Les amendements « Dilem » du code pénal sur la diffamation furent déjà des signes avant-coureurs. Après la consécration juridique de la mise au pas de la presse non acquise aux thèses du pouvoir, c'est au tour des travailleurs de subir un musellement en règle à travers leurs organisations et leurs représentants. Le monde du travail proteste, prend conscience et risque de gêner les plans préétablis du pouvoir. Au lieu de se recycler et de se mettre en conformité avec l'état d'esprit de la société, le pouvoir préfère apparemment museler ses opposants, les forces vives du pays et étouffer toutes formes de revendications. La Grande Hérésie Les décisions, prises lors du Conseil de gouvernement du 20 octobre 2004, trahissent le désarroi des pouvoirs publics. La multiplication des mouvements de protestation, qui s'est propagée au sein même des rangs de l'allié naturel du pouvoir, contrarie les plans préalablement établis par les pouvoirs publics. L'échec programmé de la bipartie, dissons plutôt la monopartite, a augmenté la frustration des travailleurs. Ce malaise affiché publiquement et avec détermination a semé le doute au sein du pouvoir lui-même. Ce dernier a même fait de la date de la bipartite un secret d'Etat. Les dernières décisions ne sont qu'une réplique irréfléchie des pouvoirs publics devant la montée en puissance d'une contestation assez organisée et dont la paupérisation des couches surtout moyennes rend très mobilisatrice. Ces décisions illégales et anticonstitutionnelles au demeurant sont un indice de l'état d'esprit qui règne au sein des décideurs. L'échec spontané que beaucoup jugent programmé, de la bipartite est un signe fort des décideurs. A travers cet échec, ils lancent un message clair. L'Etat ne cédera pas devant la contestation montante. C'est un exemple à méditer aux yeux des décideurs. Le monde des travailleurs en ébullition a remis en cause le semblant d'optimisme des pouvoirs publics affiché avant et au décours de la bipartite. Le pouvoir, qui a négocié avec lui-même, a très vite fait d'être remis à l'ordre par les travailleurs. La FNTS (UGTA), le CNAPEST, le CLA, le SNPSP et le SNPSSP ont, tour à tour, par leur mécontentement et la force de leur mobilisation, mis à nu la réalité de la représentation syndicale. L'échec de la bipartite, qui consacre la fin de mission ou d'une des missions de l'UGTA, consacre par là même l'échec du système et met en évidence l'incapacité de ce dernier de se mettre en harmonie avec lui-même. Mis à part le caractère illégal, répressif et abusif des dernières décisions du Conseil de gouvernement, ces dernières ont le mérite de dévoiler d'une part la détermination des pouvoirs publics à ne pas s'encombrer de mouvements de contestations et d'autre part la panique du système devant la prise de conscience des travailleurs, des classes moyennes qui sont des classes structurantes dans la société. Cette crainte est trahie par l'incohérence du discours et par le recours systématique à la normalisation par la loi de la force. Des indices fort révélateurs mettent en relief la panique qui s'est emparée du gouvernement. Le licenciement des travailleurs obéit à des dispositions réglementaires dont le gouvernement est le premier garant. Le licenciement est prononcé par des commissions paritaires et nul n'est habilité à se substituer à celles-ci fusse-t-il le chef du gouvernement. Le gouvernement, en se rabaissant au niveau d'un conseil de discipline, consacre définitivement la médiocrité. L'abandon de poste supposé faisant suite à une grève «illimité» est une hérésie. Il est internationalement reconnu que les travailleurs observent la grève sur les lieux de travail. Cette myopie politique prouve au besoin que le gouvernement ne s'embarrasse pas de la notion de droit ni de la légalité. Au passage, la notion de grève «illimitée» existe t-elle ? La loi 90-02 du 6 février 1990 n'y fait référence dans aucune de ses dispositions. Si on connaît le début de la grève, on ne peut connaître sa fin. C'est l'esprit de la loi, n'en déplaise au gouvernement. Les articles 28, 29, 30, 31 relatifs aux modalités d'approbation de la grève par le collectif des travailleurs n'évoquent pas la durée. Par contre, il est clairement spécifié dans l'article 31 que «l'employeur et les représentants des travailleurs s'obligent à prendre les mesures nécessaires pour assurer la préservation et la sécurité des installations et des biens et désignent les travailleurs chargés de ces tâches». C'est une disposition qu'aucun employeur n'a observée à ce jour. En réalité, le gouvernement refuse la négociation. La conception patriarcale de la gouvernance empêche le pouvoir de s'adapter au concept de partenariat universellement admis. Négocier, c'est se mettre en face l'un de l'autre ; avoir un avis contraire et faire des concessions. C'est un concept étranger à la culture du pouvoir. Ce dernier n'assimile la notion de satisfaction des revendications qu'au terme de «sadaka». Un membre du gouvernement n'a t-il pas estimé que les salariés sont gâtés en sachant que le traitement des salariés qui représentait à la fin des années 1980 16% du revenu national global a reculé de six points pour ne représenter que 10% environ ? Chez certains de nos voisins, il est de l'ordre de 30% sans que l'on parle de gâter leurs citoyens. Quand au plus haut de nos sphères gouvernantes on assimile les salaires fruit d'un travail à un budget de solidarité nationale, c'est que la notion de l'ultralibéralisme sauvage et sans âme a fait bien du chemin dans les mentalités de nos gouvernants. Le recours systématique à la justice est aussi un signe de panique