'attendaient guère le temps d'une révolution lunaire pour se voir s'exprimer ainsi. « Au-delà d'une fête religieuse, d'un mariage, d'une circoncision ou d'un pèlerinage, ouvrir une boutique de commerce constituait autant une occasion parmi tant d'autres pour prodiguer gracieusement une bonne zerda ou un bonus de service gratis à ouled el houma », se souvient, El Mohri, un sexagénaire à l'allure alerte. L'exemple du coiffeur qui offre gratuitement ses services la première journée qui marque le lancement de son activité, le cafetier, le boulanger, le propriétaire d'une douche… constituent autant de traditions qui, depuis quelques décennies, se réduisent comme une peau de chagrin dans cette ville de la Mitidja. Heureusement que l'Aïd est toujours là…