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L'Algérie, la Kabylie et la charte pour la paix et la réconciliation nationale
Publié dans El Watan le 18 - 09 - 2005

Aussi, revenons à l'essentiel de cette démarche. De quoi s'agit-il au juste ? Est-il réellement question de paix dans cette charte soumise à référendum comme le répète la propagande officielle ou sommes-nous devant un simple tour de passe-passe, une de ces manipulations à ciel ouvert, dans lequel le système algérien est passé maître ? Pour nous en rendre compte, commençons par le début.
A – L'opportunité :
Ce n'est nullement le moment. Une «réconciliation nationale» suppose une paix déjà rétablie entre les éléments nationaux naguère en conflit. Nous n'en sommes pas encore là, tout le monde le sait. La guerre terroriste que mènent les islamistes algériens pour instaurer chez nous un ordre théocratique à l'iranienne est loin de prendre fin. L'un des deux principaux belligérants, en l'occurrence le GSPC, continue de semer la mort et l'insécurité à l'intérieur comme à l'extérieur du pays et ne cesse de faire connaître son opposition à cette initiative. Pour le moment, ce sont les rues d'Alger qui sont investies par des hommes portant barbe et «qamis» comme avant l'arrêt du processus électoral de janvier 1992.
Plutôt qu'une réconciliation nationale, il aurait fallu dès la première année du terrorisme islamiste constituer un gouvernement d'union nationale pour faire face au fléau avec l'ensemble des forces politiques du pays acquises à la démocratie et à la République. Les tenants du système avaient alors craint qu'en contrepartie de cette lutte commune, ils ne soient amenés, au bout du compte, à la logique du partage du pouvoir puis à celle de l'alternance. Ils avaient préféré confisquer à leur seul profit le combat national contre l'intégrisme au point de compromettre un rapide retour à la paix et de se rendre responsable de la mort de 200 000 vies humaines.
C'est là, pour eux, le prix à payer pour la réhabilitation de leur régime. Aujourd'hui, non seulement il est trop tôt pour engager un tel processus, mais en plus, il est trop tard pour appeler à la rescousse tous ceux qu'on a délibérément exclu hier du combat contre l'islamisme. Il est vital que l'Etat se réconcilie d'abord avec ceux-ci avant d'aller à une réconciliation avec ceux qui ont du sang sur les mains. Alors, il préfère de nouveau le camp intégriste à celui de la démocratie.
Et puis, s'il s'agissait vraiment de paix et de pardon, pourquoi alors tant de gesticulations devant la loi que la France a adoptée sur l'enseignement de «l'œuvre coloniale», chez elle, le 22 février dernier ? Il est pour le moins paradoxal que pour des crimes commis, il y a plus de 50 ans, on refuse de passer l'éponge, et pour ceux plus récents, donc plus douloureux, nous soyons enclins à fermer les yeux. Les crimes commis sur des Algériens par des étrangers sont-ils plus odieux que ceux commis par des nationaux ? Au vu de ce référendum, nous sommes tentés de le croire.
B – La confusion
A travers cette charte attribuée à Bouteflika, mais dont l'idée lui aurait été soufflée par Ben Bella, le sommet de l'Etat s'octroie le confortable rôle d'arbitre dans un conflit qu'il a provoqué, nourri et dans lequel, pourtant, il est toujours aux avant-postes. C'est à la société qu'il fait endosser la responsabilité de la violence comme si elle était l'un des belligérants. Cette manœuvre lui permet de faire de la victime un bourreau puisqu'il substitue les Algériens au pouvoir et va jusqu'à leur faire porter, à eux, le poids de la culpabilité qui est la sienne dans cette affaire. C'est ainsi qu'il charge le citoyen d'un acte qu'il n'a pas le courage d'assumer lui-même vis-à-vis de l'histoire et de l'opinion nationale et internationale : effacer des crimes contre l'humanité par une perversion et un dévoiement de la démocratie. De quel droit pourrait se prévaloir l'électeur de ce référendum pour pardonner aux assassins de Boudiaf, de Matoub, de Senhadri … ? Comment pourrait-on expliquer aux filles de Tahar Djaout que, par la puissance d'un bulletin de vote, nous soyons en droit d'absoudre ceux qui ont tué leur père ? En dehors des familles et des proches des victimes de cette violence terroriste, qui peut s'arroger le droit de pardonner aux criminels ? Sinon, seul le président de la République a le droit de grâce. Si Bouteflika veut se montrer clément, magnanime et généreux envers ceux qui ont assassiné, torturé ou violé d'autres personnes, la Constitution le lui permet. Il n'a pas, par ruse ou par peur de se griller vis-à-vis du Droit international, à se décharger sur le citoyen pour accomplir un acte dont il est le seul à en avoir les prérogatives. Or, non content de se servir de la légitimité populaire, de manipuler l'opinion publique pour faire porter à la société le poids de cette ignominie, le pouvoir algérien impose de fait un macabre compromis entre deux parties, dont un côté n'en est pas une. Il entend ainsi confisquer aux victimes et à leurs proches leur droit au deuil et à la mémoire contre une somme d'argent. Une vie humaine peut-elle se résumer à une valeur marchande ? Il est vrai que la communauté internationale a créé un grave précédent en réintégrant Kadhafi sur la scène diplomatique après paiement d'indemnités aux familles des victimes des attentats contre des avions civils, dont on lui attribue la responsabilité.
