Le cinéma africain revient à Ouaga comme le ressac de la mer, sans cesse recommencé, trépidant, chaotique, plein d'espoir. On a d'abord cru que cette session 2009 allait être aussi une fête. Mais au fil des jours, on voyait bien que la manifestation n'avait plus de raison d'être et que la fête était finie avant même de commencer du fait même de la grande pagaille qui s'était installée à Ouaga. Le cinéma africain n'était plus une priorité. Il y avait la foire commerciale, les petites combines (les programmes vendus par ceux qui devaient les distribuer gratuitement), la gabegie totale de l'organisation, la paresse des responsables qui se roulaient les pouces et les discours et éditos lèche-bottes et langue de bois. On se croyait au pays de Ben Ali, sauf qu'au Burkina, sous un ciel ébouillanté, le régime se parait d'un tissu de « bonne gouvernance ». Tandis que tour à tour, les « donateurs » occidentaux coupaient les aides arguant du contraire. La presse de Ouaga parlait de la grande corruption qui touche le pouvoir dans ce pays, le plus pauvre du monde. Et pour ne rien arranger, des secteurs entiers du pays étaient en grève contre la cherté de la vie. Et puis cette indigeste cerise sur le gâteau : le naïf désir de faire comme à Cannes, par 38 degrés à l'ombre, avec une « montée des marches » sur un tapis rouge où les cinéastes africains enveloppés de leurs boubous patchworks imitaient les stars d'Hollywood débarqués sur la Croisette. Cela s'était passé dimanche soir, 1er mars, devant nos yeux ahuris au Ciné Burkina. Bousculé sans ménagement par des policiers sans pitié lors de cette mascarade, le cinéaste malien et ex-ministre de la Culture, cheikh Oumar Sissoko, en gardera un très amer souvenir. L'ex-ministre malien, jeune et brillant cinéaste par ailleurs, n'était pas venu à Ouaga pour jouer les larbins dans les cocktails et autres conférences tristes comme des cercueils (voir le colloque plein d'ennui sur cinéma et tourisme ou la réunion bizarre de la Fepaci, devenue une fédération imaginaire des cinéastes africains). Le plus prestigieux d'entre eux, Hailé Gérima, a claqué la porte depuis longtemps et refuse de mettre les pieds au Burkina. Cette année son film Téza a triomphé sans lui, son frère est venu prendre la statuette. Le refus de Hailé Gérilma est politique. Il était très proche de Thomas Sankara et ne veut plus rien à voir personnellement avec ceux qui l'ont assassiné. C'est triste à dire, mais le Fespaco de la joie des retrouvailles et de la dignité du temps de Thomas Sankara est bien fini. Le cinéma africain est aujourd'hui poussé au dernier rang. Place à la kermesse bouffonne, au paganisme (on a fait des célébrations qui étaient de la pure sorcellerie, en faisant tourner les participants autour d'une statue et en récitant de bizarres prières...) Le Fespaco a sombré aussi dans les pratiques trabendistes : que dire des sacs marqués Fespaco offerts par TV5 et qui se vendaient sous le manteau au profit des organisateurs ! Et des programmes polycopiés et vendus 500 francs CFA ! Délocalisation du festival Des cinéastes venus d'autres régions d'Afrique souhaitent déjà que le Fespaco émigre hors du Burkina. L'Union européenne aussi, elle qui a bloqué cette année toute aide à la manifestation, mécontente de la tournure des choses. Certains pays étrangers, mais pas l'Algérie apparemment, se méfient aujourd'hui du Burkina à cause de ses relations très étroites avec Israël. Des secteurs stratégiques au Burkina sont aux mains d'Israël, dont le téléphone mobile, et Blaise Compaoré n'a pas hésité d'être pratiquement l'un des seuls responsables africains à se montrer aux cérémonies du 60e anniversaire d'Israël en mai 2008, aux côtés de tous ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité à Ghaza. Pendant ce temps, bien calés dans leurs fauteuils, les fieffés bureaucrates, qui ont conduit le Fespaco à sa perte, continuaient de dire en public « les donateurs sont avec nous », mais en privé que tout cela, c'est la faute des pays étrangers. C'est connu, quand le chaos s'installe, c'est parce que l'aide étrangère a manqué. En fait, c'est la paresse qui primait, aucun effort n'était fait pour trouver des solutions internes. Résultat, on mourrait d'ennui à Ouaga en attendant que les organisateurs finissent de régler leurs petites affaires.Tandis que d'autres ayant fait le voyage Alger-Ouaga se croyaient en villégiature et s'intéressaient uniquement aux cocktails, prenant soin de fuir la moindre projection. On a souvent laissé au hasard le choix des films. Le comité de sélection (s'il existe) s'est contenté de consulter les catalogues d'autres festivals. Des bobines se retrouvaient ici par le plus grand des hasards. On a repéré cela dans le catalogue de Namur, où depuis Lagos, un quidam a envoyé une vidéo. Le Fespaco 2009 menait la vie dure au journaliste qui devait ramer pour trouver une production correcte, qu'il n'avait pas déjà vue ailleurs et dont les bobines sont bien arrivées. Sinon tout le reste, c'était l"éternelle débrouille. Bons baisers de Ouga… On a quitté Ouaga sans aucun regret. Les oiseaux de proie continuaient de tourner au-dessus des étals de viande et de poissons pourris. Dans une poussière suffocante, des montagnes de cuvettes et de bidons en plastique encombraient les rues où les vendeurs de produits d'artisanat interpellaient en souriant les passants. A midi, à l'heure vraiment très chaude, dans le souffle de l'harmattan, c'était le moment idéal pour filer, entre le flots incessant de mobylettes Yamaha, vers un boui-boui doté si possible d'un climatiseur qui marche. Le soir tard, au moment de filer vers l'aéroport pour prendre le vol retour d'Air Algérie, le Targui de l'hôtel Ran était toujours là, habillé comme un dandy, trônant entre ses chapelets et ses ouvrages sculptés, faisant les yeux doux à son éternel Blackberry.