C'est vers 21h, lundi 3 janvier 2005, que le verdict relatif à l'affaire El Haïcha est tombé. Les peines prononcées (trois acquittements et trois condamnations à 8, 6 et 3 ans) n'ont pas été, selon les victimes, à la hauteur des crimes commis à leur encontre en cette nuit du 13 juillet 2001. L'espoir de voir ce procès en appel les réhabiliter à la vue du nombre de personnes venues les soutenir s'est vite transformé en désespoir et en sentiment d'abandon à la lecture des condamnations et des acquittements. Fatiha n'a pas pu retenir sa colère. Elle criait de toutes ses forces dans le hall de la cour : « Je ne veux pas de votre argent. Je veux retrouver mon honneur et ma dignité perdus. Je refuse ce verdict de la honte. Je veux une justice. Je veux que le journal qui nous a présentées comme des prostituées répare son erreur... » Sa douleur est tellement forte qu'elle a fait pleurer toute l'assistance, y compris les policiers et les gendarmes. Comme les deux autres victimes, Rahmouna et Nadia, Fatiha avait très peur de cette matinée. Elle n'a pas dormi de toute la nuit. Elle ne cessait de revenir sur les tragiques moments qu'elle a vécus. Son état psychologique est sérieusement affecté. D'ailleurs, juste avant l'ouverture du procès, à la vue des accusés, elle a eu un malaise, ce qui a nécessité son transfert à l'hôpital. Mais à la vue des nombreuses personnes représentant plusieurs associations, ainsi que du bâtonnier de Biskra dépêché par la Ligue algérienne des droits de l'homme dirigée par Boudjemâa Ghechir (qui s'est joint à la défense) venus la soutenir, elle a repris son courage pour affronter ses bourreaux. L'annonce des premières condamnations allant de 20 ans à 5 ans de prison ferme à l'encontre des 33 accusés en fuite a provoqué un soulagement dans la salle. Ali Rouim, un des six accusés assis dans le box, a été le premier à être appelé à la barre. Il avait été condamné à un an de prison ferme par le tribunal de Ouargla pour attroupement. Devant la cour, il comparaît pour 8 lourdes charges : atteinte à la pudeur, coups et blessures volontaires, menaces avec armes blanches, violation de domicile, incitation à attroupement, attroupement, sévices sexuels et tortures. Des accusations qu'il a rejetées en bloc devant la cour, en dépit du fait que trois victimes l'ont reconnu et identifié devant la police et le juge d'instruction. « Pourquoi ces femmes ne viennent-elles pas témoigner devant la cour ? », ne cessait-il de répéter. Son frère présent dans la salle lève la main et demande la parole. Après autorisation du président, il s'est approché de la barre pour lancer à l'adresse de la cour : « C'est mon frère qui est la victime de ce complot. » Des propos qui ont poussé le magistrat à lui demander de regagner sa place. Appelé à la barre, Abdelaziz Diaf a raconté qu'il n'avait rien entendu ou vu. Il n'a fait que sortir de chez lui à la recherche de son petit frère. « Pourtant, il y a devant moi sept procès-verbaux de déclarations de victimes qui affirment t'avoir reconnu parmi les auteurs », lui a rappelé le magistrat. « C'est un mensonge. Je suis innocent », a-t-il répondu. Confrontation Fatiha n'est pas d'accord. Elle a levé la main et demandé la parole. « Ce n'est pas vrai. Il était parmi ceux qui m'ont torturée. Il a été arrêté après parce que le jour même, il était en fuite. » Une confrontation qui a laissé l'accusé sans voix. « Regarde-la bien. Est-ce que tu la connais ? », lui a demandé le magistrat. L'accusé répond ne l'avoir ni connue, ni vue, ni approchée. « Pourtant, elle, après ce qu'elle a vécu, ne pourra jamais oublier le visage de ses agresseurs », lui a rétorqué le président. Il lui a exhibé des photos des maisons brûlées et des traces des sévices subis par les victimes prises quelque temps après le drame, comme pour lui rafraîchir la mémoire en lui lançant : « Un séisme a touché ton quartier et toi tu n'as rien vu et rien entendu. Est-il possible de croire cela ? » L'accusé a persisté à nier les faits. En première instance, il avait écopé d'une peine de trois ans de prison ferme. Cette même logique de rejet de toutes les accusations a été adoptée par Daoui Brahim, reconnu par 13 victimes comme étant l'auteur des agressions physiques et sexuelles. Il avait été condamné à trois ans de prison ferme à Ouargla, avant de comparaître devant la cour. Il n'a pas arrêté de jurer qu'il était innocent et qu'il n'a bien sûr rien vu ou entendu, lui qui habite à une centaine de