Elle devient peu à peu une idéologie, une marque de fabrique pour tous les terroristes islamistes du monde entier, affirment certains experts. Des membres des services secrets pensent qu'elle conserve un large pouvoir décisionnel mais s'appuie sur des ramifications locales. Les avis des spécialistes divergent mais mettent en lumière certaines zones d'ombre. Levons le voile sur cette organisation qui fait trembler le monde. Rappel historique : le réseau est passé à l'action dès 1993 et comptait quelque 5000 combattants. Al Qaîda était une organisation relativement structurée, avec des camps d'entraînement, des donneurs d'ordre, une planification d'opérations… Mais au cours de la guerre en Afghanistan, 80 % des combattants ont été éliminés. Un rapport publié en 2004 par l'Institut international d'études stratégiques (IISS) estime que «sur un plan offensif, l'intervention en Afghanistan a délogé Al Qaîda. Mais sur un plan défensif, le réseau en a tiré parti. Si Al Qaîda a perdu un pôle d'attraction, d'entraînement, de commande et une base opérationnelle, cela l'a «contraint» à se disperser et devenir encore plus décentralisée, virtuelle et invisible». Quelques membres d'Al Qaîda se rendirent au nord de l'Irak, jusqu'à l'arrivée sur place des forces de la coalition, d'autres poursuivirent leurs activités en Iran. Une cellule opérationnelle se réfugia à Karachi, où les services américains et pakistanais l'ont démantelée. De nouveaux réseaux se sont mis en place, pas toujours liés à la structure d'Al Qaîda, comme celui d'Abou Moussab Al Zarkaoui. La chute des talibans a entraîné une dispersion dans le monde entier d'individus entraînés dans les camps afghans. Dans leur pays de résidence, ils ont le savoir-faire et la légitimité pour mettre en place des cellules terroristes. C'est le «deuxième âge d'Al Qaîda», selon un rapport de l'Assemblée nationale française publié en 2004. La stratégie de communication de Ben Laden a été un succès. Elle a permis un foisonnement d'initiatives décentralisées par des cellules autonomes. Le lien direct Al Qaîda est ténu et se résume souvent à un «suivisme idéologique». Les spécialistes du terrorisme comparent aujourd'hui la mouvance Al Qaîda à une structure en réseau horizontal, comme Internet. Elle est capable de monter des alliances, sorte de groupements d'intérêts terroristes (Jihad égyptien, groupe Abu Sayyaf philippin…). Elle est devenue une sorte de «terrorisme franchisé», selon l'expression de Jean-François Daguzan. Le rôle d'Al Qaîda semble se diviser en deux parties distinctes : certaines attaques (Somalie, ambassades d'Afrique de l'Est, USS Cole, 11 septembre, peut-être les récents attentats de Riyad) ont été dirigées par ses propres membres, qui ont eu recours à des tiers pour la fourniture du matériel. Mais dans la plupart des opérations (détroit de Gibraltar, attentats de Casablanca et de Madrid), Al Qaîda fournit des conseils, des fonds et des instructions, mais confie à d'autres le soin de mener l'action. Sur le plan économique, Al Qaîda fonctionne comme une holding (subsidiarités, filiales, sous-traitance) avec un cahier des charges qui permet une relative liberté opérationnelle. C'est une structure de groupes terroristes «labellisés» Al Qaîda. Sur le plan géographique, on assiste à une prolifération inquiétante du mouvement, notamment en Afrique, qui était jusque-là le «ventre mou du terrorisme», et en Asie, particulièrement en Malaisie, Indonésie, Cambodge, Thaïlande, Tchétchénie et dans la région chinoise du Xinjiang. L'IISS estime qu'Al Qaîda est désormais présente dans plus de 60 pays. Les attentats de Madrid prouvent qu'Al Qaîda s'est pleinement reconstituée. Les services de renseignement américains estiment que certaines activités, comme la préparation des bombes, sont sans doute centralisées et donc plus efficaces et sophistiquées. Une trentaine de leaders et 2000 membres ont été tués ou capturés depuis 2001. Mais Al Qaîda disposerait, selon l'IISS, de plus de 18 000 activistes et l'occupation de l'Irak a accéléré le recrutement dans les rangs du mouvement.