Une assemblée générale de viticulteurs vient d'élire un nouveau conseil de gestion à la tête de la coopérative viticole de la wilaya, un conseil succédant à celui qui a été dissous par l'administration en juin 2008 et remplacé par un conseil provisoire ayant préparé ladite assemblée. Sur les 267 affiliés à la coopérative, 146 étaient présents, tous de nouveaux adhérents. Le quorum était certes atteint mais, fait incontournable, aucun des 60 membres fondateurs de la Coopevit, ceux qui la détenaient depuis 1992, et aucun membre du conseil de gestion déchu, n'étaient présents. Fait accessoire, il n'y pas eu de présentation du bilan moral et financier, ce qui n'était pas négligeable sachant que la Coopevit est en situation de quasi-faillite. Selon les contestataires, la procédure était entachée d'un vice de forme dans la mesure où le comité de gestion provisoire, qui a préparé l'AG et présidé aux nouvelles adhésions, n'avait pas été désigné parmi les coopérateurs en titre. En outre, la contestation porte sur la non-réactualisation de la valeur nominale de la part, une valeur sur la base de laquelle tout nouveau sociétaire devait acquitter son droit d'adhésion. Pour d'aucun des observateurs du monde agricole local, le premier résultat de ce boycott s'est traduit par le passage de la Coopevit des mains d'un clan vers celles d'un membre adverse qui, grâce à ses positions acquises au sein des institutions agricoles, a su tirer partie des décisions de l'administration agricole. Pour rappel, la coopérative, qui a été constituée autour de l'affectation par l'Etat d'une trentaine de caves viticoles du temps de l'économie administrée, a profité à un petit cercle de personnes parmi ses coopérateurs. Celles-ci, impliqués dans sa gestion, captaient sous forme d'indemnités une partie de la rente tirée de la location des caves louées à l'ONCV. Concrètement, la coopérative ne rendait des services directement à aucun de ses coopérateurs, puisque c'est l'ONCV qui y vinifiait et y conservait son vin, ce qui est un non-sens au regard de la pratique universelle en cette filière. En effet, les producteurs de raisins de cuve demeuraient des vendeurs de vendanges et non des vignerons, c'est-à-dire des viticulteurs censés transformer leur raisin en vin pour le proposer à des acheteurs et à des négociants. Ainsi, le hiatus entre ce que disposaient les textes et la réalité était tel qu'à la création de la Coopevit, il n'y a eu qu'une soixantaine d'agriculteurs qui y ont adhéré, alors qu'un patrimoine valant des centaines de millions de dinars leur avait été offert contre le versement de…1000DA par chacun pour matérialiser son adhésion. Mieux, même lorsque l'ONCV a effectivement perdu son monopole sur la commercialisation du vin et que la porte a été ouverte à des opérateurs privés, il n'y a eu que quelques-uns parmi les coopérateurs qui ont manifesté un réel intérêt pour la vinification, parce que légitimement tentés par l'énorme plus-value que dégage la transformation du raisin. En outre, le désengagement de l'ONCV de la wilaya de Aïn Témouchent et l'entrée en force de transformateurs privés ayant aiguisé les appétits, l'intérêt pour la Coopevit s'est également réveillé chez quelques viticulteurs qui n'en étaient pas membres et même chez d'autres non-producteurs de raisin de cuve. Enfin, les pouvoirs publics s'étaient mis de la partie, lorsque les incohérences de la politique de réhabilitation et de relance de la viticulture engagée depuis 2000 s'est transformée en catastrophe, parce que non réfléchie en fonction de la demande des transformateurs et des débouchés à l'étranger. Ainsi, ni la valeur marchande du raisin ni les variétés de cépages recherchées par le marché n'étaient réunies. De la sorte, une mévente du raisin de cuve en 2006 s'est traduite par un désastre au point que nombre d'agriculteurs ont arraché leur vignoble. Pis, le ministère de l'Agriculture s'est lavé les mains de l'affaire au point que depuis quatre ans il n'y a pas eu de visite d'un ministre en charge du secteur dans la région. Face à la situation, les autorités locales ont voulu impliquer les viticulteurs dans la transformation de leur raisin et dans la commercialisation du vin en les mettant directement en prise avec le marché de façon que les réajustements en