Bien au contraire, la Chine se confirme aujourd'hui comme l'«atelier du monde». En 2002, et pour la première fois, elle a attiré plus d'investissements étrangers que les Etats-Unis (53 milliards de dollars). 420 000 entreprises étrangères y sont désormais implantées pour se garantir une plateforme de production compétitive à l'exportation, mais également pour prendre une part du marché chinois, marché en expansion rapide et constante. Cependant, la Chine n'est pas seulement un exportateur hors pair, elle est aussi un acheteur fiévreux qui achète tout, ou presque, à travers le monde : gaz et pétrole de chez nous, crevettes en provenance de Thaïlande ou du Vietnam, bois d'Indonésie, écrans plats chez le compétiteur coréen, composants électroniques chez les Français, etc. Ce qui représente globalement plus de 450 milliards de dollars d'achat l'année dernière contre près de 500 milliards de dollars de vente. 4 650 000 ingénieurs ont été diplômés des universités chinoises en 2001, un score qui frôle celui des Etats-Unis. La Chine fabrique un quart de la production mondiale de téléviseurs couleurs et représente le plus grand marché des téléphones cellulaires du monde. Cette année, on s'attend à ce qu'elle devienne le second fabricant mondial de semi-conducteurs. Mais ses ambitions ne s'arrêtent pas à l'échelle de notre planète, car ayant lancé un vol spatial habité l'an dernier, la Chine projette même d'envoyer un satellite de sondage lunaire en 2007. COOPERATION BILATERALE ALGERIE-CHINE Tous les pays qui ont compris les enjeux de la Chine assez rapidement, et qui se sont mis comme but de répondre aux besoins chinois, tirent leur épingle du jeu. Notre pays en fait partie. En effet, le boom économique a poussé la Chine à exercer une demande de plus en plus pressante pour les importations de pétrole. La production domestique chinoise ne pouvant plus assumer seule le même rythme effréné, l'Algérie s'est vu accorder la possibilité d'élargir son marché pétrolier, notamment celui du gaz pour financer sa puissante alliée. La visite du président chinois Hu Jintao à Alger, en février dernier, a abouti aux pactes de coopération bilatérale escomptés entre les deux pays. Les pactes signés incluent des accords sur le pétrole, le gaz mais aussi sur l'échange des matières premières dont la Chine a si besoin, et ce, contre l'exportation de produits manufacturés chinois (pour la plupart électroménagers, textiles ou médicaments) à écouler dans nos rayons. La compagnie pétrolière chinoise Sinopec a signé un contrat de 525 millions de dollars en 2002 pour développer le champ de Zarzaïtine dans le Sahara. La compagnie nationale chinoise pour le développement et l'exploration du pétrole et du gaz (CNCOGEDC) s'est engagée à construire une raffinerie près d'Adrar. En juillet 2003, la China National Petroleum Corporation s'est elle aussi vu attribuer un contrat d'une valeur de 350 millions de dollars pour importer du pétrole d'Algérie. La Chine et l'Algérie ont tissé des liens d'amitié solides même avant l'indépendance, et la naissance de leur coopération économique se fit en 1964. Des contrats de projets technologiques chinois en Algérie ont commencé dès 1979. Néanmoins, ce sont ces dernières années, avec le développement constant de notre économie nationale, que le commerce entre notre pays et le dragon asiatique s'est particulièrement accru jusqu'à atteindre une valeur marchande approchant les 200 millions de dollars en 2000. En même temps, la valeur des produits industriels chinois que l'Algérie a importés entre janvier et novembre 2003 a atteint la somme phénoménale des 295,83 millions de dollars. Ce qui représente presque 50% de la valeur totale des importations nationales. Selon les statistiques des Douanes algériennes, les importations des produits chinois du mois de janvier jusqu'au mois de septembre 2003 se sont chiffrées à un total de 338 millions de dollars. La Chine devient ainsi la septième destination d'importation de notre pays. A la fin du mois de septembre 2002, les deux pays avaient signé un total de 198 contrats d'une valeur contractuelle de 1,898 milliard. Plus de 5000 ouvriers chinois travaillent chez nous pour l'instant. 