La baisse effrénée du pouvoir d'achat, le déficit en production et la hausse des prix de certains aliments, notamment les viandes, les poissons et les légumes secs, l'Algérien consomme de plus en plus de pommes de terre. Cet élément occupe la deuxième place dans la liste des courses régulières des familles algériennes après l'oignon. Ainsi, à défaut d'avoir une alimentation diversifiée, l'Algérien se rabat sur la pomme de terre que l'on retrouve dans toutes les sauces avec une consommation annuelle de 111,5 kg/ habitant, soit trois fois plus que la norme mondiale, qui est de 31 kg/habitant/an. Cette quantité place l'Algérie parmi les plus gros consommateurs de ce produit à l'échelle mondiale et est vingt-huit fois supérieure à la consommation moyenne en Afrique, qui est de l'ordre de 4 kg/habitant/an. «L'attachement» de l'Algérien à ce féculent se fait d'ailleurs ressentir à chaque fois qu'une crise secoue cette filière qui, faut-il le rappeler, a connu ces dernières années de grandes perturbations, engendrant des hausses de prix périodiques, et ce, avant que les mesures prises pour augmenter la production ne donnent des résultats. La filière a, en effet, renoué avec les bons résultats à travers une progression significative qui a permis de couvrir les besoins nationaux et dégager des excédents pour l'exportation. En 2017, la production nationale a atteint 47 millions de quintaux, contre 26 millions q en 2009, avec un rendement de près de 310 q/ha. Des données qui ne rassurent pas uniquement les agriculteurs et les acteurs de la filière, mais aussi les consommateurs lésés parallèlement pour d'autres produits essentiellement les viandes blanches et rouges ainsi que les poissons. C'est le cas aussi pour certains fruits et légumes frais. L'enquête sur la consommation des ménages, menée par l'Office national des statistiques (ONS), avait conclu, pour rappel, que seulement 13,4% des dépenses alimentaires étaient consacrées à l'achat de légumes frais. Poissons et viandes en deçà des normes Pour les poissons, dont la production a atteint 108 000 t en 2017, contre 102 000 en 2016, la consommation actuelle n'est que de 4,5 kg/habitant/an. Un taux très faible en comparaison à celui des pays d'Asie, dont la démographie est pourtant plus importante. Dans cette région, un habitant consomme 60 kg de produits halieutiques/an. Le développement de l'aquaculture n'a pas contribué à améliorer la situation face à la stagnation des stocks halieutiques dans les eaux territoriales et n'a pas amélioré la situation. Alors que l'aquaculture représente 50% de la consommation mondiale en moyenne, en Algérie, cette production représente 5% seulement de la consommation en poissons et fruits de mer. Ce qui fait que la consommation des algériens en poissons, pourtant fortement recommandée pour la santé, tarde à augmenter. Même constat pour les viandes. Si l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) recommandent une consommation moyenne de 25 kg en viandes par personne et par an, en Algérie, cette dernière est de 20 kilos par personne et par an, dont 12 kg de viandes rouges, soit moins de 5 kg du seuil recommandé. Les prix exorbitants appliqués sur le marché, avec en moyenne 1300 DA le kilo, est le principal facteur dissuadant les consommateurs. Pour les viandes blanches, cette consommation varie de manière cyclique en fonction de l'état de la filière. Actuellement, par exemple, le poulet est hors de portée des bourses moyennes, à 400 DA/kg. D'autres produits figurent dans la liste de ceux faiblement consommés en Algérie. Une enquête sur les fréquences de consommation de 22 aliments menée en 2012, auprès de 508 ménages dans trois wilayas de l'Est algérien (Oum Bouaghi, Souk Ahras et Jijel) a montré globalement que les céréales constituent la base de l'alimentation des ménages (pain/galette : 2,6 fois par jour, pâtes alimentaires : 1 fois par semaine). Le lait complète cette alimentation de base (2 fois par jour). Dans le cadre de cette étude, une faible consommation est observée pour le cas des fruits et légumes (moins d'une fois par jour), des viandes rouges (2,2 fois par semaine), de la volaille (4,3 fois par semaine) des œufs (2,1 fois par semaine) et des poissons (moins d'une fois par semaine). Il est relevé par ailleurs que le choix des produits dépend des revenus. «Ainsi, la consommation des produits laitiers, des viandes, poissons et œufs et des fruits est significativement plus fréquente chez les ménages ayant un revenu par personne élevé», a conclu l'étude. Filières à organiser Autant d'éléments qui montrent l'absence de synergie entre les politiques dédiées à la sécurité alimentaire et la nutrition. Ce que relèvera l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO). Rappelant que dans de nombreuses communautés, la diminution de l'offre de divers aliments locaux et l'augmentation des aliments industriels a conduit à s'écarter des denrées traditionnelles, la FAO a récemment souligné dans un rapport qu'«il est crucial de comprendre et de maintenir les liens essentiels entre les peuples et leurs cultures, la biodiversité, les moyens d'existence traditionnels et les systèmes de connaissance, si l'on veut parvenir à une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable». «L'une des questions les plus importantes est de trouver le moyen d'accroître la production alimentaire pour subvenir aux besoins des générations actuelles et futures tout en améliorant la biodiversité et en réduisant les pressions sur l'environnement», a expliqué la FAO. Une question qui revêt une grande importance, notamment en Algérie, où beaucoup reste à faire justement dans ce cadre, particulièrement en cette période de forte croissance démographique. Mais, faudrait-il assurer l'organisation des filières. Un dossier qui fait objet d'annonces depuis des années sans pour autant donner des résultats. Tout récemment, le ministre de l'Agriculture, du Développement rural et de la Pêche, Abdelkader Bouazgui, a fait part de l'instauration de conseils interprofessionnels qui ciblent dans un premier temps les filières stratégiques pour renforcer leurs bases productives. «La contribution de ces espaces de concertation interprofessionnels regroupant l'ensemble des opérateurs économiques et des institutionnels est fondée sur une volonté d'impliquer les différents maillons d'une filière dans les problématiques et les enjeux de la filière aux stades de la production, de la transformation, de la commercialisation, de la régulation et de la distribution», a expliqué le ministre la semaine dernière, à l'occasion d'une rencontre consacrée à la filière pomme de terre. Des chaînes où les défaillances sont nombreuses.