Il a du plomb dans l'aile, le tout nouveau discours sur le « patriotisme économique » du gouvernement Ouyahia. Alors que le Premier ministre donnait le 22 décembre 2008 instruction aux responsables de favoriser, dans l'attribution de marchés publics, des biens et services d'origine algérienne, le ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, surprend par des décisions qui sont pour le moins aux antipodes de cette nouvelle politique économique. Le 8 janvier passé, M. Ghoul ordonne par l'entremise de l'Agence nationale des autoroutes, maître d'ouvrage délégué pour la construction de l'autoroute Est-Ouest, au consortium japonais Cojaal chargé de l'exécution du tronçon Est, de modifier le système de retenue de véhicules en structure de béton en lieu et place des glissières de sécurité métalliques. Lourde de conséquences, la décision du ministre ne tardera pas à faire sa première victime : la société TubeProfil (spa). Financièrement mal en point, sujette à privatisation, cette filiale du groupe Anabib spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de tubes, tôles et profilés en acier, s'est vue signifier la résiliation de deux de ses plus gros contrats de fournitures de glissières de sécurité pour le lot Est (autoroute Bordj Bou Arréridj- frontière tunisienne) sur un linéaire de 530 km. Des contrats vitaux pour l'entreprise et comptabilisant plus de 2 milliards de dinars. Le revirement du ministre « a signé l'arrêt de mort » de la filiale, car l'activité des retenues métalliques représente, d'après Djamel Temzi, président du comité de participation du Groupe et membre de la direction du syndicat, 60% du plan de charge directe de l'entreprise. L'unité de production, située dans la zone industrielle de Réghaïa, est en cessation d'activité depuis le 19 janvier. 530 travailleurs se retrouvent temporairement au chômage et 70 autres agents engagés en CDD ont vu leur contrat résilié. Le syndicaliste craint le pire. « Pour remplir nos engagements, l'entreprise, dit-il, a consenti de gros investissements. Plus de 150 milliards de centimes dont 80 milliards pour l'importation de la matière première, les bobines d'acier. Nous avons renoncé aux contrats antérieurs pour nous consacrer exclusivement à ce projet "politique". Nous avons formé notre personnel, travaillé 24h sur 24, ce qui nous a permis de remplir déjà plus de 50% de contrats qui courent jusqu'à septembre prochain ». M. Temzi dit ne pas comprendre les raisons qui ont poussé le ministre à changer intempestivement son fusil d'épaule et dénoncer ces contrats alors qu'ils sont en cours d'exécution. « Les glissières de sécurité métalliques que nous produisons sont certifiées conformes aux normes internationales et sont même préconisées par le bureau d'études français qui a travaillé sur le projet de l'autoroute Est-Ouest. » Ghoul et l'argument de la sécurité routière Les séparateurs en béton sont, d'après le président du comité de participation, plus coûteux et surtout dangereux pour les usagers de la route que les glissières métalliques, il cite, pour ce faire, des rapports d'experts. Le fait, dit-il, que nombre de pays occidentaux aient adopté ce type de glissières dénote de leur efficacité. L'avis du ministère des Travaux publics est (depuis peu) tout autre. Le chargé de communication du ministère, M. Oukil, soutient que les « New Jersey (retenues en béton armé et en continu) qui équiperont dorénavant toute l'autoroute ne vont pas engendrer un surcoût financier important "et seraient" beaucoup plus avantageuses en matière de sécurité routière ». « Les séparateurs centraux et latéraux doivent être en béton », affirmait Amar Ghoul en déplacement jeudi passé sur le chantier de Aïn Chriki, à Bouira. Son argument est également celui du renforcement de la sécurité routière. « Cela empêchera, déclarait-il à la presse, le passage des riverains et des animaux sauvages qui peuvent mettre en danger la vie des usagers de l'autoroute. L'accès à celle-ci doit se faire uniquement par les échangeurs. » Le ministre des Travaux publics ne soufflera mot sur les entreprises qui seront passibles de rafler le marché des barrières en béton ni sur les surcoûts que cela induira indubitablement. Dans sa lettre adressée début février au ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, le ministre de l'Industrie et de la Promotion des investissements, Abdelhamid Temmar, l'exhorte à reconsidérer l'option des retenues en béton qui « pénalisera, écrit-il, lourdement la société TubProfil qui subira des conséquences négatives sur le plan économique, financier et social (…) ». La société serait en proie à « un déséquilibre financier important (…), même si elle est indemnisée à hauteur des engagements qu'elles a réalisés ». Le maintien de cette décision obligera, selon le ministre, « à réduire de façon importante ses effectifs et redéployer ses activités sur d'autres segments sans une réelle perspective optimiste ». M. Temmar fait observer à son collègue du gouvernement les impacts négatifs qu'induira sa décision. « Outre le fait que le dispositif de retenues en béton armé coûteront probablement plus cher (…), des quantités importantes de béton et de ferraillage seront nécessaires à la réalisation de tous les ouvrages. Ceci diminuera, d'une part, les disponibilités de béton et de fer pour les autres chantiers, et d'autre part, occasionnera le démontage des retenues métalliques (achevées d'installation pour le tronçon Ouest, ndlr). Aussi, la nécessité de revoir le dispositif d'écoulement de l'eau pour la version en béton va non seulement induire des surcoûts importants, mais probablement engendrer des retards dans la livraison de certains tronçons de l'autoroute. » Qualifié de « projet du siècle », l'autoroute Est- Ouest, longue de 1200 km, financée sur le budget de l'Etat, devrait coûter 11 milliards de dollars. L'autoroute devrait être livrée courant 2009, ce qui d'ores et déjà paraît complètement compromis.