Que l'Algérie ait consommé quatre Constitutions en 33 années, alors que les Etats-Unis gardent la même Constitution depuis 1787, soit plus de deux siècles, et que la France soit régie depuis près d'un demi-siècle par une seule, celle de 1958, prouve bien que l'Algérie cherche encore, souvent dans le trouble et la douleur, toujours dans le secret, celle qui doit survivre aux dirigeants et aux événements et surtout prendre en charge les aspirations du peuple. Aucune Constitution algérienne n'a survécu longtemps à son promoteur. Celle de 1963 «violée dans un cinéma» selon les propres termes de Ferhat Abbas, avait été emportée en même temps que Ben Bella par le coup d'Etat du 19 juin 1965. Il a fallu attendre plus de 11 années pour que Boumediène, dont le pouvoir était sans partage, octroie, en 1976, une nouvelle Constitution à l'Algérie. Moins de six mois après sa mort, elle sera remaniée pour introduire la fonction de Premier ministre en Algérie en attendant, qu'à sont tour, elle soit disqualifiée violemment par le séisme politique d'octobre 1988. Elle sera remplacée en 1989 par une troisième Constitution qui ne se survivra pas longtemps à Chadli Bendjedid, forcé de partir, emportés lui et la Constitution par le déluge islamiste de feu et de sang qui s'abat sur l'Algérie tout au long de la décennie 1990. Concoctée dans l'urgence et la peur, l'actuelle Constitution, endossée par Liamine Zeroual en 1996, est promise à une prochaine abrogation puisque le chef de l'Etat en exercice a déclaré tout au long de son premier mandat : «Ne pas l'aimer», pour reprendre ses mots et que son actuel représentant personnel, ministre d'Etat et chef du parti majoritaire de la coalition gouvernementale ne cesse de demander sa révision : ce qui veut dire en fait et en clair, la rédaction d'une nouvelle Constitution pour un nouveau régime. Il est peu de dire par conséquent que le titre de notre contribution n'est ni un exercice académique ni un caprice d'auteur. Le thème est bel et bien d'actualité. Il est même crucial, si l'on veut sortir rapidement et – espérons-le – définitivement l'Algérie de son enlisement historique. Bien entendu, il ne s'agit pas de proposer une nouvelle Constitution, encore que l'exercice ait été tenté ailleurs et peut, sans peine et sans délai, être repris ici, mais de suggérer des pistes pour guérir l'Algérie de ses dérives institutionnelles. Il s'agit, vu l'importance et l'actualité du sujet, de répondre à deux questions centrales : 1) De quoi l'Algérie a souffert en matière constitutionnelle ? Ou si l'on préfère, quels sont les problèmes qui l'ont empêchée de suivre un parcours politique paisible et profitable à tous ? 2) Quels sont les remèdes institutionnels aux travers politiques de l'Algérie ? Encore juste un mot pour ramener les rêves ou les prétentions de chaque thérapeute ou guérisseur des maux politiques algériens aux justes réalités humaines et historiques de notre pays. Toute proposition ne peut viser qu'à corriger le plus possible les faiblesses et les tentations des acteurs politiques en construisant des digues juridiques sans jamais avoir la prétention ou l'orgueil de les guérir complètement. En attendant, au moins, que l'éducation nationale aide à construire le citoyen algérien. Il n'est pas dans la nature de l'homme de s'autolimiter. C'est pourquoi les institutions doivent être conçues, au moins, pour remplir cette fonction. C'est déjà beaucoup. De quoi l'Algérie a le plus souffert au plan politique depuis son indépendance ? La réponse devrait être consensuelle si elle porte sur : 1- L'absence de pluralisme ; 2- l'absence de libertés ; 3- l'absence de séparation des pouvoirs ; 4- l'absence de légitimité et de contrôle. Comme souvent, sinon toujours, en matière politique, le diagnostic semble évident ou facile à établir alors que les solutions le sont moins. D'où l'obligation non seulement de ne pas s'attacher sur les graves défauts du régime algérien évitant ainsi d'aviver les plaies, de remuer le couteau dans la plaie ou de donner