Les cours du pétrole sont au-dessous des 50 dollars le baril. Pensez-vous que les prix vont encore chuter d'une façon plus spectaculaire ? Les analystes sont échaudés par les projections de l'Agence Internationale de l'Energie et de L'Energy Information Administration (agence du Département américain de l'énergie) de ces dernières années qui se sont avérées totalement infondées, car incapables d'anticiper les hausses et les baisses survenues, y compris dans le très court terme. Alors, très peu s'aventurent à « prophétiser » ce que sera le cours du pétrole, y compris à court terme. Les cours pour le moyen et le long termes sont encore plus difficiles à situer. Au mieux, certains font des suppositions sans trop s'engager, tellement les prix évoluent de façon irrationnelle. Ceci étant dit, dans un monde rationnel, on peut néanmoins supposer que deux facteurs seront décisifs dans la définition du prix : la tenue de l'économie mondiale qui va conditionner la demande et la discipline (ou l'indiscipline) de l'OPEP. Des analystes affirment encore que la décision de réduction de 2,2 millions de barils/jour prise à Oran en décembre dernier est arrivée en retard. Etes-vous de cet avis ? Non, pas du tout. L'effet réel des décisions est décalé dans le temps, malgré les réactions épidermiques du marché. Ceci dit, Il est vrai que 2,2 Mb/j est une quantité importante et son impact réel est tributaire surtout de la conjoncture économique. Le marasme actuel peut annuler l'effet, auquel cas l'OPEP peut suivre en s'ajustant en conséquence, quitte à aller vers de nouvelles réductions. Le conflit gazier entre la Russie et l'Ukraine a joué ces derniers jours pour une petite hausse des prix, selon les experts. Etes-vous partisan de cette lecture ? Je ne pense pas que le différend russo-ukrainien est de nature à influencer le prix du pétrole. Si vous regardez le prix du gaz et celui du pétrole sur la période 2003-2008, vous verrez que ledit couplage entre les deux est minime. Ceci dit, le gaz est un concurrent du charbon pour la production d'électricité et un concurrent du mazout pour le chauffage. Si le gaz venait à manquer sur le marché alors que les températures sont basses, cela aurait une incidence sur le prix du pétrole. Mais, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Quel pourrait être le prix du baril « raisonnable » pour les pays de l'OPEP ? Là est la question, ou plutôt la bonne question de l'heure. Ce n'est pas quand le pétrole est au plancher (moins de 36 $) ou au sommet (147 $) que la question devrait se poser. Ce que vous devez savoir, c'est qu'un bas prix, inférieur à 40 $, n'est en faveur de personne, y compris pour les pays consommateurs. Il va diminuer l'intérêt d'augmenter la prospection et les forages, va empêcher le développement de sources alternatives renouvelables, ainsi que celui du pétrole non conventionnel. Pour revenir à votre question sur le juste prix, les pays de l'OPEP ont souhaité en 2006 stabiliser le prix autour du cours symbolique de 50 dollars/baril. En 2007, ils ont souhaité une stabilisation autour de 70 dollars/baril. Aujourd'hui, ils parlent encore de 70 dollars/baril alors qu'entre-temps, le baril est passé par un pic de 147 dollars et un creux de 36 dollars. Ils se sont rendu compte que cette volatilité n'est en faveur de personne. Je pense que les pays consommateurs s'accommoderaient très bien du cours de 70 dollars/baril, pour peu que la stabilité soit au rendez-vous. Mais, pour cela, il faudrait probablement inventer de nouveaux mécanismes où les fonds spéculatifs à l'origine de la volatilité joueraient un rôle moindre sur le marché. En tout cas, la crise économique actuelle est l'occasion de tout mettre sur la table, car on s'est finalement rendu compte que la Bourse est totalement déconnectée de l'économie réelle. Les livraisons de gaz russe pour l'Europe via l'Ukraine sont interrompues. Selon vous, le différend russo-ukrainien est-il de couleur politique ou bien d'ordre commercial ? La chicane russo-ukrainienne dans le domaine du gaz ne date pas de cette année. Tel un leitmotiv, elle est revenue comme un rituel, après celle de 2005-2006. Il faut savoir que contrairement aux autres pays européens qui sont alimentés en gaz russe avec des accords à long terme, la question avec l'Ukraine se pose différemment. Les accords gaziers russo-ukrainiens se font sur une base annuelle et à un coût nettement inférieur à celui du marché. Ceci n'est pas une offrande, mais le résultat de négociations qui prennent en considération un certain nombre de facteurs dont le plus important est que 80% du gaz russe livré à l'Europe transitent par l'Ukraine. La Russie a fermé ses vannes de gaz pour l'Ukraine après l'échec des négociations entre Gazprom qui a proposé un prix de 250 $ pour 1000 m3 de gaz et Naftogaz prêt à payer 235 $ (contre 179,5 $ en 2008). Après l'échec des conciliabules, Gazprom fait dans la surenchère en exigeant désormais un tarif de 450 $ pour 1000 m3, supérieur à celui facturé aux autres pays européens (soit, 418 $ pour 1000 m3 en 2009). Aussi, suite à la baisse constatée dans l'approvisionnement de plusieurs pays (Bulgarie, Hongrie, Pologne, Roumanie, Tchéquie), Moscou accuse Kiev de siphonner dans le gaz destiné à ses autres clients. Ce qui mérite d'être souligné, c'est que cette fois-ci, l'Union européenne est en train d'adopter une politique équilibrée et n'a pas de parti-pris pour l'Ukraine. Probablement que les négociations avec les Russes pour un partenariat privilégié, avec en point de mire une sécurisation des approvisionnements énergétiques de l'UE, y sont pour quelque chose.Pour ce qui est de l'Ukraine, malgré sa volonté d'intégrer l'OTAN et son appui ostensible à la Géorgie, le contentieux qui l'oppose à la Russie est, somme toute, un litige commercial. L'Ukraine fait dans la surenchère pour obtenir des avantages et impliquer l'UE qu'elle veut rejoindre coûte que coûte, au risque de brûler des étapes.