Alors que le doute autour de l'authenticité des noms des signataires de la pétition des députés contre le président de l'Assemblée populaire nationale, Saïd Bouhadja, le ministère des Affaires étrangères met les pieds dans le plat en informant les chancelleries du gel des activités diplomatiques parlementaires. La crise s'installe définitivement avec la paralysie de l'APN et des informations font état du lâchage du 3e homme de l'Etat, dont le sort pourrait être scellé durant les prochaines 24 heures… Retranché dans son bureau, le président de l'Assemblée populaire nationale, Saïd Bouhadja, campe sur sa décision de ne pas démissionner, alors que dans les couloirs du palais Zighout Youcef, de nombreux députés de la coalition présidentielle, à l'origine du bras de fer avec le président, cherchaient en vain la liste des signataires de la pétition appelant au départ de Bouhadja, confectionnée par les députés de l'alliance présidentielle (FLN-RND-MPA-TaJ-Indépendants). Il faut dire que les déclarations du troisième homme de l'Etat sur l'authenticité des noms portés sur cette liste ont fini par semer le doute, d'autant que personne parmi les nombreux députés avec lesquels nous nous sommes entretenus n'a vu ce document ou ne connaît les noms. Dans sa déclaration à la presse, Bouhadja avait soupçonné «une manipulation» dans la confection de la liste qui accompagnait la motion de retrait de confiance. Plus grave. Il a révélé qu'elle a été déchirée devant lui, par ses opposants qui refusaient de la lui remettre. Ses «soupçons» trouvent leur explication dans le fait que la collecte des signatures a commencé dans la soirée de jeudi dernier et s'est poursuivie la journée de vendredi, au moment où les députés étaient tous en dehors de l'hémicycle. «Comment a-t-on fait pour collecter plus de 300 signatures ?» s'interrogeaient, hier, de nombreux parlementaires. En fin de matinée, c'est Lakhdar Benkhellaf, chef du groupe parlementaire El Adala qui s'offusque. Il avait un rendez-vous avec l'ambassadeur du Japon, mais contre toute attente, ce dernier s'est excusé dès le matin. «Il m'a annoncé avoir reçu un message du ministère des Affaires étrangères, l'informant de l'annulation de toutes les activités diplomatiques parlementaires. Je n'étais même pas informé de cette décision, visiblement prise après l'incident de la veille. Le député du groupe des indépendants, qui avait présidé la journée consacrée à l'amitié algéro-mexicaine, avait été brutalement interpellé par des députés du FLN, qui lui reprochaient d'avoir violé les consignes de gel des activités de l'Assemblée. C'est alors que le président de la commission des affaires étrangères, Abdelhamid Si Affif, du FLN, a demandé dans un rapport le gel de ces activités. La décision est tombée, mais personne n'était informé», précise Benkhellaf. La déclaration ne concorde pas avec l'information officielle rapportée hier par l'APS, selon laquelle : «Saïd Bouhadja a gelé des activités prévues dans le cadre de la diplomatie parlementaire, et ce, sur fond de motion de retrait de confiance, initiée par cinq groupes parlementaires de l'Assemblée.» Or, cette décision a été retenue lors de la réunion provoquée lundi dernier en urgence par le secrétaire général du FLN, Djamel Ould Abbès, regroupant le bureau politique, les vice-présidents (FLN) de l'Assemblée et les chefs des structures parlementaires. Les députés devaient annoncer le gel, hier matin, des activités du bureau de l'Assemblée, bloquant ainsi tous ses travaux, alors qu'il venait de recevoir le projet de loi de finances. Les luttes de clans au sommet de l'état ont atteint des proportions inquiétantes Pour Benkhellaf, «cette agitation n'a aucune raison d'être». Il explique : «Lorsque j'ai été reçu, lundi dernier, par le président, il m'a clairement déclaré ne s'être jamais engagé à démissionner dans un délai de 24 ou 36 heures. Il m'a dit qu'il ne quittera pas son poste tant que des instructions dans ce sens ne lui sont pas données par la partie qui le lui a confié. Il était très confiant. Les revendications des contestataires ne tiennent pas la route. Ils parlent de recrutements complaisants, mais où étaient-ils lorsque nous avions dénoncé le recrutement de plus de 200 personnes par Bahaeddine Tliba (ndlr : député FLN), alors qu'il était vice-président ? Ils lui reprochent de ne pas recevoir les députés, alors qu'il est le seul président à laisser les portes de son bureau ouvertes toute la journée, au point où on lui disait qu'il en faisait trop et que cela se fait au détriment de l'activité parlementaire. Comment peut-on geler les activités d'une institution de l'Etat ? Le bureau de l'Assemblée est chargé de dispatcher les projets de loi devant être examinés par l'APN. De quel droit peut-on prendre en otage le Parlement ?» L'après-midi, des députés du RCD ont été reçus par Saïd Bouhadja et eux aussi affirment qu'il était «serein et confiant». Une attitude intrigante, sachant que l'interférence du ministère des Affaires étrangères avec l'annulation des activités parlementaires diplomatiques veut dire qu'il a été lâché. C'est en tout cas ce que révèlent des sources bien informées : «Contrairement à ce qu'il déclare, Bouhadja a bel et bien reçu un message de la part du secrétaire général de la Présidence, mais il n'en a pas tenu compte. Peut-être qu'il a reçu une garantie d'une quelconque partie, mais pas celle de la Présidence qui préfère donner le temps au temps pour ne pas donner l'impression de s'ingérer dans les affaires de l'institution législative. Raison pour laquelle, ses opposants, et à leur tête le FLN, étaient convaincus qu'il allait tirer sa révérence immédiatement. Cela n'a pas été le cas. Mais d'ici jeudi, des décisions vont être prises.» A en croire ces derniers, Saïd Bouhadja serait, depuis des mois, dans le viseur. «Ses détracteurs ne veulent pas de dissolution de l'Assemblée, parce que cette option ne les arrange pas pour des raisons liées aux privilèges, pas plus. On l'accuse de s'être compromis avec ce qu'ils qualifient de clan de l'Est, opposé au 5e mandat. Est-ce le cas ? On n'en sait rien. Bouhadja est très fidèle au Président.» Cette volonté acharnée du FLN, et à un degré moindre le RND, à le faire débarquer du sommet de l'Assemblée a fini par prendre en otage toute une institution, qui incarne – théoriquement – la volonté populaire. Tout porte à croire que le sort de Bouhadja est déjà scellé, avec une majorité qui paralyse les activités parlementaires. Même si ce gel n'est pas prévu par la loi, il n'en demeure pas moins, qu'il suscite une rupture de confiance avérée qui met l'institution dans une situation d'incapacité, alors qu'elle est tenue, dans un délai de 47 jours, d'examiner et de voter le projet de loi de finances, déposé il y a deux jours au niveau du bureau. Par ce silence des plus hautes autorités, ne veut-on pas, quelque part, aller vers le pourrissement ? Pour nos sources, «les luttes de clans au sommet de l'Etat ont atteint des proportions inquiétantes. Elles augurent de nombreux changements qui vont faire bouger les centres de décision à la veille de 2019. Cela a commencé au cours de l'été dernier avec les changements à la tête des institutions sécuritaires, qui se poursuivront probablement pour toucher les institutions politiques». En tout état de cause, cette crise au sein de l'Assemblée est définitivement installée. Ses répercussions sur l'image du pays seront très lourdes…