Richard Boyd Barett, politicien irlandais de Solidarity-People Before Profit, insiste sur l'importance pour le mouvement palestinien de faire le lien avec toutes les forces progressistes et construire des convergences avec les adversaires les plus farouches des politiques de Trump. D'après lui, la qualification d'apartheid devrait permettre de prolonger l'action de solidarité au-delà de la reconnaissance légale du boycott des produits des colonies pour laquelle l'Irlande fait figure de pionnier. Le forum arabe international pour la Justice en Palestine, organisé le 29 juillet dernier à Beyrouth, a été l'occasion de mener une réflexion collective sur les formes et les moyens de résistance à l'Etat colonial israélien qui a intensifié sa stratégie d'étouffement des revendications nationales palestiniennes dans un contexte régional profondément modifié. Pour renforcer les fronts communs sur des objectifs précis et continuer à développer le mouvement de solidarité avec la Palestine, les intervenants ont commencé par prendre acte de la nouvelle donne. L'écrivain Labib Qamhaoui a rappelé que les Etats-Unis cherchent à travers le «deal du siècle», formalisé par le président américain, Donald Trump, à imposer une approche et des politiques qui servent l'objectif israélien de liquidation des droits nationaux palestiniens. Selon lui, cette déclaration d'intention est d'autant plus dangereuse qu'elle bénéficie de l'approbation tacite de certains régimes arabes, dont les intérêts convergent avec ceux de l'entité sioniste. M. Qamhaoui a évoqué les trois initiatives qui ont pavé la voie à la concrétisation d'un deal renouant avec «le mythe des droits historiques de la nation juive sur la Palestine et abandonnant toute référence aux droits nationaux à l'autodétermination et à l'indépendance des Palestiniens». Premièrement, le transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem qui vise à exclure la question du statut de la ville de toute discussion par une reconnaissance de fait de la souveraineté israélienne. Deuxièmement, le remplacement d'une solution politique par un accord financier qui implique la renonciation aux droits légitimes et reconnus des Palestiniens. Troisièmement, l'offensive sur le terrain juridique pour dénier aux Palestiniens la qualification de «peuple» dont les contours sont bien définis en droit international, et réserver le droit à l'autodétermination aux seuls Israéliens. Deal chimérique Labib Qamhaoui a estimé que ce projet ne pourrait être tenu en échec que par le refus de la partie palestinienne de céder en dépit des pressions de certains régimes arabes qui soutiennent l'initiative. Il a appelé les Palestiniens à rejeter le principe même de ce deal sans entrer dans le contenu et les propositions détaillés qu'il renferme. Mais pour Richard Falk, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l'homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, le «deal du siècle» est une chimère qui n'a pas de traduction politique réelle. Il déplore la focalisation excessive des efforts sur ce thème jugé prioritaire et l'énergie consacrée à faire la lumière sur le régime d'apartheid, alors même qu'Israël expose au grand jour sa nature raciste avec l'institutionnalisation des pratiques ségrégatives. Selon M. Falk, ce contexte de crise est également une opportunité historique pour transformer le rapport de force en faisant basculer l'opinion internationale dans le camp de la solidarité avec le peuple palestinien. D'un côté, les manifestations à Ghaza étaient une illustration récente et massive de la combativité positive du peuple palestinien qui se soulève pacifiquement pour réaffirmer son attachement à ses droits, de l'autre le déchaînement de violence israélien en réaction au choix de la non-violence comme mode de résistance sont un aveu de faiblesse du régime israélien. Avec l'adoption de la loi caractérisant Israël comme l'«Etat-nation du peuple juif», le régime a franchi un cap décisif et tombe sous la qualification juridique d'apartheid. Reprenant l'exemple de l'Afrique du Sud, où il est devenu plus coûteux de maintenir l'apartheid que de le démanteler, Richard Falk estime que la mobilisation doit porter sur la condamnation des crimes contre l'humanité et la catégorisation du soutien à Israël