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L'Amérique veut faire peur au monde
Publié dans El Watan le 13 - 10 - 2005


L'instrumentalisation de l'Europe
A bien y réfléchir, le rétablissement de l'équilibre des forces dans cette région, hautement stratégique, ne pourrait en fait qu'arranger les affaires et les intérêts de l'Europe. J'entends une Europe puissante, telle que l'envisageait le général De Gaulle, c'est-à-dire débarrassée de l'emprise étouffante des Etats-Unis, pour négocier, en toute liberté et en sa qualité de puissance avec qui il faudrait désormais compter, un accès sans condition aux plus grandes réserves pétrolières de la planète. A ce propos, il est intéressant de relever ce que déclarait un néo-conservateur «bien pensant», lors d'une conférence organisée par le Meadle East Institut à Washington le 29 mars 1996 : «Les Européens ont bien sûr le droit d'être en désaccord avec la politique des Etats-Unis concernant l'Iran. Toutefois, il faut remarquer qu'ils ont bénéficié autant que les Etats-Unis du flux stable et sûr du pétrole en provenance du Golfe persique… Ils (les Européens) devraient laisser à Washington la direction dans la définition des menaces qui pèsent sur la sécurité du Golfe et des moyens d'y répondre…»(14). C'est clair, net et précis. Dans cette partie d'échecs, les stratèges du complexe militaro-industriel ont toujours plusieurs coups d'avance. Un certain Henri Sokolski, ancien conseiller à la CIA et actuel directeur du NPEC(15), estime pour sa part que «les Européens sont cyniques… dans leur négociation avec les Iraniens»(16). En jetant la pierre sur les Européens, cet agent de la CIA veut brouiller les pistes et couvrir d'un voile opaque le machiavélisme des Américains. Ce que veut Washington, c'est instrumentaliser l'Europe et la pousser à aller jusqu'au bout de sa logique en demandant de son propre chef la saisine du Conseil de sécurité de l'ONU. Les néo-conservateurs pensent utiliser la «vieille Europe», menée par la locomotive franco-allemande, comme une Europe alibi, pour l'entraîner dans leur aventure guerrière contre l'Iran et «assurer ainsi, la paix dans le monde». Dans les calculs des stratèges du Pentagone, la guerre contre l'Iran se fera au plus avec l'approbation des gouvernements de l'Europe ou à tout le moins avec leur neutralité positive. Mais «la vieille Europe», principalement le couple franco-allemand, a plus d'un tour dans son sac. Sa solidarité avec les USA n'est qu'une politique de façade destinée à faire bon ménage avec l'ogre américain avec qui il entretient d'importantes relations économiques. Mais pas au point de nuire à ses propres intérêts. Contrairement à l'Angleterre qui n'est pas prête de couper le cordon ombilical qui la lie à son ancienne colonie, l'Europe n'a aucun intérêt à suivre aveuglément les néo-conservateurs dans leur plan de domination de la planète. Voici pourquoi le bébé nucléaire iranien a été botté en touche par la France et l'Allemagne en l'envoyant pour discussion auprès de l'AIEA… Qui ne se souvient de la retentissante claque du président Chirac, dont l'antipathie pour G. W. Bush est bien connue, lors du sommet de l'OTAN à Istanbul en juin 2004, lorsque ce dernier conseilla aux Européens d'admettre la Turquie dans leur Communauté ? : «Occupez-vous du Mexique, pas de la Turquie !» L'opposition à la guerre en Irak, manifestée par la France officielle, a grandement contribué à la popularité du président Chirac dans son pays et dans le monde. La France aura, de nouveau, à jouer un rôle dans cette crise à venir pour éviter de tomber dans le grossier piège qui lui est tendu principalement et accessoirement à l'Allemagne, par les néo-conservateurs de Washington.
Un baril entre 100 et 150 dollars US
En vieux routier de la politique, le président Chirac et son Premier ministre De Villepin sont tout à fait conscients des conséquences désastreuses, à court et à moyen terme, que pourraient avoir un conflit militaire avec l'Iran, tant sur les plans économique que sécuritaire :
– Une montée spectaculaire du prix du baril de pétrole qui pourrait atteindre des sommets jamais égalés : entre 100 et 150 USD le baril du fait de l'arrêt de la production iranienne, de la recrudescence des actes de sabotage contre les installations pétrolières en Irak et très certainement même dans les pays du Golfe, Arabie Saoudite comprise ou des actions kamikazes d'envergure contre les installations pétrolières ne sont pas à écarter. Il faut également tenir compte du fait que l'Iran exporte les 2/3 des 4 millions de barils jour. Donc, bien plus que les 1,5 million de barils que peuvent mobiliser les pays de l'OPEP en temps de crise… Si par le passé les coupures d'approvisionnement ont pu être compensées par d'autres pays, de nos jours la demande est telle qu'il n'existe plus de production excédentaire pour faire face à l'arrêt brutal de production d'un pays aussi important que l'Iran. Les Iraniens en sont bien conscients et n'hésiteront pas à utiliser l'arme du pétrole en désespoir de cause.
