Samedi, 8h30, au poste frontalier Akid Lotfi de Maghnia. Il fait un froid matinal. « Quel temps fait-il chez vous ? », avons-nous demandé, d'emblée, à un responsable marocain en civil, positionné à 50 cm de nous. Tlemcen De notre bureau Rire de notre voisin : « Il doit neiger. » Un policier algérien manquant de sens de l'humour intervient : « Arrêtez votre provocation, laissez-le tranquille ! » N'ayant cure de cette remarque dénuée de tout fondement, nousle relançons : « Attendez, nous arrivons ! » « Venez, qui vous en empêche ? Vous êtes les bienvenus ! » « Eloignez-vous, s'il vous plaît ! », ordonne notre policier, imperturbable. Nous répliquons avec bienséance : « Jusqu'à preuve du contraire, nous n'avons pas encore enfreint la loi, nous sommes toujours chez nous, en Algérie. D'ailleurs, que feriez-vous si nous prenions nos jambes à notre cou en direction de l'autre côté ? » « Je vous jure que je vous poursuivrais sans hésiter. » « Mal vous en prendra, vous seriez le premier à transgresser la loi ! » Une grande animation caractérise le côté algérien : folklore, va-et-vient incessant de responsables, de représentants de la société civile. En face, le calme domine. Des journalistes font des digressions : « Et si on passait maintenant, que risque-t-on ? » Sans proposer de réponse, nous avançons millimètre par millimètre pour nous immobiliser sur le trait séparant les deux territoires. Histoire de respecter la fermeture, décidée en 1994 par le pouvoir algérien suite aux accusations des autorités royales contre l'Algérie. Absurde situation. Nous tendons la main à un confrère marocain. Evénement immortalisé par des photographes, particulièrement ceux de l'autre côté. Nous avançons d'un pas, puis de deux. En deux secondes, nous avons gagné vingt mètres sur le sol marocain. Encouragé, Kheireddine, le cameraman de la chaîne Al Arabiya franchit à grands pas la frontière sans coup férir pour une prise. Volontairement myopes, les policiers des deux Etats font comme s'ils n'avaient rien vu. « Vous êtes l'envoyé spécial d'El Arabiya au Maroc ou en Algérie ? », l'avons-nous interrogé, hilares. Explosion de rires sur les lieux. Nous retournons au bercail. Connectés à Meditel 11h30. Le premier véhicule humanitaire traverse la frontière. Grande émotion. « L'Algérie fait toujours des exceptions quand il s'agit de plaider les causes nobles », déclare, les larmes aux yeux, le doyen des avocats arabes en Grande-Bretagne – c'est un Anglais d'origine irakienne –, Sabah El Mokhtar. Le journaliste de la BBC Arabic se fait rabrouer par un réfugié palestinien, Nasser Karim : « Je n'ai rien à déclarer à votre chaîne ! » Il est vrai que les Palestiniens ont une dent contre Channel BBC depuis que cette dernière a refusé de passer un communiqué de solidarité avec Ghaza. Le passage des camions permet pratiquement à tout le monde d'être ici et là. C'est « Hajouj et Majouj ». Nous en profitons pour monter dans un camion écossais sur le territoire marocain pour faire notre entrée, nous aussi, en Algérie. « Vous êtes avec eux ? », nous stoppe net un policier de chez nous, dépassé. « Ben non, vous voyez bien que non ! Je ne fais que marcher et puis je ne suis pas le seul qui va et qui vient. » 13h. Ordre a été donné de fermer le passage. Cinq personnes ne figurant pas sur la liste des passagers sont suspectés. Angoisse, inquiétude. Le ton monte : « Ces personnes ne passeront pas ! » Colère chez les autres, qui avaient déjà fait tamponner leurs passeports. « Si elles ne passent pas, nous rebroussons chemin, c'est une caravane humanitaire, nous ne sommes pas ici pour faire du tourisme. » En l'absence du wali, personne ne semble pouvoir trouver une solution à une situation qui frôle l'incident diplomatique. Le député Benhamou, qui se démène comme un fou, creuse dans son lexique anglophone, utilise quelques bribes de dialecte oriental, de l'algérien de l'Ouest, pour dénouer la situation. En fin diplomate, il réussira à calmer près de 300 personnes. « Tout le monde va passer, patience ya nass ! » « What ? » Qu'importe, c'est aux cris d'« Allah Akbar » qu'on apprend que le problème vient d'être résolu. Les heures passent. La fatigue se lit sur les visages. Les villageois de Akid Lotfi amènent du pain, des dattes et de l'eau. Et dire que des repas avaient été commandés aux hôtels La Tafna et El Izza de Maghnia. Qui les a mangés, finalement ? Difficile de communiquer par téléphone sans risquer d'être chopés par le roaming. Nous sommes connectés, malgré nous, à Méditel, l'opérateur marocain. Nous nous faufilons entre les véhicules portant des écriteaux dans toutes les langues, même en hébreu. Pour la paix. Retour sur le tracé frontalier. Les barrières sont toujours levées. La nuit pointe. Aucun responsable n'est capable d'autoriser le départ de la caravane. 21h15. Le convoi s'ébranle sur le bitume refait et tracé la veille. « Go ! » « Allah Akbar ! » Un dernier regard derrière nous : les barrières sont déjà baissées. Sans qu'on s'en soit rendu compte. La population de Maghnia, malgré le froid, accueille les invités avec des youyous et des slogans pour Ghaza. Des véhicules s'arrêtent pour saluer et palabrer un peu, avec des gestes, avec les Maghnaouis. La nuit, toutes les villes sont belles. Maghnia ne fait pas exception. Samedi, la Palestine avait réussi à rouvrir les frontières algéro-marocaines. Demain, nous y retournerons. Peut-être par des chemins détournés…