Bras de fer, bataille de procédures, accusations et contre-accusations, intox et jeux de coulisses, preuves écrites ou encore menaces de plainte pour faux et usage de faux, ancien conseil de gestion contre nouveaux membres bénis par l'administration, la filière viticole à Aïn Témouchent n'en finit plus de défrayer la chronique agricole nationale. L'enjeu : la trentaine de caves que compte la wilaya et “propriété” de la coopérative vitivinicole locale, la Viticoop, dont l'estimation financière, pas encore d'actualité, flirte allègrement avec plusieurs dizaines de milliards. Un conflit qui semble mettre, de l'avis des spécialistes, l'avenir même de la viticulture entre parenthèses. Tous les acteurs de l'intrigue, et ils sont nombreux, revendiquent la paternité de la coopérative, sinon le bon droit de l'administration de leur côté. Chaque partie y va de sa légitimité “historique” et prend à témoins statuts, textes et décrets ministériels pour prouver sa bonne foi et crier à qui veut l'entendre qu'elle est la victime dans cette pièce qui se joue à ciel ouvert. Pour le conseil de gestion dissous depuis le 3 juin dernier sur décision du premier magistrat de la wilaya, les choses sont claires, et, selon les déclarations de son président Lakhdar Aïssaoui, “c'est une véritable cabale qui est montée par l'administration locale et ses relais au sein des institutions agricoles contre les sociétaires de la coopérative afin de la dissoudre et d'en finir avec la filière vitivinicole à Aïn Témouchent”. Pourtant ce statut de président lui est officiellement contesté par Othmane Houari, le directeur de wilaya des services agricoles, dans une correspondance datée du 14 septembre 2008 et adressée à Kada Belfar Mohamed, alors toujours gérant de la Viticoop avant d'être suspendu par le wali à compter du 20 janvier dernier. Le DSA, en effet, rappelle dans cette correspondance que M. Aïssaoui est identifié comme opérateur privé exerçant une activité concurrente à la coopérative. Des accusations réfutées alors par le gérant de la coopérative vitivinicole dans une réponse datée du 21 septembre 2008. Aïssaoui Lakhdar y est désigné comme membre fondateur de la coopérative, élu par ses pairs et n'exerçant aucune activité commerciale. Au-delà de cette passe d'armes sur la légitimité du président, c'est toute la pérennité du conseil de gestion qui est remise en cause par l'arrêté 504 du wali ordonnant sa dissolution. “Nous n'avons à aucun moment remis en question la décision du wali mais ce que nous n'avons pas accepté c'est qu'il ait désigné un nouveau conseil de gestion dont les membres sont étrangers à la coopérative, ce qui enfreint toutes les réglementations”, explique Aïssaoui Lakhdar. En effet, ce dernier s'appuie sur une circulaire ministérielle datée du 22 juin 1998 portant sur le contrôle des coopératives agricoles et qui stipule que le wali peut décider la dissolution du conseil de gestion et le remplacer par un autre conseil de gestion provisoire désigné parmi les coopérateurs eux- mêmes. Un argumentaire développé comme ligne de défense pour introduire l'affaire devant le tribunal administratif d'Oran qui devait en principe statuer sur la légalité et le bien-fondé de la désignation par le wali du nouveau conseil de gestion, le 28 février dernier. L'affaire, qui a été ajournée au 7 du mois en cours, a vu la demande des contestataires refusée par la justice. Selon Aïssaoui, les membres de l'ancien conseil de gestion vont faire appel pour leur part. La justice pour trancher Cependant, pour les nouveaux patrons de la Viticoop, Brahim Safi, désigné président du conseil de gestion par la toute dernière assemblée générale élective qui a enregistré la présence de 146 affiliés, tous de nouveaux adhérents de la Viticoop qui compte actuellement 252 sociétaires, ainsi que Adada Okacha, président du conseil provisoire pour l'organisation de l'AG extraordinaire élective, l'argument de l'ancienne équipe ne tient pas la route puisque “c'est nous les fondateurs de la coopérative”, affirment-ils en insistant sur la mainmise de l'ex-conseil de gestion sur la coopérative et ses caves. “Ils ont pris en otage la coopérative à travers le conseil de gérance depuis 1995”, diront-ils. Une terminologie reprise par le DSA qui affirme que la “coopérative a été prise en otage par un groupe de personnes qui en a profité sans faire profiter la grande majorité des fellahs en refusant l'adhésion de nouveaux sociétaires”. Houari Othmane évoquera la réglementation en vigueur, le décret exécutif 96 459 relatif aux règles applicables aux coopératives agricoles, ainsi que la circulaire 291 pour situer le débat sur un terrain purement réglementaire. “On leur a adressé plusieurs mises en demeure pour se conformer au nouveau décret et régulariser leur situation mais ils n'ont jamais répondu”, ajoutera-t-il. Ce que dément formellement Kada Belfar Mohamed dans un courrier adressé au DSA l'informant que l'harmonisation des statuts préconisée par la loi de 1996 a été transcrite par un notaire à Aïn Témouchent le 27 juillet 1999. Le conseil de gestion dissous accuse, quant à lui, la direction des services agricoles d'être l'instigateur de tous leurs malheurs en s'acharnant sur eux et en instrumentalisant le personnel salarié de la Viticoop et du syndicat des travailleurs ainsi que d'être l'instigateur de l'arrachage sauvage de jeunes implantations. Il