Deux petits essais parus r�cemment chez Domens, S�nac chez Charlot de Hamid Nacer-Khodja et Jules Roy chez Charlot de Guy Dugas, nous entra�nent rue Michelet quelques ann�es avant et apr�s la Seconde Guerre mondiale, dans l'espace exigu des Vraies Richesses, la librairie de l'�diteur Edmond Charlot. Si le rapport entre ce dernier et Jules Roy se traduit dans la binarit� de la relation auteur-�diteur, cette relation tumultueuse, comme l'exprime Jean Amrouche, o� �se m�lent inextricablement les sentiments et l'int�r�t�, l'�clairage est tout autre dans le rapport entre Jean S�nac et Edmond Charlot, sinon distant, du moins pacifi�, le po�te n'ayant jamais publi� de son vivant chez l'�diteur. Il est donc int�ressant de mettre en parall�le ces deux �tudes qui recr�ent avec un �gal talent le temps o� les lettres �taient belles sous les plumes de Robl�s, de Camus et des deux auteurs mis ici � l'honneur. Guy Dugas traduit la relation Jules Roy-Edmond Charlot dans un va-et-vient fluctuant au gr� des succ�s du premier et des d�convenues du second. L'histoire que nous en retrace l'auteur � travers cet essai limpide et concis est celle �d'un compagnonnage d'un demi-si�cle, un itin�raire en quatre temps, jalonn� d'�clatantes r�ussites mais aussi d'�checs, d'une grande complicit� mais �galement d'une p�riode de brouille, d'oublis et de fid�lit�. C'est la guerre qui m�ne Jules Roy, jeune aviateur repli� � Alger en juin 1940, � la rencontre d'Edmond Charlot. Le papier manque, ce qui n'emp�che pas l'�diteur de publier ce que Jules Roy consid�rera lui-m�me comme un banc d'essai, Trois pri�res pour des pilotes en f�vrier 1942, et Chants et pri�res pour des pilotes en avril 1943, deux recueils de po�sie. La m�me ann�e, l'�diteur publie le premier r�cit de l'�crivain, Ciel et terre, d�savou� plus tard par l'auteur lui-m�me qui le fera mettre au pilon. Au lendemain de la guerre �la bande � Charlot� monte � Paris et Jules Roy y re�oit le prix Renaudot pour La Vall�e heureuse en 1946, tandis que Bosco et Robl�s avaient �t� couronn�s, le premier du Renaudot, le second du prix populiste en 1945. On parle alors d'Ecole d'Alger ou d'Ecole nord-africaine des Lettres. Charlot est en pleine gloire et regroupe autour de lui un r�seau d'amiti�, ce que Gabriel Audisio nomme �une communaut� d'inspiration� que Jules Roy d�finit en ces termes : �Pessimisme et amour de la vie, c'est toute la pens�e m�diterran�enne... Nous sommes une esp�ce, l'esp�ce africaine avec ses caract�ristiques. Nous sommes li�s � la terre tr�s �troitement. � Les ann�es 1950 seront v�cues loin de Charlot dont l'amateurisme dans la gestion de la maison d'�dition a t�t fait d'�loigner Jules Roy qui lui reproche son incomp�tence : �Je doute de tes dons d'�diteur parisien et (...) je crains que tu ne manques de la premi�re qualit� qui sacre les bons administrateurs et les hommes d'affaires s�rieux � . Bient�t la rupture sera consomm�e. D�nonciation de contrat, proc�s, Jules Roy se lib�re de ses liens avec son �diteur. Mais la rupture ne sera jamais d�finitive, rencontres r�guli�res, correspondances �mailleront les relations entre les deux hommes. R�pondant � l'appel de son ami, � nouveau �diteur, install� � P�zenas, une petite ville du sud de la France, Jules Roy lui confiera un essai en 1982, A propos d'Alger, de Camus et du hasard. La relation de l'�diteur avec Jean S�nac est tout autre. Le po�te essayiste Hamid Nacer- Khodja en appr�hende la richesse et l'originalit� dans une �tude minutieuse de l'usage de la critique chez le po�te, car S�nac nourrit son art de la fr�quentation des auteurs alg�riens � il ne s'agissait alors que des Fran�ais d'Alg�rie � �dit�s par Charlot. Un cheminement qui nous entra�ne au c�ur de la querelle entre les Alg�rianistes auxquels S�nac demeurait attach�, et l'hypoth�tique Ecole d'Alger repr�sent�e par Gabriel Audisio, Albert Camus, Emmanuel Robl�s et Jules Roy. Le critique- po�te, lui, pr�f�re la d�nomination d'Ecole nord-africaine , reprenant un terme n� de la bouche de Camus. Hamid Nacer-Khodja insiste, � ce propos, sur le r�le f�d�rateur de S�nac qui r�cuse le cloisonnement entre les deux mouvements au profit d'une litt�rature d'Alg�rie inscrite dans un territoire plus vaste : �Unit� de pens�e, de sensibilit�, d'un m�me souci de l'homme, d'un m�me amour de la vie, de la lutte d'une m�me passion exclusive qui conduit au d�pouillement, � la solitude, � la recherche d'une fraternit�.