14 compagnies chinoises, dont la fameuse compagnie de construction China State Construction Engineering Corporation, font des affaires en Algérie. Les activités de ces compagnies varient : construction, conservation hydraulique, pétrole, télécommunications. Selon les statistiques de la Coopérative chinoise de l'économie étrangère, la valeur des contrats que la Chine a signés avec l'Algérie en 2001 a été classée cinquième mondiale et première au niveau de l'Afrique (le Gabon étant le second partenaire-clé africain). Parce que l'Algérie est riche en pétrole et en gaz, et qu'elle dispose de réserves importantes (estimées à 135 milliards de barils en fin 2003), il est naturel que la Chine se dirige vers elle pour renflouer ses besoins croissants en énergie. En octobre 2003, la China National Petroleum Corporation (CNPC) a signé deux contrats : un pétrolier et un relatif à l'exploration du gaz dans le bassin du Chélif. Négociant son entrée à l'OMC, l'Algérie ne cache pas qu'elle s'inspire du succès de l'économie de transition chinoise. Les accords d'une coopération économique à grande échelle et le prêt préférentiel accordé à notre pays (estimé à 48 millions d'euros, soit 38 millions de dollars) en février constituent sans nul doute les garants d'une future collaboration très prometteuse entre les deux pays. DYNAMIQUE DES INVESTISSEMENTS ETRANGERS On ne peut contester aujourd'hui que la Chine est devenue le maillon incontournable de la chaîne des productions mondiales. En termes de compétitivité, le monstre chinois est imbattable car il bénéficie de l'attrait d'une base d'assemblage à bas coûts salariaux ainsi que des investissements directs étrangers qui affluent dans le pays. En 2003, l'industrie automobile est devenue le cinquième secteur de base de l'industrie chinoise et la première contributrice de la croissance des profits industriels. Ces trois dernières années, le volume de vente des automobiles a maintenu une croissance à deux chiffres. On prévoit que la tendance se maintiendra jusqu'en 2010. L'augmentation toujours plus considérable de la vente d'automobiles et le rythme accéléré de la croissance économique rehaussent l'attrait du marché chinois aux yeux des sociétés pétrolières de l'étranger. En outre, la plupart des stations d'essence chinoises fournissent seulement un service élémentaire – le ravitaillement – ce qui laisse aux étrangers beaucoup d'occasions commerciales pour exploiter d'autres produits et services. Dans le secteur de la téléphonie cellulaire, il y a trois ans, la Chine produisait quelque 35 millions d'appareils chaque année. Les Chinois ont renforcé cette capacité annuelle à près de 200 millions d'unités, soit environ 45% de l'offre mondiale, en dépassant les Etats-Unis et se classant en tête de liste. Certains experts estiment que dans trois ans la production sera doublée et inondera le monde entier de téléphones cellulaires bon marché. Le ministère chinois de l'Information estime que les marques chinoises telles que TCL (champion national chinois que l'on comptera bientôt parmi les 5 plus grandes entreprises mondiales de téléphones portables) défient ainsi les géants classiques des télécommunications. La compagnie Motorola (comme Nokia) n'a pu empêcher son marché d'être réduit de moitié l'année passée. Mais si l'on en croit les sources de la compagnie, la valeur de rendement annuelle de Motorola et son total d'investissement en Chine s'élèveront quand même à quelque 10 milliards dollars en 2006. Simultanément, le géant industriel japonais Toshiba a déclaré, à la même époque, que le marché chinois sera sa base d'opération mondiale en 2008 alors que la compagnie prévoit d'augmenter son investissement en Chine de manière progressive durant les cinq prochaines années. Siemens aussi prévoit d'augmenter ses ventes en Chine de 11 milliards d'euros d'ici l'année prochaine et compte employer 6000 autres personnes. En 2002, la compagnie allemande avait déjà recensé plus de 25 000 employés en Chine. Le géant mondial de la vente au détail Wal-Mart a ouvert un supermarché à Beijing en juin 2003 et prévoit d'établir 80 points de vente dans 20 villes chinoises en deux ans, pour un chiffre d'affaires annuel de 30 milliards de yuans (soit 3,63 milliards de dollars). Durant les deux prochaines années, le monstre français Carrefour ouvrira 70 nouveaux magasins en Chine, étendant ainsi ses opérations à 100 points de vente et augmentant ses ventes annuelles à 30 milliards de yuans (3,63 milliards de dollars). American Express, le pourvoyeur majeur de cartes de crédit, service financier et de voyage, a lui aussi établi un centre de gestion de voyage en Chine. Une enquête d'American Express démontre que les dépenses annuelles liées aux voyages atteignent 10 milliards de dollars en Chine, avec des dépenses liées aux voyages d'affaires allant jusqu'à cinq milliards dollars, pratiquement le même chiffre que dans les pays développés européens tels que la France et l'Allemagne. Après