« Après cet accueil chaleureux, je peux mourir tranquille. » A lui seul, cet aveu aux accents de mea culpa renseigne sur le divorce consommé entre le président et la Kabylie. Bouteflika a mis, sciemment, une dose d'emphase dans son verre en évoquant sa « mort tranquille » après avoir « réussi » à emprunter les chemins qui montent de Tizi Ouzou. Comme si c'était une épreuve difficile, lui qui a sillonné plus de trois fois le pays de long en large, fuyant cette région comme une pestiférée. En fait, il voulait dire ceci : « J'ai bien négocié mon virage à Tizi, je peux prendre tranquillement la route d'Alger. » Faut-il pour autant cataloguer cette virée « vendredienne » dans la rubrique du solde de tout compte du président avec la Kabylie ? Il faut relever d'abord que Bouteflika repart à Tizi et Béjaïa encore une fois en tant que candidat quémandant des voix et non pas comme un président qui distribue de l'argent et des projets comme il l'a fait ailleurs. Aussi, Bouteflika ne pouvait, ne serait-ce que par souci d'éthique, se soustraire à ce devoir moral de faire une incursion sur ce terrain « hostile ». Après tout, au-delà de ses quelque deux millions d'électeurs, la Kabylie est aussi une partie intégrante de l'ensemble national. Le grand soulagement du président candidat est que son déplacement se soit déroulé sans heurt, en ce vendredi dédiée au repos et à la piété. Et, cerise sur le gâteau pour l'ENTV, Bouteflika a même fait quelques pas sur le boulevard Houari Boumediène. Dans la salle de la maison de la culture Mouloud Mammeri, il y avait à peu près tout le spectre de personnages de la région apparentés au pouvoir ou qui portent ses casquettes. Il y avait aussi des symboles – le fameux burnous du fils de Mouloud Feraoun, les robes kabyles –, des footballeurs connus et un film documentaire en tamazight. Pour les caméras, cela suffit grandement pour planter le décor d'une Kabylie belle et pas rebelle. Qui a dit, en effet, qu'il y avait une exception kabyle dans « l'amour » national témoigné à Bouteflika ! C'est cela, le vrai soupir de soulagement poussé hier par le candidat à la fin de son show à Tizi Ouzou. Pour l'argent et les projets, il va falloir attendre ; probablement la prochaine campagne électorale… Ceci côté cour. Côté discours, à trop vouloir distiller des paroles qui ravivent le souvenir de la crise de Kabylie au lieu de remonter le moral des citoyens par des promesses plus terre à terre, Bouteflika a fait cet incroyable aveu : « Je ne sais pas jusqu'à l'instant ce qui a provoqué cette tragédie nationale. » Rien que çà ! Au-delà de cet hommage posthume rendu huit ans après aux victimes du printemps noir, le Président avoue publiquement n'avoir pas lu le rapport de la commission d'enquête du Pr Issad, qu'il avait lui-même commandé. Un rapport qui avait pourtant expliqué, disséqué et situé les responsabilités dans la crise dite de Kabylie. Mais Bouteflika n'accorde manifestement pas grand intérêt à cette tragédie ; il voulait juste signifier qu'il n'y était pour rien. Et dans sa volonté de cimenter les « retrouvailles », il lance un « je suis un authentique amazigh. Quand je me trompe, je sais faire mon mea-culpa, je n'ai jamais frappé quelqu'un dans le dos ». De retour de Tizi, hier après-midi, Bouteflika a dû se dire que l'affaire est pliée en Kabylie. Cela pourrait ressembler à une illusion d'optique. Pour autant, cette région, qui a longtemps servi de syndicat politique, n'est plus ce qu'elle était. Elle est fatiguée. Elle est désormais « normalisée ».