Cela voudrait-il dire que dès lors qu'on peut payer, on peut tuer ? … Si tel est le cas, il y a lieu de s'attendre à des milliers de massacres et de génocides à l'échelle de la planète. Non ! Aucune somme d'argent, astronomique soit-elle, ne vaut une vie humaine, même si, pour ceux qui nous gouvernent, le pouvoir vaut toutes les vies.
Quant à la précision apportée dans le texte soumis à référendum sur les personnes exclues de l'amnistie, notamment celles ayant participé à des massacres collectifs, comment peut-on savoir qui a fait quoi ? Si ces personnes étaient identifiées, pourquoi n'a-t-on pas au préalable rendu publics leurs noms pour qu'elles soient mises au ban de la société ? Et celles ayant tué tel jour un intellectuel, tel autre un policier, un peu plus tard une femme dans une cité, sont-ils amnistiables ? La raison et la morale y perdent leur latin.
C- Violation des conventions internationales
Les atteintes aux droits humains, notamment les crimes de guerre et ceux contre l'humanité sont imprescriptibles. Même si officiellement l'amnistie projetée ne toucherait pas les terroristes ayant participé à des massacres collectifs, ce qui restera à démontrer, il n'en demeure pas moins qu'elle sera appliquée à des criminels ayant agi par haine idéologique et ayant commis des actes relevant de la Cour pénale internationale ou du TPI. Personne, aujourd'hui ou demain, n'a le droit de les soustraire à la justice. Opposer le référendum national à la loi internationale est une manœuvre que les ONG chargées des droits humains comme Amnesty International dénoncent déjà.
L'Algérie, à travers ce référendum, enfreint les conventions internationales qu'elle a signées et ratifiées et se met au ban des nations. On peut, sans coup férir, tricher avec ses citoyens muselés mais pas avec les sentinelles internationales qui veillent toujours sur le respect des textes consacrés par l'ONU.
Pour que ce référendum se conforme au droit, il est nécessaire qu'il soit précédé par des procès publics pendant lesquels les criminels seront amenés à expliquer leurs gestes, à être confrontés à leurs victimes, si elles sont encore vivantes, ou à leurs proches.
C'est seulement après l'expression du repentir accompagné d'une demande de pardon que l'on pourra accepter le principe d'une amnistie. Toute autre démarche viserait l'amnésie générale et l'impunité. Cela condamnerait le pays à revivre demain, sûrement à plus grande échelle, ce qu'il refuse.
D – Les véritables objectifs du référendum
Officiellement, le pouvoir qui a initié cette opération chercherait à ramener la paix dans le pays. Ce n'est pas la première fois. Il y a déjà eu la «rahma» (miséricorde) du général président Zeroual dans les années 1990 et la «concorde civile» du premier mandat de Bouteflika, dont les résultats sont plus que mitigés.
Pourquoi ce qui avait lamentablement échoué hier réussirait-il mieux aujourd'hui avec la «réconciliation nationale ? Quels nouveaux arguments et quels autres avantages contiendrait cette nouvelle initiative pour avoir plus de succès que ses devancières ? Personne ne peut décemment en énumérer un. Les plus optimistes vous diront juste pourquoi ne pas lui offrir cette nouvelle chance ? Nous voudrions bien leur faire plaisir tant l'aspiration à la paix est d'abord la nôtre. malheureusement, pour nous tous, aucun indice ne milite pour le moment en faveur de cet optimisme béat.
Dans toute guerre, les victimes sont, dans leur écrasante majorité, des innocents. Et à chaque fois qu'il y a paix, des vies humaines sont sauvées. Dans les années 1990, il y avait eu une amnistie signée entre deux parties belligérantes : l'Etat et l'Armée islamique du salut (AIS), dont une partie des troupes avait déposé les armes et sa réinsertion dans la société était financée par les monarchies du Golfe.
Il y avait une comptabilité des terroristes ayant abandonné le maquis que l'on peut brandir.