comme une promotion de ces crimes. Renforcer la solidarité Dans un contexte où un dirigeant aussi impopulaire que Donald Trump apparaît totalement aligné sur l'extrême droite israélienne, l'ancien rapporteur des Nations unies préconise d'approfondir et de renforcer le mouvement de solidarité. Cette analyse rejoint celle de Richard Boyd Barett, politicien irlandais de Solidarity-People Before Profit, qui insiste sur l'importance pour le mouvement palestinien de faire le lien avec toutes les forces progressistes et construire des convergences avec les adversaires les plus farouches des politiques de Trump. D'après lui, la qualification d'apartheid devrait permettre de prolonger l'action de solidarité au-delà de la reconnaissance légale du boycott des produits des colonies pour laquelle l'Irlande fait figure de pionnier. Il existe aujourd'hui un contexte inédit pour l'éveil des consciences en Europe, qui sont longtemps restés enfermées soit dans la représentation stéréotypée et raciste des Arabes servant à déshumaniser les victimes, spolier leurs droits et les opprimer, ou celle fataliste d'un conflit éloigné et saisi à travers une approche essentialiste. M. Boyd Barett a également émis le souhait que l'exemple irlandais entraîne un effet de contagion en Europe pour amplifier les soutiens au mouvement de solidarité. Cette idée est particulièrement défendue dans l'intervention de Richard Becker, l'un des coordinateurs de la coalition Answer (Act Now to Stop the War and End Racism) et auteur de Palestine, Israël and the US Empire, qui souligne l'importance du mouvement BDS et des campagnes internationales dans la prise de conscience et l'accélération des mobilisations, il met notamment l'accent sur l'indignité des conditions de détention des prisonniers palestiniens et l'impératif de résister aux mesures scandaleuses du système carcéral. L'apartheid israélien Dans son allocution, le président du Comité palestinien des affaires des prisonniers, Issa Qaraqe, a dénombré 6500 prisonniers palestiniens en Israël, dont 350 mineurs et 61 femmes. Près de 1800 détenus souffrent de pathologies et 700 se trouvent dans un état critique. Il rappelle également qu'au moins 48 Palestiniens sont incarcérés depuis plus de 20 ans et estime à 260 le nombre de prisonniers morts en prison sous la torture ou assassinés par les forces de sécurité israéliennes. Enfreignant toutes les garanties édictées par la loi internationale, la Knesset a proposé, depuis 2015, 185 lois et projets qui bafouent les droits des prisonniers, dont des textes législatifs d'incitation à la haine raciale contre les détenus et des dispositions durcissant les mesures répressives. Issa Qaraqe a évoqué notamment les conséquences de la loi sur les «combattant illégaux» qui a permis de placer en détention des centaines de Palestiniens sans inculpation ni jugement pendant des périodes illimitées d'un à six mois ou celle permettant de geler le transfert à l'Autorité palestinienne du montant des allocations accordées aux familles des détenus palestiniens. Issa Qaraqe s'est tout autant indigné de la loi sur la peine de mort des résistants en cours de discussion au parlement israélien. Selon lui, cet arsenal législatif vise à priver tous ceux qui s'opposent à la colonisation, à l'occupation et à l'apartheid de leur qualité de résistants. Depuis 2017, une quinzaine de loi et propositions législatives ont accentué les mesures punitives à l'encontre des prisonniers en violation flagrante de leurs droits humains fondamentaux et conduit à la détérioration dramatique de leurs conditions de détention. Il est donc impératif, selon lui, de replacer la question des prisonniers palestiniens au cœur de l'action de soutien en dénonçant Israël comme un Etat d'occupation et un régime honteux d'apartheid, en inscrivant son armée qui s'est rendue coupable de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité sur la liste des organisations terroristes et en demandant le boycott de la Knesset par l'Union interparlementaire. Pour Issa Qaraqe, le renforcement des actions de soutien aux prisonniers et la mise en place par l'ensemble des pays arabes et islamiques de mesures de protection économique et sociale pour les détenus et leurs familles devraient être aujourd'hui une préoccupation majeure.