prise à la prétention de mieux les connaître que ceux, en fait le peuple, qui en ont le plus souffert mais de proposer avec la modestie et l'humilité qui s'imposent quelques pistes de réflexion pour nourrir le débat et mûrir les solutions. Encore une précaution. Si je devais présenter une caution à mes propositions, je la trouverais volontiers, en comptant sur l'indulgence du lecteur sur cet article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 repris ou imité dans bien des chartes universelles. Que dit-il ? Ceci : «Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.» Pour que l'Algérie en ait une par conséquent, enfin valable, inattaquable et acceptable, il faudrait qu'un système de garanties soit érigé pour corriger les défauts de ses constitutions qui se suivent et se ressemblent sur l'essentiel. D'où que toute nouvelle constitution devrait comporter des garanties sur les éléments fondamentaux qu'on doit présenter brièvement. I – La garantie du pluralisme Le pluralisme ne touche pas seulement aux partis politiques encore que même sur ce point, il faut clarifier et garantir les conditions d'agrément pour en finir, une fois pour toutes, avec le pouvoir discrétionnaire du gouvernement en place. Le pluralisme doit s'étendre aussi, sans restriction, aux syndicats et aux associations. Il est aberrant que le syndicat unique survive encore au parti unique et que des syndicats représentatifs n'aient pas été agréés. La situation est encore plus inacceptable au niveau des associations. Est-ce que nos législateurs et surtout nos gouvernants vont enfin comprendre que l'association est à la démocratie ce que l'Ecole est à la République ? pour reprendre l'observation si juste et surtout l'intuition fulgurante du voyageur en Amérique qu'était Alexis De Tocqueville. Aujourd'hui, ce sont les associations qui constituent la richesse et la vitalité des démocraties les plus vivantes. En fait, ce sont elles qui la portent, la fortifient et la renouvellent. Plus qu'une question d'institution, le pluralisme est un état d'esprit qui rejette l'enfermement, l'uniformité et le sectarisme. II – La garantie des libertés Il ne sert à rien d'inscrire le bloc des libertés dans une Constitution si elles doivent être soumises à des restrictions, à des atteintes et même à des interdictions répétées comme c'est le cas en Algérie. C'est toujours un alibi et une source de frustrations. A quel horizon l'Algérie pourrait-elle adopter des interdictions absolues aux atteintes aux libertés comme il s'en trouve dan la Constitution allemande où celle-ci dispose en termes simples que «la censure est interdite» ou dans le premier amendement de 1791 à la Constitution des Etats-Unis ? Aucune loi ne peut y déroger alors que chez nous des codes pénaux bis sont vite élaborés à chaque fois que le pouvoir veut restreindre les libertés. III – La garantie sur l'équilibre et la séparation des pouvoirs Une foule de questions se pose ici. Faut-il un exécutif bicéphale, ce qui revient à maintenir ou non la fonction de Premier ministre ? Faut-il maintenir un parlement à deux chambres ou non ? Comment assurer l'indépendance de la magistrature ? Quelle est l'étendue des compétences de chaque pouvoir, etc…? Toutes ces interrogations et bien d'autres encore nous viennent presque du fond des âges et n'ont cessé d'alimenter la pensée politique et philosophique des plus grands penseurs de l'humanité. Il serait sans doute très commode de s'y rallier, si la pensée humaine était transposable sans résistance et sans adaptation. Il nous faut, par conséquent, travailler surtout à partir de la sociologie algérienne, de l'expérience politique assez longue désormais et, enfin, des exigences de notre temps et de notre peuple. Donc, faute de pouvoir leur consacrer les développements quasi interminables qu'elles méritent, tout en sachant d'ailleurs que les controverses risquent d'être inépuisables, voici en peu de mots, ce qui nous paraît être non pas l'idéal mais le nécessaire et le possible. S'agissant de la séparation