Il leur a concocté les procès de délits communs pour brouiller les esprits et éloigner d'eux les cercles de solidarité. Heureusement, il y a des guetteurs qui s'attendent à l'inattendu et ne baissent pas les bras. Toute leur vie, Nedjib et Jalel ont voulu être des hommes libres. Ici commence le premier jour du reste de leur vie. Ils sont en prison. Mais libres. A condition de faire de leurs mésaventures des ailes, pas du plomb. Ce premier virage, où le régime de Ben Ali cherche à donner de nous l'image de «malfrats», sera vite oublié. Passée la première dune, agrippés les premiers barbelés, écopés les premiers tirs, on va franchir la ligne d'arrivée. Et alors ? Ce «et alors» vous prend sans prévenir. Et que peut-on faire ? On ne peut rien faire. De l'indignation à l'impuissance, de l'impuissance au ressentiment, voilà le terrain propice à toutes les infamies. A toutes les peurs. A notre goût immodéré pour la servitude volontaire. La Boétie pose la question qui vaut aujourd'hui : «Pourquoi se laisser asservir alors que nous sommes nés libres ?» Les habits neufs dont Ben Ali s'était affublé deviennent transparents. On ne voit que l'ignominie au travers. Du rien. «Les peuples n'ont jamais que le degré de liberté que leur audace conquiert sur la peur», disait un sage. Vite alors, trouvons le plus grand mur possible pour y inscrire ce proverbe : «Faut-il attendre d'être vaincu pour changer ?» Tunis, le 5 octobre 2004