l'éruption de l'épidémie de SRAS, les industries pharmaceutiques, alimentaires et des assurances ont rapidement suscité un vif intérêt de la part des gros investisseurs du monde entier ; cela étant dû à l'immense potentiel de marché dans ces domaines mis en lumière par le combat de la Chine contre cette épidémie à l'échelle nationale. La compagnie Glaxo Smith Kline Biologicals Shanghai Ltd. a décidé de décentraliser toutes ses lignes de produits au cours de l'année ou des deux années prochaines. Des sources du géant pharmaceutique avaient prédit une plus grande importance attachée aux soins médicaux et à la prévention des maladies après l'épidémie du SRAS, stimulant ainsi davantage le marché pharmaceutique chinois. Autre exemple de récupération économique spectaculaire, le géant mondial de l'assurance American International Group Inc. (AIG) a estimé que ses contrats d'assurance-vie avaient augmenté de 40 % l'an passé en Chine, démontrant la sensibilité croissante des Chinois à l'égard des risques causés par de soudaines crises telles que celle du SRAS. REFORMES ECONOMIQUES Après vingt ans de réforme vers une économie de marché, la Chine s'est enfin lancée dans une décentralisation d'envergure de son énorme secteur d'Etat. En libéralisant l'investissement, le gouvernement chinois n'entendait pas privatiser l'Etat dans le sens d'une vente en gros comme ce fut le cas en Russie et dans plusieurs pays d'Europe de l'Est au tournant des années 1980-1990. Ce à quoi tend le géant asiatique, c'est briser le monopole d'Etat traditionnel dans plusieurs secteurs, facilitant ainsi l'accès au marché pour les investisseurs privés et étrangers. Le système dit d'«économie socialiste de marché» a donc commencé à s'établir. Le gouvernement chinois y est parvenu en mettant d'abord en œuvre le rôle fondamental du marché dans l'allocation des ressources ; ensuite, en établissant une structure économique dans laquelle le secteur public chinois occupe encore une place prépondérante, mais en permettant que divers autres secteurs s'y développent simultanément. Les secteurs non étatiques se sont ainsi développés fortement et sont devenus une composante vitale soutenant l'économie nationale chinoise. L'économie nationale a maintenu une croissance rapide et régulière. Pendant les treize dernières années, le PIB chinois s'est élevé à un rythme annuel moyen de 9,3 %, soit 3,2 points de plus que la moyenne annuelle des 30 ans avant la réforme et l'ouverture, rythme remarquable par rapport à la croissance de 2,5 % de l'économie mondiale dans les années 1990. De 1996 à 2001, la valeur de la production industrielle chinoise du secteur de technologie de pointe a augmenté à un rythme annuel moyen de 20 %. La recherche de programmes spécialisés, y compris la fabrication d'équipement ferroviaire urbain, d'équipement de fabrication chinoise affecté à la protection de l'environnement et d'équipement des télécommunications numériques a connu des progrès spectaculaires. À la fin de l'année dernière, la capacité des générateurs atteignait 338 millions de kWh, se propulsant au deuxième rang mondial. La facilité des communications et du transport a également augmenté de façon perceptible. On compte actuellement en Chine 70 000 km de chemins de fer contre 58 000 en 1990, et 1,7 million de kilomètres de routes contre 1,03 million en 1990, dont 19 000 km d'autoroutes, occupant de la sorte la seconde place mondiale. OUVERTURE SUR L' EXTERIEUR En 2001, le montant total du commerce extérieur de la Chine a placé le pays au 6e rang mondial, du 16e qu'il occupait en 1990. La Chine s'est trouvée en tête des pays en développement pendant neuf ans de suite dans le domaine de l'absorption des capitaux étrangers. Ces dernières années, bien des entreprises chinoises ont fait valoir leurs avantages, investi à l'étranger, ou procédé à la coopération économique et commerciale. A la fin de juin 2002, les entreprises chinoises (autres que financières) à l'étranger étaient au nombre de 6758, pour un montant contractuel total de 13,2 milliards de dollars, dont 8,88 milliards d'investissement de la partie chinoise. Les sphères d'investissement se sont élargies progressivement du commerce de la transformation, de la restauration, des programmes d'offre de main-d'œuvre vers l'exploitation des ressources, la recherche sur les produits et les télécommunications par satellite. La Chine a particulièrement gagné du terrain sur le plan de l'exploitation et de l'utilisation des ressources étrangères comme le pétrole, le gaz naturel, les mines de fer, la forêt, etc. L'exploitation