– Le harcèlement des troupes de la coalition en Afghanistan, dont les Européens constituent un faible contingent (environ 2000 sur 20 000 hommes), par les talibans.
– L'insécurité pour une longue période, des occidentaux installés ou travaillant dans les pays musulmans, y compris d'Asie centrale, et même en Inde, sans parler de l'agitation qui pourrait s'en suivre au sein des communautés musulmanes dans les pays d'Europe.
Dans le cas d'une saisine du Conseil de sécurité des Nations unies, il est d'ores et déjà certain que la Russie et la Chine opposeront leur veto à toute décision allant dans le sens d'une action militaire contre l'Iran. Ces deux puissances veilleront par cet acte à ne pas donner un blanc-seing à Washington pour faire main basse sur cette région hautement stratégique. Il y va de leur avenir géopolitique en tant que puissances avec qui il faudra désormais compter. Les dernières manœuvres militaires Sino Russes sont un signe probant de leur prise de conscience et de leur volonté de mettre le holà à la politique hégémonique des USA en Asie.
Apocalypse tomorrow
Quant aux moyens que comptent utiliser les USA pour mettre l'Iran à genou, il suffit de s'en référer à la Nuclear Posture Review du Pentagone qui évoque la nécessité pour les USA de se doter de capacités de destruction de cibles durcies et souterraines pouvant abriter des armes de destruction massives. Elle recommande la mise au point d'armes nucléaires d'un type nouveau, capables de pénétrer dans le sous-sol pour détruire les cibles visées. Le projet de modification de la bombe nucléaire de type B61-11, dite «mininuke», mise au point en 1997, ayant une capacité de pénétration élevée grâce à l'uranium appauvri, a dû être finalisé. Les informations relatives à un retrait progressif des troupes américaines et britanniques d'Irak, bien que démenties par Washington et Londres, ne sont pas dénuées de fondement. En fait, elles seraient le prélude à une campagne de bombardement massif contre les objectifs iraniens programmés et actualisés par les vols de reconnaissance réguliers sur le territoire iranien, en totale violation du droit international. Les stratèges du Pentagone ont compris maintenant qu'ils ne pourront empêcher les kamikazes iraniens et arabes de se faire exploser contre le moindre véhicule US en Irak. Il est en effet peu probable, après la leçon irakienne, que les troupes US s'aventurent sur le territoire iranien. En retirant leurs troupes d'Irak, pour n'en laisser que le strict minimum confinées dans des bases retranchées, avant la campagne de bombardement intensif que comptent mener les faucons du Pentagone pour casser l'Iran, les stratèges américains ont bien assimilé le conseil prodigué par l'ancien Premier ministre israélien Ehud Barak à Dick Cheney «l'Amérique a perdu en Irak… Israël a appris qu'il n'y a aucune voie pour sortir vainqueur d'une occupation… La seule issue pour vous, c'est de choisir la taille (size) de votre humiliation»(17)«Ne vous glorifiez pas de votre puissance, car nul ne sait ce que vous réserve l'avenir… », disait le philosophe Kagemi sous le règne du pharaon Khanéfré en 2837 avant J. C. Les néoconservateurs et leur gendarme régional doivent comprendre que les pays d'Orient abritent des peuples de civilisations plusieurs fois millénaires qui ont su absorber ou se remettre des nombreuses invasions depuis les Hittites en passant par Gengis Khan et même l'empire britannique, dont le dernier soldat a quitté la région vers la fin des années 1960. Washington et Tel Aviv apprendront à leurs dépens qu'à trop jouer avec le destin des peuples, ils mettront leurs intérêts et ceux des monarchies de la région en danger.
Notes :
14- Cité par Alain Gresh Monde Diplo Jui/96
15- Centre d'éducation sur la politique de non-prolifération
16- Le Monde du 29 janvier 2005 propos recueillis par L. Zechini
17- Cité par Seymour Hersh dans New York Time du 21 juin 2003.


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