Peu de satisfaction, beaucoup de méfiance. La récente décision du gouvernement français d'indemniser les victimes des essais nucléaires effectués dans le Sahara algérien et en Polynésie ne semble pas emballer grand monde. Côté rive sud de la Méditerranée surtout. Un texte de loi est en préparation pour prendre en charge plus de 150 000 victimes, avait annoncé le 24 mars dernier Hervé Morin, ministre de la Défense. La démarche du gouvernement français est d'emblée qualifiée de biaisée par des chercheurs algériens, invités du Forum du quotidien Echaâb. Les intervenants d'hier à la conférence-débat intitulée : « Essais nucléaires dans le Sahara algérien » ont émis des réserves et des doutes sur le processus de reconnaissance et d'indemnisation que compte mettre prochainement en œuvre l'Etat français. Le chercheur Amar Mansouri affirme que la démarche française ne sera pas de la même envergure que les expériences étrangères connues en matière de réparation, que ce soit aux Etats-Unis, aux îles Marshall, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni ou au Canada. « La France a peur d'ouvrir ses archives, car ceci reviendrait à reconnaître toutes les horreurs commises, dont l'utilisation des populations autochtones comme cobayes humains. » Quand Hervé Morin qualifie les essais nucléaires de crime d'Etat et plaide la reconnaissance du statut de victimes aux populations touchées pour que la « France, dit-il, puisse vivre en paix avec elle-même », le ministre oublie de faire la paix avec les partenaires de son pays. Le projet de loi français et le système d'indemnisation, qui sera mis en place, n'est, à ses dires, qu'une « reconnaissance tacite ». Pas plus. Aujourd'hui encore, estime le spécialiste, « la France mène sa guerre en différé ». Il fait, à ce titre, remarquer que contrairement à la Polynésie qui bénéficie de centres médicaux de suivi de la santé des victimes, qui fait l'objet d'un suivi radiologique régulier et d'enquêtes épidémiologiques, les régions de Reggane, Aïn Menguel, où furent conduits dans les années 1960 les premiers essais atmosphériques, sont à l'abandon. En plus d'opposer un black-out sur les archives qui pourraient éventuellement aider à cerner les périmètres touchés par la radioactivité, aucune opération de décontamination n'a été faite. « Pas d'indemnisation pour les victimes algériennes » Les victimes algériennes, estimées sommairement à 24 000 personnes, bénéficieront-elles du système d'indemnisation ? Le Dr Djeffal en doute car, selon lui, le système de reconnaissance du statut de victime est vicié. Relevant au passage l'absurde d'une situation où « la preuve du préjudice est à la charge de la victime ». « Je ne pense pas qu'il y aura indemnisation des victimes algériennes », déclare le docteur en sciences politiques. Celui-ci dit ne pas « comprendre le silence » des autorités algériennes par rapport aux expérimentations nucléaires. Fait étonnant : 10 des 13 expérimentations dans le Sahara reconnues officiellement par l'armée française se sont, en effet, déroulées après l'indépendance de l'Algérie. S'exprimant sur l'attitude du gouvernement algérien durant cette seconde phase des essais, phase qui court de mars 1963 à février 1966, le politologue estime qu'il a été « défaillant, mais pas responsable ». L'universitaire précisera que ses propos ne visent aucunement à remettre en cause les accords ratifiés par l'Algérie, notamment ceux d'Evian qui ont permis le maintien après l'indépendance des bases militaires françaises dans le Grand-Sud. « L'Etat algérien aurait dû, ne serait-ce que dans un souci de prévention, engager ce dossier dans le cadre des relations bilatérales », affirme M. Mansouri. Le site de Reggane (sud de Tamanrasset), où des essais souterrains ont été effectués jusqu'en 1966, n'a été clôturé que récemment. Seulement 40 km de clôture arbitraire. Le juriste docteur Aggoun, qui dit « attendre le texte de loi pour s'exprimer avec précision », regrette que le gouvernement français, initiateur du projet, n'ait pas jugé utile d'accompagner son projet d'un « exposé des motifs ». Un exposé des motifs qui aurait projeté plus de lumière sur l'objectif recherché par l'autorité française. Première remarque de l'homme de loi : « Le fait de vouloir indemniser les victimes est une reconnaissance de la responsabilité civile et non pas pénale. C'est une responsabilité pour risques et non pour faute pénale. » Le débat sur la faute pénale a été complètement évacué, d'après Aggoun. Sciemment. Pour éviter que les responsables du désastre humain, sanitaire et environnemental que sont les essais nucléaires dans le Sahara aient à répondre un jour de leurs actes devant la justice.