Le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Belaïz, a annoncé, lundi dernier, l'ouverture d'une instruction judiciaire sur les spéculations et le trafic des terres agricoles. Une large enquête, à l'instar de celle concernant le groupe Khalifa. M. Belaïz a tenu à souligner que les assiettes foncières situées à Bouchaoui (Staouéli) étaient particulièrement visées. S'étalant sur près de 2000 ha, ces terres sont les plus prisées du pays. Le richissime homme d'affaires Djillali Mehri, le P-DG d'Union Bank, Brahim Hadjas, les deux fils du général à la retraite Khaled Nezzar, pour ne citer que ceux-là, ont acheté un droit de jouissance auprès d'exploitations agricoles communes (EAC). Après un contentieux avec les membres des EAC, avec qui il est entré en partenariat vers la fin de l'année 1998, un problème ayant trait à des désistements, M. Mehri s'est retiré, avons-nous appris sur place. « Ce sont des terres qui se vendent à prix d'or. Nous avons réussi à chasser Djillali Mehri, et nous nous sommes désistés de notre droit de jouissance d'une autre personne », nous dit l'un des cinq membres d'une EAC, à l'entrée de Club des Pins. Notre interlocuteur a préféré garder secret le nom du nouvel acquéreur. « Il est très riche. Vous ne pouvez rien contre lui », a-t-il ajouté. Le nouvel acquéreur a dû entrer en compagnie de quatre autres personnes, conformément à la réglementation. L'intérêt particulier pour ces assiettes, ex-domaine Borgeaud, a commencé par se manifester en décembre 1987 quand l'Etat a pris la décision d'octroyer un droit de jouissance perpétuel des terres, conformément à la loi n°87-19. Nombre d'agriculteurs se sont lancés dans cette aventure en s'organisant à travers des EAC. Ils ont vite fini cependant par découvrir les limites de leurs moyens matériels, ce qui les a conduits à opter pour des partenariats avec Union Agro, filiale d'Union Bank, et Domaine saharien d'El Hadjira, appartenant au groupe Mehri. Union Bank étant en faillite, un liquidateur se rend souvent sur les EAC où la banque est engagée. « Les responsables d'Union Bank ne viennent plus depuis plusieurs mois. Nous espérons, grâce à l'enquête que compte mener le ministère de la Justice, que les terres puissent nous revenir », souhaite un agriculteur. Quelques kilomètres plus loin, une EAC de 20 ha a été acquise, il y a environ une année, par trois nouveaux acquéreurs, dont les deux fils du général à la retraite Khaled Nezzar. « Je ne sais ce qui se passe ailleurs, mais pour ce qui nous concerne, nous avons acheté, en tant qu'agriculteurs, le droit de jouissance dûment enregistré au niveau des Domaines. Nous comptons poursuivre une activité purement agricole », a tenu à préciser Lotfi Nezzar, précisant que 10 ha étaient déjà sous serre. Si l'Etat ouvre aujourd'hui une enquête, il faut préciser que c'est lui qui a rendu légale la cession des terres en adoptant, le 15 juillet 2002, une circulaire interministérielle. La circulaire pose toutefois comme condition : « Le postulant à l'acquisition doit être de nationalité algérienne, avoir la qualité de travailleur du secteur agricole, ne pas être titulaire d'un droit de jouissance dans le cadre d'une EAC ou EAI (exploitation agricole individuelle, ndlr) et obtenir l'agrément des autres membres du collectif, en cas d'EAC. » Aussi, il est strictement interdit à une société ou à un organisme d'y postuler. Le ministre de la Justice n'a pas expliqué si l'instruction judiciaire sur le détournement du foncier agricole sera nationale ou axée uniquement sur les terres de Bouchaoui. M. Belaïz a en tout cas assuré que « tous ceux qui ont été impliqués dans ce dossier et se sont enrichis suite aux malversations concernant cette affaire répondront de leurs actes devant la justice », ajoutant que « les terres seront rendues à leur propriétaire légal : le peuple ». D'une pierre deux coups : la circulaire interministérielle a par ailleurs permis à l'Etat d'exercer à tout moment son droit de préemption, ce qui signifie qu'il peut à tout moment reprendre possession des terres et de les reverser à qui il le souhaite. En vertu de ce nouvel article, près d'une centaine d'hectares sont ainsi revenus sous sa coupe, sur arrêté de la wilaya d'Alger, signé le 19 octobre 2002. Le hic est que de vastes étendues sont menacées par le béton, l'Etat prévoyant une extension de la résidence du Club des Pins. Une action en justice avait été intentée par les agriculteurs contre le wali en poste à l'époque, Abdelmalek Nourani. Des négociations, faut-il le rappeler, avaient même eu lieu il y a quelques années entre le responsable de la Société d'investissement hôtelier, dont le responsable n'est autre le directeur de la résidence du Club des Pins, M. Melzi, et un investisseur libanais, Mustapha Hariri, parent de l'ancien Premier ministre Rafik Hariri, pour la construction d'un complexe touristique. Nous avons vainement tenté hier d'entrer en contact avec M. Melzi. La partie allant de Club des Pins à Aïn Benian est promise à un gigantesque complexe touristique.