L'élection présidentielle d'avril prochain connaîtra un très faible taux de participation car le pouvoir n'a laissé aucune possibilité d'alternance suite au coup de force opéré sur la Constitution, le 12 novembre dernier. C'est là l'avis de l'ancien chef de gouvernement Ahmed Benbitour, qui s'est exprimé hier lors d'une conférence sur le thème « Le développement en Algérie à l'horizon 2020 », qu'il a animée à Boumerdès à l'initiative de l'association des diplômés de l'université de cette ville. Pour lui, « ceux qui iront voter sont ceux qui profitent de la dilapidation des richesses du pays, car les résultats sont réglés d'avance avec la manière dont s'est effectuée la révision constitutionnelle ». « On l'a faite dans une Chambre fermée, avec un règlement intérieur spécial pour la journée, sans possibilité d'établir des points d'ordre et on a voté à main levée. La Chambre était acquise à cette option et on n'a laissé aucune chance à une quelconque option démocratique », argue-t-il. Interrogé par El Watan sur sa proposition de sortie de crise dont il a parlé lors de ses dernières sorties publiques, M. Benbitour n'a pas voulu tout dévoiler « en cette période de pré-campagne où tout risque d'être relié à la présidentielle prochaine ». Il précise, toutefois, qu'il propose un « programme qui va conscientiser tous les citoyens sur leurs droits et devoirs, dans un premier temps. Ensuite, nous passerons à une deuxième étape où chacun sera mis dans l'obligation de rendre des comptes à la société et, dans une troisième phase, nous proposerons le programme de sortie de crise proprement dit où nous nous éloignerons de tout appareil de maintien du système de gouvernance actuel, y compris les partis politiques existants et tout cela en faisant usage des nouvelles technologies de l'information et de la communication ». « Sans vouloir être pessimiste », l'ancien chef de gouvernement a livré une lecture qui invite à changer rapidement le système. En fait, M. Benbitour n'y est pas allé par des chemins détournés pour alerter sur la gravité de la situation. « Nous sommes dans un Etat totalitaire, patrimonial, basé sur la rente et gangrené par la corruption. Il faut espérer qu'il y ait suffisamment de consciences chez nous pour amorcer un changement », a-t-il dit. Néanmoins, M. Benbitour ne se fait pas d'illusions : nos institutions sont défaillantes et en totale désuétude. « Le Conseil constitutionnel est le premier à écraser la Constitution. L'Etat souffre d'un déficit de puissance régalienne. 54% de nos recettes sont restées à l'étranger, inexploitées. » Deux scenarii possibles Pour lui, l'Algérie de l'après-pétrole se trouve devant deux scénarii : « Un scénario catastrophe caractérisé par la diminution de ses ressources et un autre, plus favorable, basé sur une économie de développement qui aura éliminé la politique des ressources. Entre les deux, il pourra y avoir des variations avec certaines combinaisons. Cependant, il faut un changement de système de gouvernance pour pouvoir construire une économie indépendante des hydrocarbures. » Et il citera les exemples de la Catalogne (Espagne) et du Costa Rica qui, « avec peu de moyens », ont pu s'intégrer dans une économie mondiale très exigeante. Chez nous, « la malédiction des ressources a entraîné l'instabilité économique et politique. La population s'appauvrissant chaque année malgré l'abondance suite aux anticipations et l'appétit des dépenses qui ont engendré des contradictions entre autorités et population. » M. Benbitour tranche : « L'éthique du travail a été sapée et nous assistons à des investissements excessifs et imprudents », citant le programme de relance économique et le projet de transfert d'eau de In Salah à Tamanrasset. Abordant le volet de la crise économique actuelle, l'ancien chef de gouvernement dira que notre pays n'est pas à l'abri car il a manqué de lucidité dans la gestion des recettes pétrolières. Et il prévoit des effets qui vont durer au moins trois ans. Pour aspirer au développement, il recommande l'investissement dans les ressources humaines et la substitution du savoir aux hydrocarbures en exploitant les TIC. Ceci afin d'« intégrer notre économie dans une économie mondiale globalisée ». Il insiste sur quatre facteurs importants : une population bien formée, des capacités d'innovation, une consommation importante des TIC et des infrastructures publiques à la hauteur des exigences de l'heure. Car « nous ne sommes pas loin du pic pétrolier mondial et celui de la production est déjà dépassé dans de nombreux pays (Russie, USA, Iran, Norvège, Libye) ». « L'Algérie de 2020 sera un pays où il y aura très peu de pétrole. Nous sommes presque dans l'après-pétrole. 54% des recettes de nos exportations sont placées en devises à l'étranger. Pourquoi ? », a-t-il ajouté. A notre question sur sa lecture des derniers événements qui ont endeuillé sa région natale, Berriane, M. Benbitour répond : « C'est une question de pauvreté montée en épingle par une agitation particulière. Ghardaïa est une région proche de Hassi R'mel (une zone pétrolière) et elle est située au sud d'une région pastorale. Elle est submergée par une population qui descend vers les villes et l'Etat n'a pas accordé d'opportunités à cette jeunesse. » Pis, il estime que « les choses sont allées très loin ; il y a eu des morts et des domiciles incendiés, donc trop loin pour que cela puisse se régler sans une intervention puissante de l'Etat ».