La crise sociale prend des proportions extrêmement périlleuses en France, amenant le président Sarkozy à monter en première ligne et à jouer au pompier pour tenter d'éteindre les multiples foyers et les empêcher de se transformer en brasiers, comme cela est en train de se produire en Guadeloupe. Nicolas Sarkozy qui a promis le 6 février dernier de répondre aux inquiétudes des « victimes de la crise » a reçu hier après-midi les partenaires sociaux. Ce sommet social – qui est intervenu au moment où le mouvement de grève, depuis un mois, de la Guadeloupe se durcit – devait apporter des réponses aux revendications des syndicats et aux inquiétudes des Français face à la crise. Mais la situation est des plus délicates et la marge de manœuvre extrêmement serrée pour le chef de l'Etat français : alors que la fronde guadeloupéenne gagne progressivement le reste des DOM-TOM, l'université est toujours en mouvement de contestation, et les syndicats annoncent une nouvelle journée de mobilisation interprofessionnelle pour le 19 mars. Le président Sarkozy devait intervenir dans les journaux télévisés de 20 heures pour annoncer des mesures concrètes en faveur des plus fragilisés par la crise, mesures que les syndicats considèrent comme inappropriées, et en deçà des attentes exprimées. « Si les syndicats n'obtiennent pas de réponse à la hauteur des revendications, nous ne sommes pas à l'abri d'un ras-le-bol non canalisé », avait prévenu la CGT. Quant à la crise de la Guadeloupe qui vient de basculer dans la violence, la réponse, plus que sécuritaire ou sociale, est politique. Parce qu'au-delà d'une révolte contre la cherté de la vie, contre le chômage aigu, le mouvement de contestation de la Guadeloupe et derrière lui tout l'outre-mer, traduit une revendication de justice sociale et économique et de dignité. Pour les populations des DOM-TOM, particulièrement les jeunes, à la pointe du mouvement de contestation, les raisons de se révolter sont en effet nombreuses : « économie de comptoir », privilèges d'une minorité blanche, situation de dépendance et d'assistanat. Les racines de la révolte sont dans ce que le romancier martiniquais Patrick Chamoiseau appelle « cette tutelle coloniale qui nous maintient dans l'irresponsabilité et la dépendance. » Alors que pour Christiane Taubira, députée (divers gauche) de la Guyane, la situation en Guadeloupe « frôle l'apartheid social. » Elle met en cause « une caste qui détient le pouvoir économique et en abuse ». « Nous ne supportons pas la dépendance. Nous n'arrivons pas à supporter nos économies sous perfusion. Nous avons une exigence de dignité », explique Mme Taubira. Le taux de chômage officiel est de 22% en Guadeloupe (35% chez les moins de 30 ans) ; 32 000 personnes (8% de la population) touchent le RMI ; 12,5 % vivent sous le seuil de pauvreté. Les prix dans la distribution sont exorbitants en raison de la situation de monopole des groupes d'importation et de distribution, entre les mains de familles de « Blancs créoles » qui contrôlent l'économie antillaise. Elie Domota, le dirigeant du « collectif contre l'exploitation » (LKP), qui mène la grève générale depuis le 20 janvier du LKP a estimé que la Guadeloupe représentait toujours aux yeux du pouvoir métropolitain une « colonie » traitée avec « mépris ». Le Secrétaire d'Etat à l'outre-mer, Yves Jégo, lui-même reconnaît dans une tribune publiée dans Le Figaro que « la vérité, c'est qu'il ne s'agit pas d'un mouvement de protestation sporadique, mais bien d'une triple crise. Une crise économique qui frappe toute la planète et atteint plus vite les économies fragiles, une crise structurelle liée aux dérives ultimes mais encore observables de l'héritage d'une économie ‘‘de comptoir'' et enfin, et peut-être surtout, une crise existentielle, en tout cas une crise sociétale. » Alors, quelles suites donner à ce constat ? Qu'envisage le pouvoir politique pour apporter plus de justice dans les territoires d'outre-mer pour répondre à la demande de traitement équitable de leurs habitants. Nicolas Sarkozy, qui n'avait pas eu un mot pour la Guadeloupe lors de son intervention télévisée le 6 février, alors que la crise couve depuis un mois, a enfin annoncé lundi 16 février, qu'il recevrait aujourd'hui à l'Elysée, « les présidents des collectivités locales et les parlementaires des départements d'outre-mer afin de faire le point sur la situation de ces territoires ». A signaler qu'un comité interministériel de l'outre-mer a été créé hier matin en Conseil des ministres, avec « pour rôle principal de définir des orientations stratégiques pour l'outre-mer, notamment en matière de développement économique, social, culturel et environnemental ». La députée de Guadeloupe, Jeanny Marc (apparentée PS), a accusé, hier, sur France 2, Nicolas Sarkozy et le gouvernement de ne pas accorder à la Guadeloupe le traitement qu'ils réserveraient à « la Bourgogne » ou à « l'Oise » si elles étaient elles aussi touchées par une crise. « ça fait un mois que ce problème existe et que le gouvernement n'a donné aucun signe. » « Elus de gauche comme de droite, nous irons en front uni pour présenter les problèmes au président de la République », a-t-elle ajouté. « Il faut changer fondamentalement le fonctionnement de l'outre-mer : on ne peut pas continuer à gérer l'outre-mer comme si nous étions dans les colonies : c'est fini, c'est fini cette mentalité de paternaliste », a affirmé pour sa part la sénatrice UMP Lucette Michaux-Chevry. « Parce que ce que la métropole ignore, c'est qu'au-delà de la crise mondiale que traverse le monde, au-delà de la cherté de la vie qui frappe l'outre-mer, au-delà de l'importance du chômage, au-delà de la désespérance de la jeunesse qui voit son avenir bouché, il y a un problème de société, de rapport entre la France et l'outre-mer », a-t-elle ajouté. Ce message, Nicolas Sarkozy est-il prêt à l'entendre et à y répondre en actes ?