L'affaire des 701 kilos de cocaïne saisis au port d'Oran et ses multiples implications fait sa première victime. Et pas des moindres. Spectaculaire rebondissement dans ce qu'il convient d'appeler désormais le «cocainegate». Le général Abdelghani Hamel est éjecté de son siège. Quelques heures seulement après avoir prononcé une déclaration pour le moins troublante, le patron de la police a été limogé. Inattendu et dans l'urgence. C'est en fin de journée que la présidence de la République a rendu public un décret mettant fin aux fonctions de Abdelghani Hamel en tant que Directeur général de la Sûreté nationale. Il a été remplacé séance tenante par Mustapha El Habiri, directeur général de la Protection civile. Ainsi, l'affaire des 701 kilos de cocaïne saisis au port d'Oran et ses multiples implications fait sa première victime. Et pas des moindres. Un personnage central à la fois au sein de la hiérarchie sécuritaire et dans le dispositif du pouvoir politique, réputé proche de la Présidence et surtout à qui on prête — à tort ou à raison — une ambition présidentielle. C'est donc un homme-clé qui tombe. La raison directe de son «exécution» est directement liée aux déclarations qu'il a faites hier matin à Oran où il était en déplacement. Le désormais ex-DGSN a tenu des propos aussi ahurissants qu'inquiétants. Des propos qui jettent le trouble Commentant la manière avec laquelle est gérée l'affaire de la cocaïne, le général Abdelghani Hamel a abruptement lâché des accusations lourdes de sens et de conséquences. La mine défaite et sur un ton défensif, M. Hamel assure avoir «confiance en notre justice, en sa compétence et son intégrité, cependant dans l'enquête préliminaire, je le dis avec franchise, il y a eu des dépassements et des ingérences. Fort heureusement les juges étaient vigilants». Des propos qui jettent le trouble, qui inquiètent. Ce faisant, il brise la sacro-sainte obligation de réserve imposée aux hauts fonctionnaires. Visiblement très embarrassé par la révélation de l'arrestation de son chauffeur personnel dans la série d'interpellations liées à «l'affaire de la cocaïne», Abdelghani Hamel ne pouvait plus se retenir. Il poursuit ses déclarations en affirmant que «rien ne pourra arrêter la police, déterminée à poursuivre la lutte contre la corruption. Et je dis que celui qui veut lutter contre la corruption doit être propre. Même si l'institution de la police n'est pas concernée par la gestion de l'affaire (de cocaïne), nous détenons des dossiers que nous allons remettre à la justice» ! La phrase est lâchée. Une lourde accusation doublée de menaces. Abdelghani Hamel n'emploie plus un «message codé» comme cela se fait dans l'interminable «guerre larvée» dans le sérail, mais sort «la grosse artillerie» à visage découvert. Savait-il que l'étau se resserrait autour de lui ? Sentait-il le piège se renfermer sur lui ? De toute évidence, il se trouve au cœur de la tempête. Mais, en agissant de la sorte, le patron de la police a brûlé ses propres vaisseaux. Dans la journée, les services de police ont tenté de rattraper les choses. Plusieurs chaînes de télévison ont été «priées» de ne pas diffuser les déclarations du DGSN. Rien à sauver, le coup était déjà parti, faisant l'effet d'une bombe à fragmentation. Affaire d'état Mais la grenade explose entre ses mains et son effet est retentissant. Les déclarations de Abdelghani Hamel, immédiatement suivies de son limogeage par la présidence de la République viennent donner à l'affaire de la cocaïne la dimension d'une affaire d'Etat. C'est un acte dans un feuilleton qui n'est qu'à ses débuts et qui autorise des lectures peu rassurantes. D'abord, il réexpose l'Algérie au plan international car l'importance des quantités saisies place le pays sous les projecteurs des instances internationales luttant contre le narcotrafic. Les pendants de l'affaire liés au blanchiment d'argent rajoutent une autre dimension qui fait peser de lourds soupçons de délinquance financière sur les institutions du pays. Tout cela intervient dans un climat politique national délétère et incertain. Les observateurs ne peuvent s'empêcher de faire le lien avec l'échéance présidentielle de 2019 dont les contours tardent à prendre forme. Avec ces événements, les lectures qui font état de luttes souterraines dans le sérail, dans la perspective du rendez-vous électoral, gagnent en crédibilité. Le désormais ex-DGSN a été souvent mis en avant pour peser dans l'équilibre des forces en présence dans le système du pouvoir. Certains milieux avaient même fait sa promotion comme potentiel candidat à la magistrature suprême. Lui-même avait fini par se «prêter au jeu» en se donnant des allures de présidentiable. C'est dire si son éviction brutale ne procède pas d'un probable repositionnement annonciateur d'une redistribution des cartes. De toute évidence, avec cette chute, c'est un des principaux boucliers qui se brise. Il va sans dire que dans le contexte de la préparation de la présidentielle, certains protagonistes vont tirer profit de cette nouvelle situation. Au final, cet épisode renseigne sur la fragilité des «puissances acquises» au sein du régime.