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Ali «Z'yeux bleus»
Publié dans El Watan le 10 - 03 - 2005

Mohamed Oudelha est né en 1930 dans la Haute-Casbah. Ses parents, originaires d'Ighil Boussouel Iflissène (Tigzirt sur mer), retourneront vivre dans leur village natal. C'est ainsi que le père, vieillissant et affaibli par la maladie, reviendra avec sa petite famille à Ighil Boussouel pour fuir le joug du colonialisme.
A cette époque, la plupart des enfants algériens ne fréquentaient pas l'école. Mohamed Oudelha faisait partie de ceux-là. Son enfance, il la passa aux côtés de son père opprimé par les colons et sa mère qui lui enseigna le courage d'affronter la vie, même en faisant partie des plus démunis. Après quelques années passées au village, la mort emporte le père de Mohamed. Celui-ci, malgré sa prime jeunesse, est resté attaché à La Casbah. Ainsi, à 15 ans, il rejoint la capitale et fréquente le quartier Bouchée-de-pain du côté de Sidi Abderrahmane. Pour gagner sa vie, il se fait embaucher comme laitier. Puis, las de cet emploi, il devient garçon de café, étant plus en contact avec les milieux nationaliste, sportif et culturel.
C'est là qu'il fera son apprentissage de la vie. Celle-ci était dure. Chaque jour, avec son lot de misère mais aussi sa leçon à apprendre.
Avec ses amis côtoyés dans la rue et les cafés, il aura pour devise de ne jamais discuter les principes de leur engagement. La fraternité et la solidarité étaient les seules armes pour contrer leur révolte qui finira par se déclencher le 1er mai 1945. Ce jour-là, il participera à la manifestation nationale qui débuta à midi à la hauteur de la rue d'Isly sous le slogan «Digne de vivre en homme libre».
C'était en réponse au général de Gaulle qui avait scandé : «Tous les peuples du monde disposent librement d'eux-mêmes.» Le 1er mai sont tombés au champ d'honneur El Haffaf Mohamed El Ghazal, Zerrari Abdelkader, Allah Ahmed Boualem… Il y eut aussi des centaines de personnes blessées par les oppresseurs. Sept jours plus tard, soit le 8 mai, Mohamed Oudelha prit conscience que la seule façon de se libérer de cette oppression coloniale était de prendre les armes. Il avait la ferme conviction que la lutte armée était l'ultime solution, motivé par la tragique réalité du peuple algérien sous domination coloniale après le massacre de Kherrata.
Le 1er novembre 1954 a été le jour de la consécration de Mohamed Oudelha qui n'attendait que d'être un membre actif de cette révolution qui tardait, pour lui, à se dessiner. Ainsi, Krim Belkacem, Ouamrane, Abane Ramdane, Yacef Saâdi, Bouchafa Mokhtar, Bouzrina, Aïdoune, Chaïb, Fettal Mustapha, Larbi Ben M'hidi, Bouhara, Debbih Cherif… avaient enfin décidé du déclenchement de la révolution.
Mohamed Oudelha se fait enrôler dans les rangs du FLN-ALN pour prendre part à la guérilla urbaine (lutte armée) que l'on dénommera, la Bataille d'Alger. Depuis, à la couleur de ses pupilles, il se fera appeler Ali Z'yeux bleus. Il combattra aux côtés de Bouali Mokhtar dit le Menuisier, Gaceb Ahmed, Louni Arezki, Hahad, Saïd Touati, Ali la Pointe et beaucoup d'autres fedayine. Vers la fin de l'année 1955, il dirigera le groupe de commandos qui abattra le commissaire Freddy dans la banlieue d'Alger.
Il intégrera alors le groupe de choc organisé par Arbadji Abderrahmane et Othman, Hadji, dit Ramel, secondés entre autres par Hamzaoui Lounès et Hamadi Omar.
Yacef Saâdi, responsable militaire, demandera à Arbadji de poursuivre la lutte armée dans la capitale pour faire pression sur l'armée d'occupation. Ali Z'yeux bleus aura pour mission d'abattre Marcel Galvanité, un des principaux membres actifs de la Main rouge. Mission achevée avec succès en janvier 1956. Ce qui lui valut les félicitations de Abderrahmane Arbadji, avec lequel il participera à d'autres actions de fidaï d'élite dans la Région 1 de la Zone autonome d'Alger.
