Un kilomètre carré pour 25 000 habitants, des maisons qui ne voient jamais le soleil et des rues si étroites que les morts sont sortis par les toits. Balata, le camp de réfugiés le plus peuplé de Cisjordanie, est aussi le plus petit et un des plus surveillés par les Israéliens. Reportage dans le berceau de la contestation et de la résistance palestiniennes. Naplouse (Cisjordanie) De notre envoyée spéciale Tous les soirs, les soldats israéliens descendent dans le camp pour arrêter quelqu'un. Si l'un d'eux venait à tirer, ce serait l'étincelle qui ferait tout exploser. » Mahmoud, 42 ans, est un des responsables du centre culturel Jafa à Balata, le plus grand camp de réfugiés de Cisjordanie, à Naplouse. Alors la frustration des jeunes qui vont et viennent toute la journée dans le centre, il la connaît bien. Et puis le camp a sa réputation. C'est d'ici qu'a démarré la première Intifadah en 1987. « Pendant la seconde, nous avons eu 180 morts, ajoute Mahmoud. Il y a un mois encore, un militant du Fatah a été tué. » Naser Badaoui, chef du courant étudiant du Fatah, tué en 2004, Nasser Awes, chef des Brigades Al Aqsa à Naplouse, aujourd'hui en prison, ou encore Hussam Khader, ancien député palestinien, haut responsable du Fatah, condamné à sept ans de prison et libéré l'automne dernier, viennent tous les trois de Balata. Rien de ces parcours n'est lié au hasard. Le camp est un terreau de premier choix pour nourrir la contestation. « En 1952, l'Unrwa (l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens) a installé des tentes pour accueillir les réfugiés de la guerre de 1948, raconte Mahmoud. Le camp, limité à 1 km2, pouvait accueillir 5000 personnes. Les conditions de vie étaient rudimentaires, mais cette situation ne devait pas durer. Malheureusement, les Palestiniens n'ont pas pu rentrer chez eux. Ils sont restés là et les familles se sont agrandies, au point que dans les années 1960, l'Unrwa les a autorisées à construire des maisons. Puis, dans les années 1970, la municipalité a installé un réseau d'assainissement et l'électricité. » Aujourd'hui, Balata abrite 25 000 réfugiés, soit cinq fois plus qu'à sa création. Toujours dans un kilomètre carré. « Etendre la superficie aurait été politiquement incorrect, sourit Mahmoud. Avec autant de personnes, le camp devenait un quartier de la ville comme un autre. Les réfugiés auraient perdu leur statut et on aurait pu leur reprocher de s'étendre au-delà des limites permises. Alors ni les Nations unies ni les politiques n'ont voulu demander plus. » Pour loger les nouveau-nés qui ont grandi, se sont mariés et ont à leur tour fondé une famille, les réfugiés ont construit des extensions à la maison d'origine. Jusqu'à ce que leurs murs rencontrent les murs des voisins. La plupart des « rues » du camp mesurent moins d'un mètre de large. « Certaines sont si étroites qu'on doit y marcher en se tournant face aux murs, nous montre Mustapha, un des jeunes du camp. Il est impossible d'y faire passer des meubles ! » Et quand une personne décède, son corps est évacué par les toits. De nombreuses maisons ne voient pas le soleil, ce qui pose de sérieux problèmes de santé, (maladies respiratoires ou de la peau). Dans son kilomètre carré, Balata- en plus de trois écoles, d'un marché, d'une mosquée, d'un cimetière, d'un centre de services, du centre culturel Jafa, d'un bureau des Nations unies et d'un centre pour handicapés - possède bien une clinique qui ferme le dimanche et qui n'ouvre que de 7h30 à 14h30. « Les réfugiés vivent comme des sardines en boîte, assure Mahmoud. Une maison peut abriter facilement 50 personnes. Les murs de séparation entre les pièces ne mesurent que quelques centimètres d'épaisseur et ne touchent pas le plafond pour laisser passer un peu d'air. Vous savez ce que cuisine l'autre, vous entendez les sujets de discussion et tous les détails de sa vie intime ! Je connais même une famille qui a divisé sa maison en deux. Ils y vivent à 85 ! Dans l'escalier, on se croirait dans le métro, il y a toujours du passage. Imaginez un peu les problèmes psychologiques et les drames sociaux que cette promiscuité entraîne… » Les enfants -Balata en compte 6000 de 6 à 13 ans- sont particulièrement touchés par ces conditions de vie, les années d'Intifadah, et maintenant la guerre dans la bande de Ghaza. Les traumatismes s'expriment par des cauchemars, de l'énurésie et beaucoup d'agressivité. Au centre culturel de Jafa, ouvert en 1996, toute l'équipe se mobilise pour les occuper. « Ils ont à leur disposition une bibliothèque, des jeux, des films éducatifs, des ordinateurs, bref, tout ce qu'ils n'ont pas à la maison, énumère Mahmoud. Nous organisons des camps d'été, certains enfants partent à l'étranger, et nous recevons régulièrement des volontaires de l'étranger. Enfin, toute l'année, ils peuvent participer à des ateliers de musique, de montage de films, de théâtre, de danse… », de quoi apaiser un peu leur colère et les décoller de la télé à laquelle est rivée toute la famille, surtout en ce moment. « La plupart des réfugiés de Balata ont de la famille dans la bande de Ghaza », note un habitant du camp en prenant ses copains à partie. « Ma tante a vécu avec son mari en Arabie saoudite où ils travaillaient. Ils ont choisi de venir s'installer à Ghaza, où ils ont construit une jolie maison près de la plage avec leurs économies de trente ans. L'autre jour, j'ai eu ma tante au téléphone, elle tremblait. Sa maison n'avait plus ni porte ni fenêtre, et elle voyait arriver les bateaux de soldats israéliens, témoigne Mahmoud. Ce n'est pas seulement mon histoire, c'est celle de la plupart des réfugiés du camp. » A leur misère quotidienne est venue s'ajouter la peur pour leur famille et un sentiment d'impuissance. La pression que les Israéliens exercent sur Naplouse - le check point est ouvert de 7h à 19h ou 21h et le camp est surveillé des collines surplombant la ville - avive les tensions.