et de l'équilibre des trois pouvoirs, il est indiscutable qu'un tel principe a valeur universelle et qu'il est surtout un gage de paix politique et de succès général. La confusion politique a été trop la marque du pouvoir algérien pour être reconduite. Il n'est plus possible que le chef de l'Etat s'arroge en droit et en fait tous les pouvoirs. C'est pourquoi le maintien de la fonction de Premier ministre peut contribuer, à condition de mieux définir ses compétences et de les respecter, à limiter le pouvoir à tendance hégémonique du chef de l'Etat. De plus, chacun sait que le Premier ministre joue la fonction de fusible, évitant d'exposer directement le premier magistrat du pays pour ne pas fragiliser les jeunes nations sans forte tradition démocratique. La limitation à deux mandats présidentiels est, elle aussi, une manière d'éviter des présidents à vie comme c'est le cas dans la plupart des pays arabes. En direction du Parlement, la création du Conseil de la nation ne semble avoir été imposée qu'en raison de la bizarrerie du tiers présidentiel dit «tiers bloquant» pour empêcher un coup d'Etat législatif islamiste. Cette bizarrerie renseigne plus sur la peur panique qui s'est emparée des sphères dirigeantes face à l'islamisme menaçant que sur une quelconque utilité parlementaire et encore moins vertu démocratique. En général, les chambres hautes ne sont qu'une survivance de la noblesse qui fut pendant de longs siècles la classe politique dominante ou une solution de compromis pour instaurer un système fédéral. Une économie de moyens, ajoutée à la double nécessité d'efficacité et du renforcement du pouvoir législatif ne plaident pas pour le maintien du Conseil de la nation. Par contre, cette institution pourrait largement et bénéfiquement être remplacée par un Conseil national économique et social qui siégerait au même endroit et dont la composition et les attributions de conseil neutre et objectif seraient revues pour lui donner plus d'autorité (autosaisine) et d'utilité sur l'état de la nation. Rares fenêtres sur la réalité sociale du pays, les rapports périodiques du CNES manquent déjà à l'opinion depuis la soumission de cette institution. L'Algérie a plus que jamais besoin d'une institution indépendante qui la renseigne sur son état réel. IV – La garantie de légitimité et de contrôle Il n'y a pas de légitimité en dehors des urnes. A condition, bien sûr, que les élections soient irréprochables dans leur préparation, leur déroulement et leur proclamation. Mais c'est tout le problème en Algérie. La meilleure Constitution ne peut donner le gouvernement le plus légitime, si la fraude électorale n'est pas rendue impossible. Il n'y a pas de démocratie là où le gouvernement assure sa reconduite répétée par des élections truquées. Il y a démocratie là où le gouvernement accepte l'alternance par sa défaite électorale. Une élection honnête, propre, transparente, donc démocratique ne peut être conduite que par un régime qui l'est tout autant. Que faire devant une telle situation ? Nous considérons que c'est là où se trouve le problème le plus crucial du régime politique algérien. Paradoxalement, les juristes et la classe politique ne lui ont pas accordé l'attention nécessaire. La fraude électorale constituant la source du mal algérien qui, telles des métastases, se propage dans tous le corps social. Comment l'éviter en attendant, une fois encore, que le progrès culturel et social, puisse améliorer les mœurs politiques en Algérie ? Je pense sincèrement que notre pays n'est pas condamné à la fraude électorale, si nous voulons explorer les voies du contrôle. Malgré le scepticisme ambiant nourri par tant de déceptions, de colère et de révoltes, j'ose proposer des pistes sans avoir la faiblesse de croire qu'elles apportent le remède miracle. Soumises à la réflexion et à l'enrichissement en attendant qu'elles suscitent, peut-être, d'autres débats, mes propositions portent sur une réforme complète mais facile à conduire du conseil constitutionnel. Observons, pour