Le président du GNA est mis en minorité dans son propre camp. Il ne reste plus avec Fayez El Sarraj qu'Ahmed Myitig et Abdessalem Kajman, membres actifs du Conseil présidentiel. Le vice-président Fathi Al Majbari a rejoint le groupe des cinq réfractaires : Faraj Katrani, Omar Lassoued, Moussa Kouni, Mohamed Maamari et Ahmed Hamza Mehdi. La communauté internationale continue certes de traiter avec Fayez El Sarraj. Après tout, il est le président du Conseil présidentiel en Libye, en vertu de l'accord de Skhirat de décembre 2015, conclu par les belligérants libyens. Mais l'inquiétude s'est installée depuis que le Conseil présidentiel ne compte plus que trois membres sur neuf. De plus en plus convaincus de l'inefficacité de ce conseil, les observateurs dirigent par contre leur regard vers Khalifa Haftar, l'homme fort de l'Est libyen, qui est parvenu à stabiliser la région sous son contrôle. «L'Est ne vit ni pénurie d'électricité ni enlèvements, par opposition à l'instabilité de Tripoli», remarque le juge Jamel Bennour, ex-président du conseil local de Benghazi en 2012. Haftar contrôle, par ailleurs, la majorité des ports et des gisements pétroliers. Toutes les puissances étrangères, ayant des intérêts en Libye, cherchent désormais à nouer contact avec le maréchal Haftar, y compris les Italiens et les Anglais, les alliés les plus solides de Misrata et des Frères musulmans. L'affaiblissement constaté du gouvernement El Sarraj a suscité l'inquiétude chez la population de Tripoli. Le désarroi a connu son paroxysme, lorsque Khalifa Haftar a bloqué durant deux semaines, en juin dernier, l'exportation du pétrole, accusant l'entreprise nationale de pétrole et la Banque centrale de malversations financières et de soutien aux attaquants des ports du Croissant pétrolier. Les groupes armés, installés à Tripoli, ont eu peur pour leurs ressources financières. Plus de 240 000 salaires vont, en ce moment, aux membres de l'armée et de la police, alors qu'ils étaient, à peine 60 000, au départ d'El Gueddafi. Le politologue libyen Ezzeddine Aguil pense que l'avertissement de Haftar, en arrêtant pendant deux semaines les exportations de pétrole, commence à donner ses fruits. «La question du changement de gouverneur de la Banque centrale, Seddik Kebir, par Mohamed Fawzi, est à l'ordre du jour, avec des exigences de bonne gouvernance et de reddition des comptes, ce qui est un bon point à l'actif de Haftar, si son nom s'associe à la lutte contre les malversations», relève le politologue. Par ailleurs, poursuit Ezzeddine Aguil, la sympathie à Haftar commence à gagner du terrain dans l'Ouest libyen, pour la simple raison que le vieux militaire est parvenu à stabiliser l'Est libyen et est efficace dans la gestion de la crise des ports pétroliers. «En un mot, les Libyens voient en Haftar un homme d'Etat, ce qui n'est pas le cas avec les gouvernants de l'Ouest libyen», indique le politologue. Nouvelles alliances Cette montée en puissance de Haftar commence à faire bouger les choses à Tripoli. Les alliances de la majorité des groupes armés, installés dans la capitale, n'ont pas d'obédience politique ou idéologique. Leurs chefs, à l'image de Haythem Tajouri ou Gheniwa Kekli, «n'ont nullement d'obédience réelle que pour l'argent», selon un ex-membre du Conseil national transitoire ayant vécu leur évolution dans le paysage militaro-politique. Ce dernier perçoit, par ailleurs, des tractations entre ces groupes armés et Haftar. «Le souci des chefs militaires de Tripoli, c'est de trouver des solutions, dans le futur, pour les membres de leurs groupes. Haftar propose de les intégrer, de manière individuelle, dans l'un des corps armés constitués, après une formation de deux ans, tout en gardant leurs avantages financiers, ce qui n'est pas mal», explique ce juriste, qui pense que les tractations vont bientôt aboutir. L'Italie et la Grande-Bretagne ont certes peur de Haftar, plutôt proche des Français et des Russes et bénéficiant du soutien de l'Egypte et des Emirats. Ceci n'a pas empêché la nouvelle ministre italienne de la Défense, Elisabetta Trenta, de chercher à rencontrer l'homme fort de l'Est libyen, parce qu'elle est convaincue que rien ne sera possible, dans l'avenir, en Libye sans l'aval de Haftar. L'Italie et la Grande-Bretagne cherchent à préserver leurs intérêts dans le nouvel équilibre.