au sein du pouvoir. Allergiques à la négociation, car synonyme de faiblesse et sous l'œil complice et protecteur des pouvoirs publics, les employeurs recourent systématiquement à la justice pour obtenir l'illégalité de la grève. Le SNOMMAR et le SNPSSP, pour ne citer que ceux-là, ont fait les frais de cette fuite en avant. Le recours systématique à la justice, avec les ordonnances que l'ont sait, discrédite le système judiciaire algérien. Les syndicats autonomes victimes du non-respect des engagements de l'Etat Les syndicats peuvent jouer au chat et à la souris avec les juges. Le juge, en décidant d'ordonner l'arrêt d'une grève, ne peut anticiper les grèves que le syndicat est en droit de déclencher ultérieurement ou même deux jours après la décision. Si on se mettait au jeu «vous annulez et on remet ça» à terme, c'est le système judiciaire qui sera discrédité par la grâce d'un gouvernement qui, pris de panique, cafouille et s'embourbe dans ses propres contradictions. Ainsi, il est désormais légitime de parler d'instrumentalisation de la justice. Pourquoi ne pas le penser quand le juge des référés du tribunal de Sidi M'hamed traite l'affaire enrôlée par la direction de l'ENTMV en premier, alors que la plainte du syndicat SNOMMAR a été déposée chronologiquement avant celle de l'employeur. Plus grave encore, l'appel introduit par le syndicat a permis l'annulation de l'ordonnance de première instance sans que les sanctions, abusives au demeurant, cessent. Les 10 membres du bureau syndical sont à ce jour sans salaire et suspendus de leurs fonctions en violation de la réglementation du travail. L'impunité de l'employeur trahit la complicité des pouvoirs publics. C'est le syndicat SNOMMAR que l'on veut détruire à travers cette action répressive. Le juge des référés près le tribunal d'Hussein Dey a eu le courage tout de même de ne pas se prononcer sur l'illégalité de la grève du SNPSSP même s'il a ordonné l'arrêt de la grève pour mise en péril de la santé des citoyens selon la requête du ministère de la Santé. Par ailleurs le ministère de la Santé a dans un communiqué officiel affirmé que la grève du SNPSSP n'a pas gêné le bon déroulement du service public et que le taux de suivi n'excède pas les 20%. Cette ambivalence du discours a sûrement trompé le gouvernement et le juge des référés. Le contraire légitimise le concept d'instrumentalisation de la justice et la notion de gestion du MSPRH par le gouvernement. Dans ce cas, autant en faire un secrétariat à la réforme hospitalière auprès de la chefferie du gouvernement. Le gouvernement doit apprendre à respecter ses propres lois. La Constitution, les lois sociales algériennes notamment la loi 90-02 du 6 février 1990 et la loi 90-14 du 2 juin 1990 consacrent le droit de grève. Ces lois, à mon sens, assez progressistes s'imposent à tous. Les syndicats, autonomes du moins, sont victimes du non-respect des engagements de l'Etat. Il appartient à ce dernier de se conformer à la légalité avant d'enfourcher le cheval de l'illégalité. En insistant sur la notion de disparition complète de la grève illimitée, le gouvernement et son ministre « yndicaliste» donnent l'impression que les syndicalistes sont des perturbateurs, des éléments qui nuisent à l'économie nationale et menacent la stabilité du pays ; vu que c'est l'Etat qui prendrait en charge les conséquences des grèves. En fait, les désagréments d'une grève «illimitée» sont la conséquence d'une mauvaise approche des conflits et même de «l'impunité» de certains organes de l'Etat. Car comment expliquer la non-application de décisions de justice, rendues au nom du peuple ? Cette armée-là (1446 travailleurs), on la préfère en grève illimitée que sur une colline de nos maquis. Ce qui est plus grave encore, c'est de savoir que 269 employeurs sont responsables du retard de paiement du salaire de 33 472 travailleurs. Autrement dit, sur les 269 employeurs, chacun a réussi à affamer 100 travailleurs en moyenne. C'est une déclaration d'une extrême gravité, quand on sait qu'au bout, l'un est promu à un poste supérieur de responsabilité et les autres deviennent des candidats potentiels au suicide. On n'est pas dupe, des mesures vont être prises et mises en route. Celles-ci peuvent déclencher des grèves illimitées, vu la gravité de ces mesures. Le seul moyen de prévenir cela est de museler les syndicats en les neutralisant juridiquement par une loi qui passera à coup sûr comme une lettre à la poste. Cela dit, nous ne sommes pas contre des réformes – urgentes au demeurant – mais nous refusons d'être des suivistes sans opinion et des syndicalistes serviles aux dépens de l'intérêt des travailleurs que nous sommes censés représenter. Nous sommes des syndicalistes intègres. Nous sommes fiers de servir les travailleurs à travers nos syndicats au lieu de s'en servir. Nous refusons d'être des syndicalistes alibis. Nous luttons avec la conscience tranquille d'avoir défendu les intérêts de nos adhérents dans le strict respect de la loi et de l'éthique syndicale. Nos syndicalistes sont des Algériens à part entière. Ils aiment leur pays autant que ceux qui prétendent défendre ses intérêts. Nos syndicalistes n'ont pas de leçon de patriotisme à recevoir. Ils ont par contre des leçons de syndicalisme, de sagesse et d'humilité à donner. On s'opposera à l'avènement d'une Algérie médiocre et qui recule. Une Algérie où les travailleurs seront clonés par la grâce de lois antisociales dont la défense des droits élémentaires est prohibée. Il est vrai que le bon syndicaliste n'est pas celui qui doit tout avoir, mais le bon décideur n'est surtout pas celui qui doit tout imposer.