commencer, que si curieusement les expressions de «compétition électorale» et de «jeu politique» sont empruntées au monde sportif, les arbitres politiques en Algérie sont loin d'être neutres. Qui fait les élections en Algérie ? En laissant de côté le DRS, il est clair que la télévision nationale, les fonds de l'Etat, le ministère de l'Intérieur et le Conseil constitutionnel sont les quatre stades où se jouent les élections en 4 étapes : dans leur maturation auprès des téléspectateurs-électeurs, dans le financement des campagnes électorales par l'achat de soutien, voire des électeurs, dans leur organisation par les services du ministère de l'Intérieur et enfin dans leur proclamation officielle par le Conseil constitutionnel. Or, les quatre arbitres, sans parler du DRS, sont désignés ou soumis au chef de l'Etat, juge et partie dans la course ou le combat électoral. Cette dernière institution joue, chez nous, comme ailleurs, un rôle déterminant. Les élections américaines de l'an 2000 entre Al Gore et George Bush ont été arbitrées par la Cour suprême des Etats-Unis, alors que les élections de mars 2006 en Italie, opposant Romano Prodi à Silvio Berlusconi ont été tranchées par la cour de cassation. Dans les deux cas, ce qui ne trompe pas sur le caractère démocratique des institutions, ce sont les dirigeants au pouvoir qui ont été déclarés battus. Pour qu'un tel système fonctionne en Algérie, il faudrait que le Conseil constitutionnel soit totalement revu dans sa composition, ses attributions et son fonctionnement. En deux mots, je rappelle que le Conseil constitutionnel actuel est composé de 9 membres dont 3 nommés par le président de la République, 2 élus par l'APN, 2 par le Conseil de la nation, 1 élu par les magistrats de la Cour suprême étroitement du chef de l'Etat et 1 par ceux du Conseil d'Etat. Autant dire que tous les membres dépendant ses compétences et de la saisine du conseil constitutionnel sont strictement limitées. S'agissant de sa composition, il conviendrait d'y faire siéger les anciens présidents de la République qui sans être pris de remords pour leur gestion passée, pourraient opposer une certaine résistance aux pressions et aux interventions des cercles influents. Plus intéressant encore, les partis politiques agréés et disposant d'un nombre d'élus (100 ?) à déterminer, auraient, eux aussi, de droit, un membre chacun au Conseil constitutionnel. Enfin, certaines corporations appartenant aux professions libérales (médecins, avocats, journalistes) et le corps des enseignants de l'université supposées être la conscience nationale et non dépendantes de l'Etat, pourraient élire chacune un représentant. Composé d'une quinzaine ou d'une vingtaine de membres tout au plus, le Conseil constitutionnel aurait une autorité telle qu'il serait chargé d'organiser directement les élections législatives et présidentielles en mobilisant les agents de la Fonction publique territoriale avec ses services, c'est-à-dire ceux du conseil constitutionnel, pour seule destination des urnes. Suspecté d'être partisan et souvent accusé d'être l'organisateur, sous différentes formes, de la fraude électorale, le ministère de l'Intérieur n'aurait plus de compétence en matière électorale. Les élections n'étant pas fréquentes, ce n'est ni une privation mortelle pour lui ni une charge insupportable pour le Conseil constitutionnel. Bien entendu, les modalités d'une telle révolution administrative feraient l'objet d'un examen rigoureux et de propositions plus affinées. En conclusion, il faut souligner qu'aucune constitution n'est neutre. En fondant un régime politique dans sa nature comme dans son fonctionnement, elle décide, en fait, du sort quotidien de chaque citoyen. Il s'agit, par conséquent, de savoir si la prochaine Constitution, celle qu'on nous promet sera, une fois de plus, celle d'un homme, faite par lui et pour lui, ou bien, celle de tout un peuple enfin décidé à gérer ses propres affaires et à tracer pour les générations futures la route de la liberté et du progrès.