Petits inédits maghrébins -Djib (entendre «pocket», poche), se veut une collection ayant pour but de mettre en évidence, avec l'appui des écrivains eux-mêmes ou de leurs héritiers, et dans le strict respect du droit d'auteur, sur la base d'un contrat spécifique et adapté, la richesse du patrimoine littéraire maghrébin. Donc, l'objectif premier est double : préservation et valorisation. Parce qu'il existe dans des structures officielles (fonds Sénac à la BNA, fonds radiophoniques) ou privées, d'importants fonds de manuscrits inédits ou rares (par exemple publiés dans de petites revues elles-mêmes disparues, impossibles à trouver). Parce qu'il est important que le lectorat algérien — mais pas que — puisse accéder, à travers une collection à petit coût aux grands auteurs de la littérature maghrébine de langue française, l'adjectif «maghrébin» étant d'ailleurs considéré dans un sens très large, faisant confiance au lecteur pour juger de qui est «maghrébin» et qui ne l'est pas (cas du n°4 qu'El Kalima publiera à l'automne, recueil de la demi-douzaine de conférences faites à Alger à l'hiver 1966-67 autour de «L'algérianité de Camus»), important aussi de faire connaître en Algérie les littératures voisines, trop méconnues — d'où le projet de publier Chraïbi, Laâdi Flici, Anna Greki et Mohamed Khada... Une autre forme de valorisation, ou de revalorisation, pour ainsi dire. Chaque texte, inédit, publié par El Kalima, est et sera toujours longuement, clairement et pédagogiquement présenté par un spécialiste reconnu. Hommage à Hamid Nacer Khodja Et parmi ces trésors que recèle la configuration littéraire maghrébine, figure un précieux inédit. Celui du grand poète (1926-1973), Jean Sénac. Bien que mort assassiné, il est ressuscité par les éditions El Kalima. Sans jeu de mots, lui redonnant la parole à titre posthume. L'ouvrage est intitulé L'Enfant fruitier, c'est le tout premier volume étrennant la série Petits inédits maghrébins -Djib-. Et dont la présentation est signée par Guy Dugas, professeur émérite des universités à l'université Montpellier III. Spécialiste du monde arabe, du Maghreb et de la Méditerranée, il dirige un important fonds littéraire, le Fonds Roblès-Patrimoine méditerranéen réunissant les archives d'Emmanuel Roblès, Armant Guibert, Jules Roy, Maurice Monnoyer... et aussi cette collection Petits inédits maghrébins-Djib. L'ouvrage inédit L'arbre fruitier se base sur le fonds d'archives de Jean Sénac, partagées entre la Bibliothèque nationale d'Alger et la Bibliothèque de l'Alcazar, à Marseille. Et sur lesquelles l'ancien étudiant et ami de Guy Dugas, Hamid Nacer Khodja, ayant attiré l'attention quant à sa précieuse et inédite teneur livresque. Ce point de départ a conduit à la découverte de nouvelles pépites (cas de L'Offense d'Abdelkader Hadj Hamou, qui est à ce jour le premier texte maghrébin de langue française, retrouvé parmi le service des manuscrits de la BNF, comme il a conduit à un certain nombre d'ayants droit d'écrivains trop oubliés (Rabah Belamri, Noureddine Aba…). «Cette édition de L'Enfant fruitier aurait dû être introduite par Hamid Nacer Khodja. C'est lui, en effet, à qui l'on doit la découverte de ce manuscrit inédit, parmi les documents relevant du fonds Guibert restés lors d'un déménagement entre les mains de Marc Faigre, conservateur des archives communales de la ville de Marseille où il organise en septembre 1983 les premières rencontres Jean Sénac, là même où je fis connaissance avec Hamid, lui le parfait connaisseur de Jean Sénac. Cette présentation lui revenait...», soulignera Guy Dugas le labeur du poète et écrivain Hamid Nacer Khodja (1953-2016). D'ailleurs, l'introduction lui est dédiée à titre posthume : Pour HNK. Le poète à la main verte L'Arbre fruitier de Jean Sénac est un recueil de poésies. Des textes poétiques consignés, composés, manuscrits ou dactylographiés, entre 1950 et 1952. Une période qualifiée de «créative». Un jeune poète habité par plein de promesses, qui quitte pour la première fois sa mère et l'Algérie, son pays natal. Bien que vivant dans une précarité extrême, en dépit d'une bourse de l'Institut Laurent-Vuibert de Lourmarin vite épuisée. Débarquant à Marseille, hébergé cher René Char, le grand poète, ralliant Paris,Versailles... Et même contraint à exercer le métier de gardien de nuit au foyer des apprentis horticoles. Dans le poème Histoire de l'arbre, Jean Sénac, a la main verte et heureuse : «L'arbre chante/ses secrets/ personne ne les connaît/ quand il parle/ les oiseaux se taisent/ les hommes se sauvent/et les enfants le regardent/étonnés/ comme si un arbre ne pouvait pas chanter/parler/pleurer/ quand ses racines découvrent/un mort qui joue au vivant/ l'arbre connaît la vraie couleur de la terre/ les épines/ la blessure/de la mère/l'écriture de la pluie/ l'arbre connaît le temps/il écoule les gens qui passent/sans bouger de place/sans le vent/ puis il lève les bras au ciel et il prie/comme s'il avait deviné/ que sa prière vous aidera/ parce qu'il est l'arbre de Dieu/et la croix/et le navire aussi/et le lien juste/l'arbre connaît l'espace... Un autre jour un poète/ a trouvé dans l'aubier/la parole qui féconde/ le poème qui guérit... L'arbre chante ses secrets/ personne ne les connaît/ et quand il veut les donner/ personne ne veut les prendre !» Les éditions El Kalima et Guy Dugas se veulent encore une fois très optimistes quant à l'avenir de cette série. A l'automne et avant le Salon international du livre d'Alger (SILA), les volumes n°3 (Khadda/Gréki présenté par Naget Khadda, actuellement à la fabrication) et n°4 (Camus, Alger 1967, dont Agnès Spiquel, présidente de la société des études camusiennes travaille actuellement à la présentation). Un travail de fourmi et d'orfèvre à saluer bien bas et à encourager.
L'Arbre fruitier Jean Sénac Présentation de Guy Dugas Collection Petits inédits maghrébins-Djib – El Kalima(2018)98 pages