ce tableau des Femmes d'Alger plaira à Louis-Philippe qui le fait acheter malgré les réticences du peintre qui voulait le garder pour lui... Il s'agit d'un diptyque, dont Beaudelaire dira : « C'est un petit poème d'une tristesse insondable. » Eugène Delacroix, peintre de la conquête de l'Algérie et partisan fanatique de cette conquête, peindra d'autres thèmes algériens, de mémoire ou grâce à ces esquisses croquées en l'espace de trois nuits passées à Alger : Comédiens arabes (1848), Chevaux se battant près d'Alger, La Perception de l'impôt arabe (1863), Camp arabe (1864), Moulay Abderrahmane (1862), Cheval arabe avec une couverture bleue (1863), Odalisque algérienne (1864), etc. Mais le tableau des Femmes d'Alger, d'un diptyque va devenir triptyque. Deux parties se trouvent au Musée du Louvre à Paris. La troisième, au musée Fabre, à Montpellier. Les Femmes d'Alger dans leur appartement est le plus important, non seulement par rapport à cette période orientaliste et algéroise du peintre, mais par rapport à toute son œuvre. Il n'y a pas de doute qu'Eugène Delacroix ait été l'un des plus grands peintres français du XIXe siècle, mais ce triptyque algérois qui fit sa réputation est typiquement restreint par la vision coloniale, orientaliste, exotique, et dont l'exotisme a quelque chose de mauvais goût. S'il a corrigé la technique orientaliste, il n'en a pas moins gardé la thématique vieillotte et terriblement injuste. Malgré cette technique prodigieuse, la suavité des couleurs, l'exubérance des coloriages, le mouvement centrifuge qui se découpe en plusieurs mouvements comme au ralenti, malgré l'attitude de chacun des personnages, dont celui de la négresse, à moitié retournée dans un mouvement dansant, souple et ondoyant. Par rapport au décor, c'est la porte rouge avec des franges noires qui équilibre le tableau. Georges écrira à ce sujet : « La porte est le cinquième personnage, tellement sa composition et son emplacement dans le tableau ont une importance capitale. » Cependant, les autres éléments du décor faussent tout. Il y a une accumulation d'objets qui sont tous des clichés et des clins d'œil grossiers : le narguilé par exemple donne l'impression qu'il va déborder de la toile, tellement il est imposant. Puis il y a la panoplie des objets : le brasero, les babouches, le tisonnier... couleur locale ! Mais il y a une sincérité qui émane des femmes elles-mêmes ; avec leur visage empreint de gravité et de cette tristesse qui a frappé Beaudelaire. Mais Delacroix aimait cela. Il voulait que le concept de harem soit répandu en Occident et rêvait d'en posséder un. Le grand peintre portait donc sur cette Algérie et sur cette réalité algérienne un regard de pacotille et de bimbeloterie ! Nous sommes en 1834. Le canon tonne à Alger mise à feu et à sang, et dont le sac a été d'une barbarie inouïe. Du coup, l'intimité, la paix et la sérénité qui se dégagent de ce triptyque ont quelque chose d'odieux et de cruel mensonger. Faux. On dirait, aujourd'hui, que ces Femmes d'Alger dans leur appartement sont une affiche publicitaire pour mieux vendre la colonisation et l'exporter. Eugène Delacroix a beaucoup aidé Louis-Philippe à agrandir son empire. Sa peinture n'était donc pas innocente. Picasso s'en souviendra au moment voulu et tentera de gommer la vision coloniale de Delacroix pour en faire une vision révolutionnaire et il écrira à ce sujet : « Que croyez-vous que ce soit un artiste ? Un imbécile qui n'a que des yeux s'il est peintre, des oreilles s'il est musicien, ou une lyre à tous les étages du coin s'il est poète, ou même s'il est boxeur, seulement des muscles ? Bien au contraire, il est en même temps un être politique, constamment en éveil devant les déchirants, ardents ou doux événements du monde, se façonnant de toute pièce à leur image... » « Comment serait-il possible de se désintéresser des autres hommes, et en vertu de quelle nonchalance de se détacher d'une vie qu'ils vous apportent si généreusement ? Non ! La peinture n'est pas faite pour décorer les appartements. C'est un instrument de guerre offensive et défensive contre l'ennemi qui viole les lois de l'humain. »