� L'�tude des articles, journaux intimes et correspondances de Jean S�nac r�v�le une grande �connivence� entre ce dernier et le libraire-�diteur, le po�te notant dans ses carnets ses r�flexions � propos des manifestations artistiques organis�es par ce dernier. Les projets de publication de S�nac chez Charlot, apr�s avoir �t� maintes fois diff�r�s, n'aboutiront qu'en 1983, apr�s la mort du po�te, avec Journal Alger janvier-juillet 1954. C e s br�ves et n�anmoins circonstanci�es intrusions dans l'�uvre critique de S�nac et dans l'itin�raire de Jules Roy nous invitent � revisiter le vivier litt�raire de l'Alg�rie coloniale. Ces deux essais, qui sont deux modes d'appr�hension de la relation auteur-�diteur, contribuent � perp�tuer l'esprit de Charlot fid�lement entretenu par la maison Domens. Meriem Nour Jules Roy chez Charlot, Guy Dugas, ed. Domens, 2007 S�nac chez Charlot, Hamid Nacer-Khodja, �d. Domens, 2007
�bauche de Jean S�nac en quelques dates 1926 : naissance � Beni-Saf en Oranie, de m�re catalane et de p�re inconnu, �nigme du p�re qu'il partage avec Jules Roy. 1944 : instituteur � Mascara, il s'engage dans l'arm�e jusqu'� sa d�mobilisation en 1946 1946 : fonde � Alger le cercle artistique et litt�raire L�lian. 1947 : d�but d'une correspondance avec Camus 1948 : s�jour au sanatorium de Rivet 1949 : animateur � Radio-Alger 1950 : retrouve Camus � Paris 1953 : cr�e la revue Terrasses avec Mohammed Dib et Mouloud Mammeri au comit� de direction 1954 : d�mission forc�e de Radio-Alger apr�s son �mission consacr�e � �la patrie alg�rienne �. Rejoint � Paris les militants de la F�d�ration de France. Publication de Po�mes, pr�fac� par Ren� Char, dans la collection Espoir, dirig�e par Camus, chez Gallimard 1958 : rupture avec Camus 1961 : ses po�mes de guerre, Matinale de mon peuple, paraissent chez Subervie 1962 : retour � Alger en automne. Conseiller du ministre de l'Education nationale, il fonde une galerie de peinture et anime l'�mission radio �Po�tes sur tous les fronts�. 1965 : entr� en disgr�ce, il est priv� d'antenne et de passeport 1971 : parution d'une Anthologie de la nouvelle po�sie alg�rienne, aux Editions Saint-Germaindes- Pr�s 1973 : dans la nuit du 29 au 30 ao�t, il est assassin� � Alger 1982 : parution de Ebauche du p�re, chez Gallimard 1983 : parution de Journal Alger (janvier-juillet 1954), Collection M�diterran�e vivante, Charlot Editeu �bauche de Jules Roy en quelques dates 1907 : naissance le 22 octobre � Rovigo, pr�s d'Alger, d'une famille de petits colons de la Mitidja 1930 : formation militaire � Saint-Maixent apr�s des �tudes secondaires au s�minaire de Saint-Eug�ne 1935 : int�gre l'arm�e de l'air 1939-1945 : commandant de bord dans le groupe Guyenne au sein de l'Arm�e fran�aise de lib�ration 1943 : parution chez Charlot de Chants et pri�res pour des pilotes et d'un r�cit Ciel et terre 1946 : la Vall�e heureuse parue chez Charlot re�oit le prix Renaudot 1953 : d�mission de l'arm�e sous le coup des �v�nements de Dien Bien Phu 1960 : parution de La Guerre d'Alg�rie chez Julliard, un br�lot refus� par toute l'�dition fran�aise. 1980 : Les Chevaux du soleil, une fresque romanesque en 7 volumes sur l'Alg�rie coloniale para�t chez Grasset. Romans, reportages et r�cits autobiographiques se succ�dent au rythme d'un tous les deux ans environ, dont La Saison des Za (1982), Une Affaire d'honneur (1984), M�moires barbares (1989), Adieu ma m�re, adieu mon c�ur(1996) 2000 : mort en France � V�zelay le 15 juin.