Le hiatus est total : pour le gouvernement la crise sociale en France est à mettre sur le compte de la crise mondiale. Pour les syndicats et les partis de gauche, c'est la gestion de cette crise qui est en cause. En réponse, une fin de non-recevoir aux trois millions de manifestants, selon la CGT, 1,2 selon la police, qui ont pris part jeudi à la journée de protestation pour réclamer des mesures sociales supplémentaires face à la crise. Le Premier ministre, François Fillon, a exclu jeudi soir sur TF1 un « nouveau plan de relance » de l'économie face à « une inquiétude très légitime » mais à laquelle, selon lui, les mesures déjà adoptées répondent. Selon François Fillon, il faut « attendre » que le premier plan de relance de 26 milliards d'euros, lancé en décembre, « produise ses effets ». « La mobilisation ne résoudra pas les problèmes de la crise mondiale », a-t-il ajouté répétant qu'il n'y aura pas d'augmentation du Smic, l'une des revendications des syndicats et de l'opposition. « Ce n'est pas la priorité dans une crise aussi grave. (...) La priorité c'est la mobilisation pour l'emploi, c'est de sauver les emplois. » Les syndicats, qui devaient se retrouver hier pour décider des actions à venir — une autre journée d'action, le 1er mai, devrait être retenue —, jugent insuffisantes les mesures issues du « sommet social » de février et réclament un « changement de cap » au gouvernement. Quelque 213 cortèges ont été organisés jeudi dans toute la France à l'appel unitaire de tous les syndicats. La mobilisation a été encore plus forte que le 29 janvier 2009 (2,5 millions de manifestants selon les syndicats). A Paris, 350 000 personnes, selon la CGT, 85 000 d'après la préfecture de police, ont défilé de la place de la République à la place de la Nation derrière une banderole proclamant : « Ensemble face à la crise, défendons l'emploi, le pouvoir d'achat et les services publics. » Récession et chômage inégalés Selon plusieurs sondages, ce mouvement de contestation a joui d'un large soutien — de 74% à 78% — de la population. « Qu'est-ce qui fait qu'en période de crise, les salariés descendent dans la rue, relèvent la tête ? C'est qu'ils ont un profond sentiment d'injustice sociale. Et ça, je crois que ni le gouvernement ni le patronat ne l'ont encore compris », a estimé Jean-Claude Mailly, dirigeant de Force Ouvrière. Une récession largement plus importante qu'évoqué jusqu'à présent conforte le mécontentement social et l'inquiétude des Français. Au premier trimestre 2009, la croissance devrait s'effondrer de 1,5% — du jamais vu depuis 1975 — selon les chiffres publiés vendredi par l'Institut national de la statistique. Après avoir détruit 159 000 postes durant la seconde moitié de 2008, l'emploi marchand devrait de nouveau en perdre 387 000 au cours des six premiers mois de 2009. Seule la progression de l'emploi salarié dans les secteurs non marchands permettrait de réduire à 330 000 le nombre total de destructions d'emploi au premier semestre, après un recul de 90 000 en 2008.« Le rythme de pertes d'emplois est plus rapide qu'en 1993 », année de forte récession, « où les pertes d'emplois avaient atteint 170 000 au 1er semestre », a souligné Eric Dubois, chef du département de la conjoncture à l'Insee. Quant au nombre des demandeurs d'emploi, il continuerait d'augmenter fortement. Il y aurait 281 000 chômeurs supplémentaires au premier semestre.