Ce qui fait l'exceptionnelle valeur de l'expérience poétique de Abderrahmane Djelfaoui(1), c'est que le merveilleux, l'indicible, l'incommunicable, après avoir été traqués dans les gouffres, les abîmes, les explosions, les feux d'artifice de l'hallucination, le sont maintenant dans les microphénomènes de la pensée nue : « Un soupçon d'oubli En onde d'éternité Aérienne dune Au cœur de la mémoire Que serions-nous Sans toi sinon l'écume d'ombre De nous-mêmes ? » Tout se passe comme si le champ de ses explorations s'élargissait toujours d'avantage, comme si son « voyage » se prolongeait sans cesse. Il est de ces poètes sindbadiens fascinés par les longs périples, tout en considérant que le plus long périple est, en fait, de circuler à l'intérieur de lui-même, au long de ses nerfs, au cœur de son cerveau : « Emporté en une foule d'êtres Je parcours nos solitudes De cœur En virgules Ecrire par la clarté Solaire des lunes A sang et nerfs Ce que ma langue Ne découd ni ne profère. » Chez Abderrahmane Djelfaoui, le langage poétique, loin d'exclure le sens de l'action, l'observation des choses réelles, le goût des images de la terre et précisément de la ville, s'en nourrit et s'en fortifie. Précisément la « ville » ? Le poète est né dans cette belle ville qu'est Alger ; et, Djelfaoui force Alger à dire ce qu'elle ne montre pas à tout le monde. Ce sont les « essences urbaines », les vols d'oiseaux furtifs, les stress tentaculaires, les vents prosternant des arbres déjà écrasés, le froid glaçant les amoureux ou encore les feuilles mortes en automne, tourbillonnant en spirales, molles chevelures effrangées, ou encore : « J'ai tant marché dans cette ville Mémoire tue Rues oublieuses oubliées Où s'arrête parfois Un de ces retraités Au goût de cuir Déchu. » « ô ville de cent lieux, ville noire »(2) est une saisissante rencontre entre la « vie observée » et les textes qui construisent l'observation. Abderrahmane Djelfaoui est un poète et un peintre du réel ; notre « vrai réel » ! 1)- Né à Alger en 1950, il est l'auteur de Bab El Oued, ville ouverte, Après sinistre déluge,... 2) Editions Espaces libres, Alger, 2008