C'est un événement qui continue de structurer profondément les débats nationaux d'aujourd'hui. Le Congrès de la Soummam du 20 août 1956 ne cesse de bousculer l'ordre politique dominant et d'inspirer ses partisans. La distance historique qui nous sépare de ce moment qui marque un tournant stratégique dans la lutte révolutionnaire n'a pas eu raison de cet idéal porté par les Abbane, Ben M'hidi, Zighout. Il garde intacte toute sa modernité. Inoxydable. Les milliers d'Algériens, dans leur diversité politique, qui convergent vers Ifri témoignent de l'attachement populaire à ce moment de l'histoire, mais surtout illustrent cette quête permanente de réponses aux impasses d'aujourd'hui. Depuis longtemps, les élites politiques, intellectuelles et sociales estiment, et à juste titre, que l'ordre autoritaire qui s'est installé aux commandes du pays au lendemain de l'indépendance a opéré un grand hold-up historique. D'abord en éliminant physiquement le principal architecte de la Soummam, Abane Ramdane, en foulant aux pieds les grandes résolutions du Congrès d'Ifri. Deux actes qui donnent le coup de grâce à l'esprit d'indépendance et inaugurent la culture putschiste du régime politique naissant. Les idées de Novembre, formulées stratégiquement en août 1956, n'ont pas triomphé à l'indépendance. «L'embryon de l'Etat» en gestation émergé des entrailles de la Révolution a été vite phagocyté par un «groupe» mu par la course folle au pouvoir. Sans projet politique ambitieux à la hauteur d'un rêve révolutionnaire pour lequel le peuple s'est sacrifié, ce groupe — à coups de boutoir — s'est employé à donner à l'Algérie une tout autre trajectoire dont le pays ne cesse d'enregistrer les contre-performances. Et c'est en ce sens que la crise politique actuelle qui enferme le pays dans un sous-développement politique tire son origine de ce premier coup d'Etat. Et par extension du mouvement national qui n'a pas pu ou pas voulu résoudre les grandes questions doctrinales qui devaient donner âme et sens à l'Etat-Nation. La sentence populaire, «ça a mal démarré en 62», résume parfaitement cet état d'esprit. Si l'ordre colonial a été vaincu par le recouvrement de la souveraineté nationale, la question de la volonté populaire devant donner lieu à la naissance de la citoyenneté dans un Etat démocratique est ajournée en permanence. Pis. Ce désir de liberté qui était l'essence même de la Révolution de Novembre est vigoureusement combattu. Hier, indigène sous le régime de la colonisation, aujourd'hui l'Algérien est spolié de ses droits fondamentaux. Indomptable face à la machine coloniale, 56 ans après, il est sommé de se soumettre. Une période durant laquelle le pays a été soumis à un processus permanent d'asservissement. Un demi-siècle après la rupture d'avec le colonialisme, l'Algérie n'arrive toujours pas à rompre les chaînes de la sujétion. Non pas parce que maudite ou que son destin l'eut voulu. Bénie des cieux, l'Algérie était destinée à devenir une belle et prometteuse nation, mais l'orientation qui lui a été fixée dès l'indépendance a conduit au désenchantement général. Les incertitudes sont multiples et font peser sur le pays de grandes inquiétudes. L'absolutisme du pouvoir écrase l'ensemble de l'Etat balbutiant. Sinon, comment expliquer que le pays n'arrive toujours pas à se doter d'institutions pérennes incarnant réellement la souveraineté nationale et une véritable légitimité démocratique ? Un demi-siècle après l'indépendance, les Algériens ne savent pas de quoi sera fait demain. L'échéance présidentielle qui frappe aux portes de la République est pleine d'incertitudes. C'est dire toute l'étendue de l'échec politique et du désastre national.