Le tableau d'Eugène Delacroix, Femmes d'Ager dans leur appartement, est regardé comme l'un des chefs-d'œuvre de la peinture universelle. Cette œuvre, doublement inscrite dans l'iconographie coloniale et orientaliste occupe une place particulière dans le parcours de l'artiste. Delacroix était moins impliqué que ne le fut par exemple Horace Vernet dans la célébration de la force militaire de la France. Il avait peint Femmes d'Alger dans leur appartement en 1834, alors qu'il marquait l'étape d'Alger, de retour du Maroc. Véritable terra nova, l'Algérie attirait littérateurs et illustrateurs de tous acabits qui trouvaient dans le pays nouvellement occupé un coup de fouet à leur imaginaire. Flaubert et Dumas avaient pour leur part fait le voyage algérien, visitant une espèce d'éden révélé sans réellement en croire leurs yeux tant la beauté des sites était saisissante. Delacroix était-il, lui aussi, dans de telles dispositions d'esprit qui portaient les occupants, mais aussi les passagers soucieux d'échapper au spleen parisien à venir faire en Algérie « le tour du propriétaire » ? San doute le peintre a-t-il d'autres préoccupations à cette période de sa vie, lui qui aspirait à être le successeur de David et, la moindre des choses dans son esprit, l'égal de Goya. Le souffle de Delacroix est au demeurant reconnu,et même un critique aussi sévère que Baudelaire, le poète des Fleurs du mal, se gardera de l'écorcher lui qui ne mettait de gants avec personne. Delacroix peignait des fresques démesurées imprégnées de la présence de la mort et de l'enfer. Ses toiles disaient l'agitation de son époque, les troubles violents de la seconde restauration dont il fut un protagoniste, mais aussi sans doute le tourment interne qui taraudait l'artiste de ses origines. Delacroix était, selon toute évidence, le fils naturel de Talleyrand, grand homme d'Etat mais néanmoins conspirateur avéré auquel Napoléon, outré, avait lancé cette réplique cinglante : « Talleyrand,vous êtes de la merde dans un bas de soie. » Une telle filiation pouvait être pesante pour l'artiste qui trouvera dans la peinture la voie de l'accomplissement. Lorsqu'il peint donc Femmes d'Alger dans leur appartement, Delacroix est peut-être un homme en voie d'apaisement. Ce tableau est dans une certaine mesure en contraste avec le style grandiose qui est le sien. Le peintre y semble retenu, distant par rapport à ses personnages qu'il décline dans un lieu sans lumière éclatante. un troublant détail Ce qui frappe dans cette toile, c'est le peu de rigueur que Delacroix a mis à traiter la porte de cet appartement des femmes d'Alger. Et c'est ce qui fait question, car comment un artiste au sommet de la maîtrise technique comme lui, a-t-il relégué au rang de l'accessoire un élément essentiel de son tableau ? La porte paraît être traitée sommairemen, et elle tranche avec la perfection environnante du tableau. Là est le mystère des Femmes d'Alger dans leur apprtement. C'est aussi ce détail qui donne du sens à l'œuvre comme si le peintre à un moment donné de la création avait buté sur quelque chose d'indescriptible, un élément indicible qui nourrit tant le secret de cette porte que ce qu'elle dissimule.