La grande marche de vendredi à Alger, au-delà des commentaires orientés vers une prétendue tentative de récup islamiste, aura réussi à désorienter le pouvoir. Incapable de maîtriser faute de pouvoir mater ces milliers d'Algériens criant leur douleur face au déchaînement de haine à Ghaza, il a été contraint de laisser faire. Non pas parce qu'il a perdu l'usage de la matraque et du lacrymogène ou qu'il s'est converti au régime démocratique dans lequel la rue est le réceptacle naturel des luttes citoyennes. Ce vendredi, le grondement dans la capitale fut tel qu'il était politiquement suicidaire et moralement très mal vu de dresser le faux barrage de l'état d'urgence. De fait, le mur de la peur a volé en éclats. La capitale, que le pouvoir a décidé d'interdire aux « étrangers » de l'intérieur du pays depuis l'historique marche des achs un certain 14 juin 2001, a repris ce vendredi sa vocation de lieu de défoulement national. Les Algérois, privés eux aussi, de leur cité ont également repris possession des lieux qui ont façonné leur mental et abrité leurs luttes. Il serait naïf de croire que le pouvoir a concédé avec condescendance… ce droit de manifester pour s'associer à l'ire populaire. La tonalité du communiqué du ministère de l'Intérieur, rendu public juste après, vient signifier que la marche-événement n'était qu'un incident de parcours… répressif. Comprendre que la capitale sera désormais fermée à double tour. Les services de Zerhouni confirment ainsi que les milliers d'Algériens qui ont sillonné la capitale vendredi ont réussi un coup de force. Un coup de force contre cette loi de la force qui autorise le pouvoir à réprimer et à interdire toute manifestation, rassemblement et autres réunions des Algériens qui n'émargent pas dans le registre de la « ouhda thalitha ». Craignant sans doute que les manifestants, qu'ils soient des vétérinaires, des enseignants et même des chômeurs, ne fassent son procès dans la rue, le régime de Bouteflika fait preuve d'une fermeté préventive par voie légale. C'est d'ailleurs le seul domaine dans lequel il applique rigoureusement la règle de l'anticipation. Encore que les émeutes qui éclatent un peu partout dans le pays et qui sont souvent suivies de casse laissent penser que le dispositif n'est pas aussi étanche que cela. Abstraction faite de toutes les lectures policières et politiciennes sur cette marche inédite de soutien à nos frères de Ghaza, on retiendra cette ferveur populaire et ce sens retrouvé de la protesta des Algérois qui ont battu spontanément le pavé sous le regard des policiers de Zerhouni qui n'avaient pas trop le choix. Pour cause, il serait difficile d'imaginer les conséquences d'une répression musclée face une foule aussi colorée politiquement et différenciée socialement. Vendredi, c'est toute l'Algérie qui a marché avec ses islamistes, ses démocrates, ses radicaux de gauche comme de droite, ses harraga en puissance, ses universitaires, ses drogués et ses laissés-pour-compte. Tous ont réussi cette synergie pour dire stop au massacre à Ghaza, faute de pouvoir le faire pour dénoncer leur propre mal-être dans leur pays. Ces milliers de marcheurs nous ont réconciliés avec les mémorables années où la manif pacifique était un signe de vitalité. Ce vendredi, il ne manquait que les hommes politiques et les candidats à la présidentielle pour que le show soit total. Ce qui est naturel en ce sens que pour l'ENTV, ce premier événement citoyen (re)fondateur de la société civile tombe comme un cheveu sur la soupe. Moussa Touati, Rebaine et Hanoune savaient qu'ils n'avaient aucune chance d'êtres vus à la télé ou, pis encore, qu'ils risquaient de subir la matraque.