internationalisée a fait un pas important : un grand nombre d'entreprises chinoises a commencé à opérer à l'étranger. Les contrats d'ouvrages de construction et les programmes d'offre de main-d'œuvre se sont développés de façon rapide. La Chine s'est hissée au rang des dix premiers pays en matière d'ouvrages forfaitaires et elle peut entreprendre des travaux à forfait incluant conception-achat-construction, au lieu d'assumer seulement une partie des travaux. A la fin de l'année dernière seulement, les contrats signés étaient estimés à près de 100 milliards de dollars. CONTREFAÇONS À LA CHINOISE Le miracle économique chinois n'a pas cessé d'étonner tant les économistes et les autres spécialistes que les profanes du mode entier. La prophétie qui fait de l'Empire du Milieu la future puissance du siècle prochain ne saurait masquer, cependant, des réalités plus sombres. Au niveau mondial, le revers de la médaille chinoise expose les failles du système et dénonce le piratage sauvage (hélas si médiatisé !) qui privent les compagnies étrangères implantées en Chine de millions de dollars de gain. Le non-respect de la propriété intellectuelle, la copie illégale de CD, DVD et autres composants informatiques, les vols de logos et de marques et – plus grave encore – les contrefaçons de médicaments conduisent la communauté internationale à tirer la sonnette d'alarme. Les conséquences désastreuses de l'impuissance du gouvernement chinois à exercer toute forme de contrôle révèlent la fragilité inhérente au paradis commercial asiatique. Mais les inégalités du boom ne s'arrêtent pas là ; prise dans une dynamique de changement, la Chine garde avant tout une économie duale. Dualité, d'abord, entre les zones côtières qui bénéficient de conditions particulières et le marché intérieur, avec ses droits de douane élevés et ses restrictions commerciales de toutes sortes. Dualités, également, entre zones dynamiques à salaires élevés et régions d'industries traditionnelles, dans l'Ouest ou en Mandchourie, où le taux de chômage peut atteindre 20 à 30 % de la population active. La Chine profonde des campagnes, restée à l'écart du miracle économique, déverse chaque année dans le Sud et l'Est prospères son flot de migrants entassés dans des baraquements sordides. Le salaire moyen d'un ouvrier chinois est de 0,5 dollar de l'heure, presque deux fois moins qu'au Mexique et environ 17 à 18 fois moins qu'en Europe. Entre 150 et 300 millions de Chinois vivent avec moins d'un euro par jour, soit environ six fois moins que chez nous. Les fermetures de mines de charbon et la crise de la sidérurgie accroissent le nombre de chômeurs (autour du 10 %). L'hypercroissance chinoise menace également l'environnement et crée ainsi son lot de «réfugiés écologiques». Seize des vingt villes les plus polluées de la planète sont chinoises. Les déchets rejetés par l'industrie (estimés à 1 milliard de tonnes par an) contaminent les nappes phréatiques. 80 millions d'hectares sont menacés de désertification à cause de l'utilisation intensive des sols et de la déforestation. La Chine est le second pays producteur de gaz à effet de serre après les Etats-Unis avec pour résultat alarmant le plus haut taux de maladies respiratoires au monde et un taux de mortalité cinq fois supérieur à celui de l'Occident. De nouveaux soucis apparaissent même au sujet d'une surchauffe éventuelle de l'économie chinoise. L'inflation, le nombre d'emprunts et l'immobilier sont en forte hausse et inquiètent les observateurs qui y voient les premiers signes de danger. Leurs inquiétudes sont confirmées par les récentes déclarations de la Banque centrale chinoise demandant aux banques d'augmenter le niveau de leurs réserves obligatoires et plaidant en faveur d'une hausse des taux d'intérêts. Enfin, les investisseurs froncent les sourcils à la vue des prix pétroliers, dopés par une demande croissante en provenance de Chine, par la baisse de la production des pays de l'OPEP et par les instabilités géopolitiques. Il est peut-être encore trop tôt pour exprimer ces préoccupations à propos du miracle économique chinois. De plus, les perspectives à long terme de l'essor économique de la Chine devraient rester favorables, malgré les défis de ces années à venir. Quoi qu'il en soit, une chose est claire : l'évolution de l'économie chinoise ne peut nous laisser indifférents étant donné que, avec l'économie américaine, elle constitue le principal moteur de l'économie mondiale. Et il n'est pas exclu qu'il en sera ainsi pendant le reste de notre vie de consommateurs de produits «Taïwan».