amont dans la production s'opèrent en connaissance de cause à l'initiative des intéressés. Mais pour aussi louable et aussi pertinente que fut cette intention, elle a pêché pour avoir perdu de vue que dans l'affaire elle invitait à une révolution des mentalités paysannes. Il fallait provoquer le déclic chez les membres des EAC pour se débarrasser de la mentalité d'ouvrier agricole toujours prégnante pour celle d'exploitant agricole. Il y avait corollairement à susciter l'esprit d'entreprise dans un monde agricole par nature méfiant et conservateur, qui plus est dans une filière sur laquelle pèse l'anathème (voir encadré, les tabous et le reste). Au bout du compte, la grande masse des producteurs est demeurée réfractaire à « l'aventure ». De ce fait, l'objectif consistant à fédérer l'essentiel des producteurs autour de leurs intérêts communs et à professionnaliser la filière par leur implication au sort de la Coopevit s'est révélé illusoire, comme en témoigne le modeste nombre d'adhésions suscitées, (200 viticulteurs sur les 2000 recensés). Il était alors symptomatique que, lors de l'AG, le DSA ait essentiellement justifié le renouvellement du conseil de gestion par le fait de mettre en conformité la Coopevit avec les dispositions d'un décret exécutif datant de 1996, décret qui oblige toute coopérative à une harmonisation statutaire afin de bénéficier du renouvellement de son agrément. En fait, cette harmonisation avec les nouveaux textes, sous peine de dissolution, devait intervenir avant la fin 1998. Comment alors expliquer l'échec des autorités locales ? Pour tout observateur impartial, l'administration agricole a fait preuve d'une sérieuse ignorance des règles universelles qui fondent les coopératives viticoles, ce qui n'a pas favorisé la confiance en sa démarche. Mais encore, elle n'a pas fait preuve de pragmatisme et a oublié d'user de modération dans l'usage de la toute puissance publique. La preuve, l'adhésion à la Coopevit a été ouverte même aux producteurs de raisin de table, pourtant non concernés par la vinification. « N'est-ce pas que les uns relèvent de l'agro-industrie, alors que les autres sont des producteurs d'un fruit au même titre que tous les producteurs de fruits ou de légumes pour le marché en frais ? Ils n'ont ni les mêmes préoccupations ni les mêmes intérêts », remarquait-on à l'issue de l'AG. De plus, la représentation au sein du conseil a été calculée au prorata du nombre d'adhérents par zone, chacune ayant élu ses représentants. Cela s'est fait au détriment des zones, où le potentiel viticole est le plus important à travers la wilaya, ce qui, selon certaines voix, n'était pas sans arrière-pensée pour les besoins d'une mainmise d'un clan sur la coopérative. Il reste que pour nombre de nos interlocuteurs, il est encore possible que les autorités locales revoient leur copie en se convaincant que la coopération ne se décrète pas. « Elle est une nécessité qui s'impose et qu'un effort de pédagogie doit aider à prendre forme ». L'on tient pour preuve que la survie de la Coopevit, la seule coopérative agricole qui subsiste à travers la wilaya, ne s'explique que parce que les caves devaient demeurer opérationnelles. Quelle voie emprunter alors ? D'aucuns estiment qu'il convient de couper avec la logique de l'économie administrée qui a présidé à la naissance de la Coopevit et qui est toujours en vigueur. Ainsi, le mieux aurait été de tout reconstruire en suscitant la création de coopératives à l'échelle des communes ou des zones viticoles, cela aux lieu et place de la coopérative de wilaya. Cette idée a un fervent adepte en la personne de Benaouda Benamara, un homme de savoir et d'expérience. En effet, pour ce dernier, membre fondateur de la Coopevit, propriétaire de 20 ha de vignoble, ingénieur agronome, œnologue, ancien P-DG de l'ONCV et ancien expert auprès de l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) : « Effectivement, la solidarité et la coopération ne peuvent se construire qu'à la base, à petite échelle. Après, bien sûr, elles peuvent se fédérer progressivement à une plus grande échelle au gré des affinités. Car qu'est-ce qui peut unir un producteur en plaine avec un autre des piémonts ? Rien pour l'instant, ni la proximité du voisinage ni de palpables intérêts mutuels. »