Une accalmie prudente règne à Tripoli, une dizaine de jours après l'entrée en ville de Fayez El Sarraj. Les milices tripolitaines campent dans leurs casernes. D'intenses tractations sont en cours au Caire pour obtenir la validation par le Parlement de Tobrouk de ce gouvernement de consensus. Le président de la Chambre libyenne des députés, Salah Aguila, s'est réuni avant-hier au Caire avec ses deux vice-présidents, Mohamed Cheyib et Hamid Houma, pour s'entendre sur les conditions permettant la tenue d'une assemblée plénière pour examiner l'attribution de la confiance au gouvernement de Fayez El Sarraj. Ce dernier a atterri hier au Caire avec son vice-président, Ahmed Myitigue, pour prendre part aux tractations qui se déroulent en association avec une quinzaine de députés et une dizaine de membres de l'équipe du dialogue national libyen, présents au Caire et représentant toutes les régions et factions libyennes. Ces intervenants essaient de faire revenir sur leur décision les deux membres réfractaires du Conseil de la présidence du gouvernement (Lassoued et Katrani) et de les pousser à rejoindre l'équipe appelée à se présenter, complète, devant le Parlement de Tobrouk pour obtenir sa confiance. L'envoyé spécial de l'ONU, Martin Kobler, soutient ces tractations. «Kobler est désormais convaincu qu'El Sarraj ne peut pas étendre son pouvoir sur toute la Libye sans passer par le Parlement de Tobrouk, comme le stipule l'accord de Sekhirat», estime le politologue libyen Ezzeddine Aguil, qui rappelle que Kobler avait, un certain moment, cru pouvoir faire passer El Sarraj sans cet aval, avec sa fameuse histoire «d'ambulance qui n'a pas besoin de papiers en règle pour intervenir en état d'urgence». Toutefois, «l'Est libyen a ses conditions», avertit Aguil. De l'avis de tout le monde, le rôle futur du général Khalifa Haftar sur l'échiquier libyen constitue le principal point de divergence entre les diverses factions libyennes. Cette question n'est pas formelle, remarque l'ancien président du conseil local de Benghazi, Jamel Bennour. La divergence tourne, selon lui, autour de la position à adopter à propos du rôle de l'islam politique dans la Libye de demain. «Les Frères musulmans continuent à vouloir s'imposer par les armes contre la volonté du peuple, exprimée librement lors des élections, du 25 juin 2014, où leurs milices protégeaient les urnes», souligne-t-il. Jamel Bennour rappelle que la semaine dernière, deux radeaux remplis d'armes en provenance de Misrata ont été détruits par l'aviation libyenne devant le littoral de Benghazi. «Les gens de Misrata essaient d'aller contre la volonté de la population de l'Est, enthousiaste après les récentes victoires de Haftar contre Daech et ses alliés, comme le prouvent les manifestations monstres que ne cessent de connaître Benghazi et plusieurs villes de l'Est», ajoute Bennour. Pour sa part, le professeur Mansour Younès, enseignant à la faculté de droit de Tripoli et ex-membre du Conseil national de transition, pense : «Khalifa Haftar est soutenu par l'Egypte, qui a la même attitude agressive concernant l'islam politique. Haftar constitue le rempart de l'Egypte contre Daech et les autres groupes islamistes armés, présents en Libye.» Le professeur Younès attire l'attention sur le fait que le général Haftar est en train de rallier des régiments au Sud, notamment chez les Tebou, à Ajdabia où ses troupes sont parvenues à chasser Daech, et même à Zentane où plusieurs notoriétés tribales commencent à réviser leur attitude, car auparavant elles rejetaient tout rapprochement avec l'homme fort de l'Est. «Résoudre l'équation Haftar permettra sûrement de fournir une solution à la crise libyenne», conclut l'universitaire. Mais les tractations du Caire y parviendront-elles ? Les dernières propositions parlent d'une réunion du Parlement de Tobrouk avant le 18 avril. Mais les perspectives ne sont pas encore suffisamment claires pour trancher.