mètres des lieux du drame. Tout comme Daoui, Hathat Hamza, un agent d'hygiène, acquitté en première instance, n'a également rien vu, lui qui était à peine à quelques dizaines de mètres du quartier El Haïcha. Néanmoins, il a reconnu avoir entendu parler d'« une marche pour nettoyer le quartier des maisons de prostitution. Mais je n'y ai pas participé ». Il s'est rétracté quelques minutes plus tard, en disant que cette information, il l'avait lue dans les journaux. Pour sa part, Hedroug Mustapha, acquitté lui aussi par le tribunal de Ouargla, s'est interrogé sur sa présence devant la cour parce qu'il n'a, comme les autres, rien vu et entendu. D'ailleurs, a-t-il dit, « j'ai un problème avec mes yeux. Dès que la nuit tombe, ma vue baisse sensiblement ». Il a même eu du mal à reconnaître une des victimes présentes dans la salle et qui l'a accusé d'être un de ses agresseurs. Benabassi Abdelhafid, condamné à un an de prison ferme en première instance, a plaidé lui aussi l'innocence. Le président lui a alors demandé de regarder Rahmouna et Nadia, celles parmi plusieurs autres qui l'ont confondu devant la police et le juge d'instruction. « Je ne les connais pas », lui a-t-il répondu. Ses victimes son choquées et n'arrivent pas à retenir leurs larmes. « D'autres femmes t'ont également identifié comme étant leur agresseur... », lui a rappelé le magistrat. L'accusé est resté sans voix. Il n'a cessé d'essuyer la sueur sur son front et ses joues. « J'ai entendu que cette faouda (anarchie) était en fait destinée à nettoyer le quartier des maisons de prostitution », a-t-il fini par avouer, tout en précisant qu'il n'a pas pris part à cette opération. « Connais-tu ce que sont les maisons de prostitution ? », l'a interrogé le président. « J'en ai connu à Ouargla, mais pas à Hassi Messaoud », a-t-il répondu d'un ton tout à fait serein, provoquant un rire ironique des membres de la cour. Après ces auditions sont venus les moments les plus durs de ce procès : les témoignages sur l'horreur que les trois victimes présentes à l'audience ont subie. Rahmouna, mère de trois enfants, n'a même pas pu décrire devant la cour les sévices qu'elle a subis. Néanmoins, Fatiha, tout en pointant du doigt deux accusés, a raconté avec force détail les atrocités qu'elle a endurées. « C'est pire qu'un viol. Ces hommes m'ont dénudée, torturée avec une bouteille en plastique brûlée qu'ils faisaient passer sur mon dos. Ils m'ont lacéré les seins avec un couteau et mes parties génitales avec leurs mains. Depuis, je n'ai plus de vie conjugale. J'ai fini par demander le divorce parce que la présence d'un homme me rappelle cet enfer. Je me sens toujours sale. Je vais devenir folle à cause de ce cauchemar. Pourquoi ? Qu'ai-je fait pour mériter cela ? Ils m'ont enterrée vivante, monsieur le président. Ces deux là ont brisé ma vie à tout jamais... » Des phrases qui ont fait pleurer toute l'assistance, y compris les membres du jury et le représentant du ministère public. D'ailleurs, ce dernier a axé son réquisitoire sur ces propos en déclarant que les « actes commis font honte à l'Algérie toute entière et nous renvoient à l'âge de pierre. Durant cette nuit noire du 13 juillet 2001, des femmes algériennes ont été terriblement violentées au nom de l'islam. Aucun musulman sur terre ne peut accepter ou tolérer de tels actes barbares. Pour cela, la justice demande le châtiment le plus sévère à la hauteur de cette sauvagerie et de cette cruauté. Le fait que les autres victimes ne soient pas là aujourd'hui n'enlève en rien à la culpabilité des accusés ». Le ministère public a donc requis contre ces derniers une peine de 15 années de prison ferme. Après les plaidoiries de la défense des accusés et de la partie civile qui a demandé une réparation de un million de dinars pour chaque victime, la cour s'est retirée pour délibérer pendant près de trois heures. Rouim, Hathat et Hedroug ont été acquittés alors que Daoui, Benabassi et Benhamza ont été condamnés à des peines de 8, 6 et 3 ans de prison ferme. Ces derniers ont été également condamnés à verser à chacune des victimes une indemnisation de 100 000 DA. Ni la cour ni la défense de la partie civile n'ont pris en compte le fait que l'absence des 32 autres victimes ne peut changer la culpabilité des accusés qu'elles ont identifiés et reconnus devant la police et le juge d'instruction et qui ont été acquittés lors de ce procès. Les trois victimes présentes ont quand même décidé de faire appel.