accuse également la DSA d'émettre des bons d'adhésion en faveur de la nouvelle équipe parallèle constituée, selon la lecture d'une mise au point de la Viticoop parue dans un quotidien national le 26 janvier dernier, d'anciens coopérateurs de coopératives dissoutes et dilapidées provenant essentiellement d'un clan occulte orchestré et mis sur pied par la Chambre d'agriculture. L'interrogation de la Viticoop laisse planer beaucoup de doute sur l'avenir proche de la filière viticole. Pour l'histoire, la viticulture en Algérie a toujours joué un grand rôle dans le domaine économique et social. Plus de 40% de la main-d'œuvre algérienne était déjà employée dans le secteur, au début du XIXe siècle. Cependant, le vignoble de l'Algérie post-indépendante a connu une régression importante, d'où la nécessité de sa réhabilitation. Les pouvoirs publics l'avaient compris mais la politique de réhabilitation de la viticulture a imposé une décision, celle d'orienter l'encépagement du vignoble vers des variétés qui correspondent aux besoins d'exportation. Une décision qui s'est traduite malheureusement, s'accordent à dire les spécialistes, par un gâchis. En effet, les objectifs visés à travers la politique de réhabilitation de la vigne de cuve étaient en passe d'être compromis par le déséquilibre constaté dans l'encépagement, un déséquilibre né de la tendance marquée chez les agriculteurs à replanter de préférence le cinsaut et le mersegherra. Les assurances de la direction des services agricoles Choisies au moment du greffage des plants, ces deux variétés ne répondent pas aux besoins de production de vins de qualité, des vins avec lesquels l'Algérie ambitionne d'arracher des parts d'un marché international très fermé. Ainsi, les pouvoirs publics ont introduit, à la veille de la période de greffage, une nouvelle condition d'éligibilité des agriculteurs à la subvention du Fonds national pour le développement agricole (FNDA). Tout candidat à la subvention est sommé de ne greffer ses plants racinés qu'avec des cépages recommandés par l'Institut technique de l'arboriculture fruitière (Itaf), des cépages tels le carignon, le grenache, le mourvetta, l'alicante bouchet, le cabernet sauvignon et le pinot noir. Cette exigence a réussi à réhabiliter la réglementation en matière de respect du cadastre viticole. Cette réglementation, rappelle-t-on, a été ignorée pendant plus de deux décennies. Pour le secteur de la viticulture, il a été prévu, dans le cadre du Plan national de développement agricole (PNDA ) à l'horizon 2004, que le pays dispose de 120 000 hectares de vignoble, soit le tiers de ce qui existait en 1962. L'objectif était de faire passer la consommation de 6 à 7 kg par habitant et à 15 kg par an, c'est-à-dire qu'elle atteigne la moyenne existant sur le pourtour méditerranéen. L'objectif est également de parvenir à produire 1 million d'hectolitres de vin dont 800 000 destinés à l'exportation. Cependant, Aïn Témouchent reste l'exemple de l'échec de la politique de réhabilitation du vignoble. La wilaya a adopté le programme de viticulture depuis le lancement du PNDA en 2000, avec la plantation de plus de 17 000 hectares de vignes. Par ailleurs, des viticulteurs ont procédé à l'arrachage des vignes, à cause du refus de l'ONCV de réceptionner le raisin de type mersegherra. Le potentiel viticole de la wilaya de Aïn Témouchent avoisine les 25 000 hectares dont plus de 21 000 sont destinés au vin de cave. Pourtant les chiffres actuels donnés par le DAS sont de l'ordre de 12 500 hectares de cépages productifs répartis entre plus de 2 500 viticulteurs et quelque 30 caves à vin dont une dizaine ou un peu plus sont fonctionnelles. “Si la filière se développe, la dizaine de caves suffisent”, dira-t-il avant d'ajouter qu'en termes de perspective, il faut “se limiter à la superficie actuelle tout en améliorant la productivité et la qualité des cépages”. Quant aux caves, au centre de toutes les convoitises, il affirmera qu'en cas d'incapacité de la coopérative viticole à régulariser sa situation avec le service des Domaines, en achetant les assiettes de terrain, puisque la Viticoop est propriétaire des murs depuis 1996, les Domaines pourront vendre les caves aux enchères après la dissolution de la coopérative. Une option qui n'enchante guère les transformateurs, acteurs incontournables de la filière vinicole locale, qui ont consenti de gros investissements dans la région en assurant l'écoulement de toutes les récoltes du raisin après la saison catastrophique de 2006 qui a vu le désengagement de l'ONCV qui a porté un préjudice de plus de 6,5 milliards de centimes, selon l'ancien conseil de gestion, et qui serait derrière la situation de quasi-faillite de la Viticoop. Cependant, le DAS s'est voulu rassurant en affirmant que “dans l'intérêt de la viticulture et du vignoble de cuve à Aïn Témouchent, tous les contrats passés par le conseil de gestion dissous avec les transformateurs seront honorés”. Quoi qu'il en soit, et en attendant que tous les voiles soient levés sur cette affaire, c'est toute une filière qui tremble devant des lendemains incertains alors que la politique de réhabilitation initiée par l'Etat est on ne peut plus claire. Certains observateurs, au fait du dossier, pensent que l'avenir de la viticulture passe impérativement par l'implication effective du privé pour sauver encore ce qui peut l'être. S. O.