En cette période estivale, le marché estinondé de boissons de toutes sortes. On en trouve de différents volumes et une multitude de goûts. Mais la qualité n'est pas toujours au rendez-vous pour ces produits fortement prisés par les Algériens. Eaux minérales, jus de fruits, eaux fruitées, boissons carbonatées et boissons lactées de toutes marques garnissent les étals des grandes surfaces et de ce qui reste des épiciers de quartiers, des marchés de proximité ouverts spécialement pour le Ramadhan dernier, mais aussi les trottoirs et voies publiques squattés. L'occasion pour les producteurs occasionnels d'essayer de tirer profit de la fièvre acheteuse qui s'empare des consommateurs, dont bon nombre sont loin de se soucier de la qualité. Il faut dire que la dégradation du pouvoir d'achat des Algériens pousse la majorité d'entre eux à se ruer vers des boissons proposées à bas prix, mais dont la qualité laisse à désirer. L'informel bat son plein. La publicité aussi. Concurrence déloyale En somme, les producteurs de boissons se livrent une rude bataille pour s'imposer sur un marché de plus en plus exposé aux pratiques illégales et à la menace de l'informel, comme c'était le cas pendant le mois de Ramadhan avec la multiplication des points de production et de vente de «cherbet», une boisson censée être à base de jus de citron, mais dont les intrants sont souvent d'origine douteuse. Sinon, comment expliquer les prix appliqués pour ce «jus» (entre 30 et 60 dinars) sachant que le citron est loin d'être abordable ? Ce qui s'est passé à Oran avec la découverte de traces d'urine dans cette boisson et qui a causé l'intoxication de 17 personnes montre l'ampleur du phénomène et tout son impact sur l'économie et la santé publique. D'ailleurs, selon la Fédération algérienne des consommateurs, 10% des producteurs de boissons gazeuses et de jus de fruits activent clandestinement et ne possèdent pas de registre de commerce. La course au gain facile ouvre ainsi la voie à tous les dépassements dans une filière qui enregistre durant cette période de l'année une augmentation de la consommation des ménages de l'ordre de 10 à 15%, selon l'Association des producteurs algériens de boissons (APAB). Donc, d'un côté, les acteurs de l'informel tentent de s'immiscer dans un marché qu'ils jugent juteux et, de l'autre, les producteurs légaux cherchent à se maintenir en l'absence de conditions propices à une concurrence loyale. Il s'agit en fait pour les différents intervenants de cette filière de résister aux aléas du terrain. La bataille s'annonce difficile pour les prochaines années, surtout avec les mesures portant la restriction des importations qui ont déjà porté un coup dur à la filière connue justement pour sa forte dépendance des importations des équipements jusqu'aux intrants, entre autres les arômes. L'interdiction provisoire d'importation des arômes, levée tout récemment, a suscité moult inquiétudes au sein de la filière. L'APAB ne manque pas de souligner d'ailleurs que certaines entreprises de production de boissons ont connu durant cette phase d'interdiction jusqu'au réapprovisionnement un ralentissement de la cadence du travail. Potentiel Après des années d'or à la faveur de l'encouragement de l'investissement dans ce créneau et le changement des habitudes de consommation des Algériens conjugués à l'amélioration du niveau de vie, les difficultés commencent réellement à se faire sentir, même si la filière «n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière», comme nous le dira l'expert en industrie agro-alimentaire, Mohamed Amokrane Nouad. Selon ce dernier, la filière va encore se diversifier en laissant au passage les moins performants. «Tout est importé. Si on bloque tout, seuls les plus costauds résisteront et les autres vont disparaître», prévient notre interlocuteur avant de s'interroger : «Pourquoi garder les bras cassés ?» Un autre spécialiste du secteur abonde dans le même sens : «La filière a encore un potentiel important en termes de création de marques, du lancement et innovation de produits, relèvera-t-il, mais les enjeux principaux pour l'instant restent la maîtrise des extrémités de la filière (intrants et commercialisation), la maîtrise de la qualité, les adaptations réglementaires et le développement marketing». Des points où beaucoup reste à faire, surtout pour les nouveaux arrivés dans cette industrie considérée parmi les plus dynamiques dans l'agroalimentaire et contribuant à hauteur de 7% dans ce segment de l'industrie nationale, avec un volume de 4,5 milliards de litres/an hors lait conditionné pour un chiffre d'affaires de 260 milliards de dinars contre 45 milliards de dinars en 2008. Et ce, pour une production estimée à près de 20 millions d'hectolitres et un nombre d'emplois directs de 20 000 contre 60 000 indirects, selon l'APAB. Crise Des emplois sur lesquels pèsent de lourdes menaces à la lumière des chamboulements qui s'annoncent dans cette filière selon l'analyse de Slim Othmani, PDG de NCA-Rouiba. «Le secteur des boissons vit une très grave crise liée à la surproduction. Nous avons des surcapacités exceptionnelles installées», constatera-t-il rappelant que cette situation est le résultat des mesures d'encouragement à l'investissement dans cette filière, comme c'est le cas dans bien d'autres, à l'image des minoteries, les cimenteries, les biscuiteries et les raffineries de sucre. «Ces surcapacités ont entraîné beaucoup d'acteurs dans l'univers de l'informel avec des pratiques qui font que la concurrence est déloyale et que la qualité se dégrade», ajoutera-t-il pour appuyer son constat. «Mais personne ne se plaint», regrette M. Othmani pour qui les perspectives s'annoncent difficiles dans cette filière. «On pense que c'est un secteur qui va vivre de grands chamboulements dans les trois prochaines années au maximum», insiste encore le PDG de NCA-Rouiba. De quelle manière ? «Il y aura beaucoup de consolidations et beaucoup de faillites, mais aussi des discussions avec les pouvoirs publics pour voir comment procéder dans ce secteur qui emploie plus de 40 000 personnes en emplois directs.» En effet, pour Slim Othmani, c'est le problème majeur qui va se poser avec les éventuels licenciements et mises au chômage par les entreprises qui risquent de faire faillite au moment où d'autres continuent d'arriver dans cette filière. Certes, les investisseurs n'ont plus droit aujourd'hui aux avantages de l'Agence nationale de développement de l'investissement (ANDI), mais ceux qui ont déjà déposé leurs dossiers en 2016 et 2017 par exemple sont en train de travailler pour lancer leurs projets dans ce cadre. «Ce qui accentuera la crise», prévient M. Othmani. Quelle solution alors face à une telle situation. «Il faut qu'il y ait des fusions pour représenter une réelle force», proposera-t-il. Une solution qui est déjà en phase de réflexion dans une filière où l'exportation est loin d'être facile.