Grâce à son physique d'européen, Mohamed Oudelha fréquentera les pieds-noirs sans même qu'ils puissent douter qu'il était un vaillant fidaï. Il se mouvait aisément dans la communauté européenne, fréquentant Bab El Oued, Saint Eugène, la Pointe Pescade, sans mettre en danger sa vie et celle des fedayine. Par ailleurs, connaissant parfaitement bien le milieu pied-noir, il pouvait même apporter des renseignements sur trois clans engagés (Papalordo, Serroz et Dicrescesengo) ayant juré la soumission de La Casbah et du FLN. Le général Massu, Mme Gui, Mme Sidérat ainsi que les fameux centres Dugesclin dressaient des listes noires pour mettre un terme à la Bataille d'Alger.
Ali Z'yeux bleus fut, à cette époque, chargé de diriger le groupe de choc de la Région 1 de la Zone autonome d'Alger. Il devait désintégrer le noyau de l'organisation criminelle de la Main rouge, parrainée par la DST et la PJ qui activaient par des attentats à la bombe déposée dans les quartiers musulmans. Le 10 août 1956, une bombe explosa à la rue des Thèbes, dans La Haute-Casbah où 15 familles algériennes périrent. En réponse à cette attaque, Ali Z'yeux bleus tendit un guet-apens à Di Crescesengo qui fut grièvement blessé à la tête. Un fait d'armes qui désamorça le réseau de la DST.
Le général Massu et sa hiérarchie se mobiliseront pour mettre fin à cette guérilla en partant à la recherche de Mohamed Oudelha. Celui-ci fut arrêté lors d'une embuscade tendue par les paras et les territoriaux dans le quartier consulaire situé entre Saint Eugène et Zghara (côté Notre Dame d'Afrique jusqu'aux Bains romains). L'armée française aura pour renfort les Sénégalais pour mettre la main sur Ali Z'yeux bleus.
Les hommes de la DST et la police judiciaire le voulaient vivant pour obtenir le maximum d'informations sur la résistance musulmane. Puisque la Bataille d'Alger venait de débuter, il était primordial de sauver les membres du FLN – parmi eux Ali la Pointe – qui avaient pour refuge le secteur de Notre Dame d'Afrique. C'est alors qu'Ali Z'yeux bleus, héroïquement, fut arrêté.
La DST et la PJ useront de tous les moyens de torture pour soutirer des renseignements sur l'action armée des fedayine, en vain. Ali Z'yeux bleus passera devant le tribunal permanent des forces armées d'Alger pour assassinats, complicité, tentatives d'assassinat et affiliation à l'action armée. Ces chefs d'accusations seront rejetés en bloc par Mohamed Oudelha. Il reconnaîtra un seul et unique attentat, celui perpétré contre Vincent Di Crescesengo. Ce dernier qui avait été blessé à la tête accusera Ali Z'yeux bleus d'avoir attenté à sa vie.
Le témoignage d'un membre de l'organisation de la Main rouge qui, de surcroît, connaissait depuis de longues années Mohamed Oudelha, a été accablant, et ce, malgré l'absence de preuves sur ses activités. Le commissaire du gouvernement prononcera le verdict, le 23 janvier 1957 : la peine de mort.
Ali Z'yeux bleus sera incarcéré parmi d'autres détenus dans des conditions des plus inhumaines, sous la plus haute surveillance de l'administration coloniale.
Le 8 février 1958, à l'aube, les gardiens de la prison pénétreront dans la cellule de Mohamed Oudelha pour l'amener à la guillotine. Malgré le fait qu'il allait mourir en martyr pour que l'Algérie soit libre, Ali Z'yeux bleus se battra férocement contre les gardiens qui feront appel à des renforts. C'était son ultime souffle à la vie, à cette vie libre à laquelle avait tant aspiré. Dans le couloir de la mort, il sera poignardé par l'un des gardiens.
C'est à 3 h 30 que son bourreau actionna la guillotine. Il fut exécuté à 28 ans pour que vive l'Algérie libre.
Par Abdelhakim Oudelha
Fils de Mohamed Oudelha


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