En effet, pour quelque problème d'ordres mécanique, électrique ou de plomberie, de cordonnerie, de soudure, de menuiserie, d'électroménager, de couture, etc., on vous indique une seule adresse lorsque les plus classiques ont été épuisées. «Allez voir Djeha !», vous conseille-t-on parce que tout comme le célèbre facétieux personnage, Mehadji se joue de toutes les difficultés. Chez lui, on répare voitures, mobylettes, meubles, ventilateurs, chaussures, poste de radio, pompes à eau ou tout autre appareil. Il arrive toujours à déceler la panne et à trouver une solution, quitte à fabriquer la pièce introuvable. Ce qui est le plus étonnant dans l'affaire, c'est que cet homme de 41 ans n'a jamais été en apprentissage quelque part pour acquérir ses divers talents. Tout le village en témoigne : «C'est un homme extraordinairement doué. Ah, si l'école avait été autre et s'il s'était trouvé sous d'autres cieux, comme il aurait réussi !» Cela l'avait pris à 28 ans, un jour que venait de s'achever une crise d'adolescence bien tardive à se résorber, une crise apparue précocement à la suite d'une raclée infligée par un instituteur abusant de son pouvoir. Mehadji quitte l'école alors qu'il était en 5e année primaire, mortifié qu'il était par le refus de ses parents d'accorder foi à la hogra dont il avait été victime. Il en vint à la délinquance sans jamais se faire prendre jusqu'au jour où il faillit se retrouver en prison n'était l'intervention de son père auprès de la victime de l'un de ses multiples cambriolages. Sa crise cessa comme elle était née. Pour gagner sa vie, il se lança alors dans la réparation des meubles de cuisine après quelques tentatives réussies de dépannage. Mettant à profit son sens aigu de l'observation qui lui révèle les secrets de tout mécanisme et grâce d'une part à sa capacité à transférer son savoir et son habileté acquise dans un domaine donné vers un autre et d'autre part à son exceptionnelle inventivité, il en est arrivé alors à tout faire. C'est par hasard que nous l'avons découvert, à la faveur d'un reportage en zone montagneuse sur le versant sud de la wilaya de Témouchent. La petite agglomération d'Aghlal y est encaissée dans une étroite vallée traversée par l'ancienne route qui relie Témouchent à Sidi Bel Abbès. Au détour d'une ruelle boueuse, la façade étrangement décorée d'une maison coloniale attira impérieusement notre regard. Des rameaux fleuris, telles des lianes s'y étagent dans tous les sens. Il ne s'agit pas de peinture mais de sculpture peinte. Un art naïf dans toute sa splendeur, rappelant les tableaux de Baya. Alors que nous nous apprêtions à photographier cette curiosité, Mehadji sortit de son atelier. «C'est moi l'auteur», indique-t-il pour exprimer son droit à l'image. Avec lui, l'entretien est fort instructif. Il se raconte volontiers déplorant à la fin le fait que l'on n'ait jamais pensé à l'encourager, lui aussi, à l'instar des paysans de sa rurale commune. Il ne veut pas admettre, comme on le lui a expliqué, que lui «n'entre pas dans le cadre du cadre…». Au fait, si vous le rencontrez, ne l'interpellez surtout pas par le sobriquet de Djeha. Personne n'ose le faire à Aghlal de peur de le froisser même si ce surnom constitue un hommage à son savoir-faire hors du commun.