Remettons les pendules à l'heure ! Avant d'être « l'affaire » d'un diplomate (mal)traité par la justice indépendante d'un pays démocratique, le scandale est d'abord celui d'un avocat, maître Ali Mecili, opposant au régime, tué le 7 avril 1987 de deux balles dans la tête par un tueur à gages. Suspect numéro 1 : Abdelmalek Amellou avait été arrêté en possession d'un ordre de mission signé par son officier traitant, Rachid Hassani, capitaine de la Sécurité militaire. Malgré des éléments concordants de culpabilité qui justifiaient sa mise en détention provisoire, l'assassin présumé avait été expulsé vers Alger, en « urgence absolue », par Charles Pasqua, ministre français de l'Intérieur, la veille de sa comparution devant un juge d'instruction. Le même jour, les autorités françaises rassuraient Abdelhamid Mehri, ambassadeur à Paris, que « l'Algérie n'avait rien à voir dans cette affaire » ! Une absolution extrajudiciaire que l'ancien secrétaire général du FLN se chargera curieusement de répercuter, en septembre 2008, à l'occasion d'une conférence sur le GPRA, au siège national… du FFS ! Pour conjurer la fatalité d'un crime sans coupable, la famille et les compagnons de Me Mecili s'accrochent au moindre indice pour faire éclater la vérité. Parmi les démocrates français solidaires de ce combat éthique, l'historien Pierre Vidal-Naquet, ce fidèle ami de l'Algérie et des Algériens qui avait dénoncé la torture durant la guerre de Libération nationale, était en première ligne. Après deux décennies d'une procédure plombée par la raison d'Etat, la justice tente de reprendre ses droits pour rattraper les criminels. Malgré des pressions multiformes, le juge d'instruction résiste. Fait aussi étrange que rare, le parquet de Paris, représentant du pouvoir politique français, se retrouve aux côtés des avocats de Mohamed Ziane Hasseni, constitués par le pouvoir algérien, face à la partie civile. Comme pour refermer la boîte de Pandore qui risquait de révéler des complicités criminelles au plus haut niveau des deux Etats, ce duo de choc demandera à l'unisson l'annulation de la mise en examen du suspect et la levée de son contrôle judiciaire. Sans anticiper de l'issue de la procédure et du verdict d'un éventuel procès, est-il nécessaire de rappeler ici un principe intangible du droit pénal : la présomption d'innocence jusqu'à preuve du contraire établie par les juridictions compétentes. Il appartient donc à la justice et à elle seule de statuer sur les charges qui pèsent sur M. Hasseni et de rendre son verdict en toute indépendance. En attendant, le suspect doit continuer à bénéficier de toutes les garanties juridiques d'une procédure irréprochable. Pour brouiller les cartes, voilà que les manipulateurs de l'ombre agitent leurs relais, actionnent leurs porte-voix, ventilent de l'écume et tentent de faire barrage à la manifestation de la vérité. Les vociférations nationalistes qui brandissent une nouvelle fois la raison d'Etat visent à faire déraper le dossier vers une crise politique pour torpiller la justice. Le ministre de la Solidarité, qui a menacé la France de représailles économiques, n'a réussi, en fin de compte, qu'à discréditer le gouvernement algérien et jeter le doute sur l'éventuelle innocence de l'inculpé. Pis encore : en engageant avec une désarmante désinvolture la solidarité de l'Etat avec M. Hasseni « dhalimen aou madhloumen (qu'il soit coupable ou victime) », il convoque cette « fraternité » démagogique des courtisans serviles pour tenter de couvrir un crime impardonnable, seule certitude dans ce dossier à tiroirs. Peut-il souffrir que des citoyens de ce pays, attachés au respect du droit et à la primauté de l'éthique, relaient les cris de la victime qui, du fond de sa tombe, réclame justice depuis deux décennies ? A-t-il « oublié », dans le même registre « fraternel », que Me Mecili, ancien officier de l'ALN, était aussi notre « frère » ? Que son engagement dans l'opposition démocratique — qui pouvait par ailleurs déplaire aux apparatchiks de l'ex-parti unique et aux barbouzes de la Sécurité militaire — n'était pas un délit suffisant pour justifier son exécution par un tueur à gages ? L'affaire est trop grave pour être traitée avec autant d'outrecuidance, de légèreté et de mépris souverain des Algériens. Il s'agit, faut-il encore le rappeler, de l'élimination physique, froidement planifiée, d'un homme. Un patriote de conviction qui avait préféré les affres d'une opposition risquée au confort frivole d'une carrière lucrative dans les appareils du régime. Le mobile du crime est incontestablement politique, avec des ramifications et des complicités au plus haut niveau du pouvoir. Il n'en demeure pas moins qu'il reste un crime abominable qu'aucune raison d'Etat ne peut absoudre sans commettre un intolérable outrage à la justice et à la morale. Malgré les usages diplomatiques, les fonctions du suspect ne sauraient servir de tenue de camouflage pour le soustraire à la justice au nom de cette intolérable impunité qui protège les criminels VIP. Comme les assassins de Krim Belkacem, de Mohamed Khider et ceux de tant d'autres patriotes, victimes de règlements de comptes claniques. Si M. Hasseni « n'est pas celui qu'on pense qu'il est », selon la pitoyable formule du ministre des Affaires étrangères, il reste une voie royale pour le prouver : arrêter son mystérieux homonyme qui sert de paravent à l'argumentaire officiel, mais surtout Abdelmalek Amellou, l'exécuteur présumé du « contrat » et les livrer à la justice. Au-delà des indécents cris d'orfraie patriotards et des interférences claniques, un procès régulier et respectueux des droits de toutes les parties reste la seule issue juridiquement et moralement acceptable. Utopie ? Sans doute. Mais tout le reste n'est que coups fourrés et sordides manipulations. L'auteur est journaliste