«J'ai été suspendu puis muté vers la direction de la formation professionnelle juste car j'ai signalé un dépassement dans un concours», confie Brahim Chaab, ancien attaché principal administratif à l'Institut national spécialisé de formation professionnelle Abdekader-Maatouk, à Beaulieu (ex-Iteem). Alors que l'histoire remonte à septembre 2015, le principal concerné subit encore les «répercussions» de son signalement. Tout d'abord, Brahim Chaab explique les modalités pour intégrer son institut : «Pour intégrer notre école, il faut obligatoirement passer un concours. Ce dernier se compose de trois matières : mécanique, mathématiques et électricité. Sur 1200 candidats, par exemple, on n'en accepte que 400 qui ont réussi à avoir de bons résultats. Malheureusement, lors du concours de 2015, les choses ne se sont pas déroulées convenablement.» Selon lui, des candidats ayant obtenu des zéros, pourtant note éliminatoire, ont été acceptés au sein de l'établissement. Et à l'inverse, certains ayant eu des résultats concluants ont été injustement écartés. Des accusations confirmées par les documents dont El Watan possède une copie. De nombreuses copies d'examen portant de mauvaises notes ou même un zéro. Des notes ne dépassant pas les 3 sur 10, n'atteignant donc même pas la moyenne. Pourtant, les noms de ces candidats qui, logiquement, auraient dû échouer au concours vu leurs notes, figurent quand même dans la liste définitive des admissions. Paradoxalement, des candidats ayant obtenu de bonnes notes ont été écartés. «J'ai donc signalé les dépassements et la triche sans nom lors de ce concours pour la promotion 2015.» Enquête Brahim Chaab dit s'être comporté en citoyen modèle : «La loi 06-01 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption nous incite à dénoncer les infractions sous peine d'être impliqué dans l'affaire. J'ai donc accompli mon devoir.» En effet, l'article 47 de ladite loi stipule : «Est punie d'un emprisonnement de six (6) mois à cinq (5) ans et d'une amende de 50 000 à 500 000 DA toute personne qui, de par sa fonction ou sa profession, permanente ou provisoire, prend connaissance d'une ou de plusieurs infractions prévues à la présente loi et n'informe pas à temps les autorités publiques compétentes.» Ayant connaissance de cette loi, Brahim Chaab a donc demandé, en mai 2016, une enquête administrative. Cette dernière n'ayant pas ouverte, l'attaché administratif va plus loin et demande l'ouverture, en mars 2017, d'une enquête judiciaire pour fraude. «Quand l'institut a appris que j'avais demandé l'ouverture d'une enquête administrative et judiciaire, on m'a fait passer une première fois, le 31 juillet 2016, en conseil de discipline pour 'divulgation de secrets professionnels'». Mais l'histoire ne s'est pas arrêtée à ce stade. En effet, selon Chaab, le 2 novembre 2017, un deuxième conseil discipline a eu lieu. Seul souci : «N'ayant pas reçu de convocation, je n'ai pas assisté a ce conseil», assure-t-il. Pressions «Pourtant, l'article 06-03 stipule la poursuite des procédures du conseil discipline. Dans mon cas, je n'ai pas reçu de questionnaire pour expliquer les raisons de mon absence et on m'a directement muté, de manière forcée, vers la direction de la formation professionnelle. En conséquence de toutes les pressions que j'ai subies, ma santé s'est dégradée. Depuis, je suis en congé de maladie», confie-t-il. Aujourd'hui, Brahim Chaab souhaite que justice lui soit rendue. «Je demande au ministre de la Formation professionnelle de statuer sur mon cas et de me rendre justice car j'ai été injustement sanctionné. Idem pour le ministre de la Justice, car finalement, je n'ai fait qu'appliquer la loi», dit-il. Pour Meziane Meriane, président du Snapest, la fraude est devenue monnaie courant. Il s'agit d'un phénomène sociétal. Tout le monde veut réussir sans fournir le moindre effort. La corruption, qui est une forme de triche, a des conséquences néfastes sur la société. «On a constaté des cas d'enseignants qui ont empêché des candidats de tricher, qui se sont fait tabasser par ces derniers sans que l'administration n'intervienne. De plus, si le cas signalé est privilégié, le surveillant risque des sanctions.» Pour remédier à tout risque de fraude lors des concours, par exemple, Meziane Meriane propose que toutes les notes des candidats ainsi que leurs moyennes soient affichées pour que chacun défende sa position dans le classement et dans l'admission. Phénomène Même son de cloche du côté de Bachir Hakim du CLA. Selon lui, aujourd'hui le tricheur est récompensé et le non-tricheur est sanctionné. Même lors des élections. L'enseignant révèle que la triche aux examens constitue une plaie ouverte de l'enseignement supérieur. La raison : depuis son jeune âge, l'étudiant est témoin quotidiennement de la tricherie dans la société. «Dans son subconscient, toute la société triche, que ce soit à l'université ou dans la vie courante. La tricherie se manifeste dans la société par la corruption, la falsification, l'escroquerie et les détournements financiers. Ainsi le gain facile dans la société pousse à opter pour la réussite facile en usant de tous les moyens, fussent-ils immoraux. Difficile donc pour la société de combattre un phénomène qu'elle a elle-même créé», explique-t-il. De l'avis de Bachir Hakem, afin de mettre un terme à ce fléau, il faut s'attaquer à la racine. Il en est de même pour la fraude aux examens. Il faut aller à la racine, c'est-à-dire les parents et le système éducatif. «Dès les premiers pas de l'enfant à l'école, ses parents ne doivent pas accepter sa réussite par la tricherie, et encore moins faire appel à l'intervention d'une connaissance pour changer les notes d'un élève. Les turbulences qu'ont connu les deux dernières sessions du bac témoignent de l'ampleur du mal qui gangrène notre système éducatif. Le système éducatif doit endiguer la corruption à l'école et sanctionner sévèrement le tricheur et tous ses complices dès le cycle primaire», propose-t-il. Concernant l'injustice qui s'abat sur les dénonciateurs de fraude, Bachir Hakem n'en est pas étonné : «Ce n'est pas nouveau. Ceux qui ont tenté de dénoncer ou de s'opposer à ce fléau ont été sanctionnés ou mutés. Finalement, les dispositions réglementaires visent à prévenir la fraude mais n'en donnent aucune définition. Elles excluent, de surcroît, les situations dans lesquelles les examinateurs, les surveillants, les correcteurs ne peuvent pas apporter une preuve matérielle de fraude aux examens.»