Avec Bouteflika, ce n'est pas le cas. La «concorde civile» était une offre unilatérale d'amnistie, lancée dans le vent à tout terroriste acceptant juste de rentrer à la maison sans obligation de déposer les armes. Un chantre du pouvoir de l'époque parlait de 4500 repentis. Le Premier ministre vient de porter ce chiffre à 6000. On escompte combien de redditions cette fois-ci ? 10 000 ?
On peut toujours spéculer sur les prévisions mais peut-on par contre nous dire combien sont-ils «montés» au maquis depuis, et combien vont leur emboîter le pas ? Dès lors que le terrorisme est une activité lucrative à travers le racket, les kidnappings et les assassinats, chaque opération assurant l'impunité à ceux qui se sont enrichis par les crimes de sang, la prochaine amnistie n'est qu'un encouragement pour de nouveaux adeptes de la kalachnikov. L'amnistie est aux terroristes ce qu'une régularisation massive de clandestins en Europe est aux candidats à l'immigration : un appel d'air ! Pas plus que la «rahma» et la «concorde civile» qui l'ont précédée n'avaient ramené la paix, le référendum du 29 septembre 2005 ne mettra pas fin à notre calvaire terroriste.
Bien au contraire ! Puisque la paix n'est pas au bout du référendum, puisqu'il n'appartient pas à la société de se substituer au pouvoir, puisque ce n'est pas encore le moment pour cette amnistie, pourquoi alors cette mascarade référendaire ?
1 – L'un des véritables objectifs de ce référendum est donné dans le chapitre 1 de la charte, objet de cette consultation. Intitulé «Reconnaissance du peuple algérien envers les artisans de la sauvegarde de la République …», ce texte énonce dans son deuxième paragraphe : «En adoptant souverainement cette Charte, le peuple algérien affirme que nul, en Algérie ou à l'étranger, n'est habilité à utiliser ou à instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l'Etat, nuire l'honorabilité de tous ses agents … ou ternir l'image de l'Algérie sur le plan international.
Tiens, tiens, tiens ! Ce n'est donc pas la paix et la réconciliation nationale qui sont recherchées mais bel et bien l'impunité de ceux qui incarnent l'Etat et ses institutions.
C'est juste une auto-amnistie à brandir devant le TPI, on ne sait jamais ! L'image du régime militaire algérien étant trop abîmée sur le plan international, il y a lieu d'interdire toute revendication de vérité sur les assassinats et les responsabilités qui y sont liées, que ce soit à l'intérieur du pays ou à l'extérieur. Ce qui semble gêner les rédacteurs de ce texte incohérent c'est le fait de pouvoir «ternir» l'image du pays à l'étranger.
Ils oublient que ce qui porte atteinte à l'image de l'Algérie, je dirais même à l'image de l'Algérien à l'étranger, ce sont les pratiques déshonorantes du régime en place qui n'a pas le droit d'attenter à nos libertés et à notre honneur en essayant de nous réduire à l'état de zombies. Les auteurs de cette «charte» oublient deux choses. La première est que ce sont ceux qui dénoncent les crimes de ce régime et ceux des terroristes qui sont les véritables défenseurs de l'image et de l'honneur de l'Algérie.
L'Algérien se sentira plus fier à l'étranger le jour où il n'aura plus honte de son régime politique. Recourir à la répression des démocrates et des militants des droits de l'homme pour protéger le système est le réflexe qui ternit le plus l'image du pays à l'étranger.
Comme nous savons que le pouvoir a les techniques peu scrupuleuses du droit pour faire plébisciter sa «charte» le 29 septembre, il est nécessaire de le mettre en garde contre la promulgation, au lendemain de cette consultation, des lois scélérates qui remettront en cause la liberté d'expression des Algériens.
Faire de tous les partisans de la liberté de pensée et de parole des prisonniers comme Mohammed Benchicou est la meilleure manière de salir l'image du pays pour l'opinion internationale.
La deuxième chose que les organisateurs de ce référendum omettent, ce sont les dommages collatéraux qu'occasionne leur entreprise. Ils confisquent aux familles des victimes de cette violence terroriste le droit à la vérité, au deuil et au pardon, tout comme ils portent atteinte à la mémoire de ceux qui en sont morts.
2 – Le deuxième objectif assigné à cette consultation référendaire est d'ouvrir la voie pour une révision constitutionnelle afin de permettre à Bouteflika de briguer un ou plusieurs autres mandats présidentiels, ce que la loi fondamentale lui interdit formellement aujourd'hui. Mais ne sommes-nous pas dans un pays du tiers-monde où les constitutions ne sont que chewing-gum dans la bouche du pouvoir ? Arbitraire quand tu nous tiens !
(A suivre)


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