Hier, la Bibliothèque nationale d'Algérie (BN), à Alger, a abrité une rencontre (ce qui est très rare en Algérie) en hommage à l'auteur de L'Eternel Jugurtha pour commémorer le centième anniversaire de sa naissance. Baptisée «Jean El Mouhoub Amrouche : entre politique et poétique», cette rencontre a mis essentiellement en lumière le parcours militant de l'écrivain. Un engagement qui lui a coûté son poste à la radio en 1958 pour ses prises de position radicales en faveur de l'indépendance de l'Algérie. Au cours de ses émissions, il a animé des débats avec des écrivains de grande envergure, à l'exemple d'André Gide, François Mauriac et Paul Claudel (excusez du peu). Dans sa brève intervention, Pierre Amrouche (fils de Jean Amrouche) a annoncé qu'il vient de remettre à la BN des documents «intéressants» et des manuscrits de son père pour permettre aux lecteurs algériens de le connaître mieux. De son côté, la directrice de la revue Awal, Mme Tassadit Yacine, relève que la mémoire algérienne accuse des «trous». De ce fait, «nous n'avons pas de filiation». Ainsi, «chacun invente sa mémoire et sa filiation». A une certaine période, Jean Amrouche «a cru en ces valeurs» universelles tant véhiculées par la France et qui aspirent à l'édification d'une société algérienne «plurielle». Néanmoins, il a fini par revoir sa vision de la situation qui prévaut dans les années 40 avec notamment les évènements du 8 mai 1945. A ce sujet, il transmet en août de la même année un article intitulé «A propos des émeutes du 8 mai 1945» à la revue Combat, laquelle ne le publie pas. Dans cet article, il voit que «pour que la France ait perdu l'Afrique du Nord, il suffirait, et ni les bombes d'avions, ni les canons de la flotte, ni les armes automatiques d'infanterie, ni les blindés n'y pourront rien, il suffirait que les Nord-Africains renient la France dans l'esprit et dans leur cœur. De sorte que si le problème algérien est un problème économique, politique, social, il est bien plus profondément un problème moral». La même intervenante rappelle que Jean Amrouche a remis en cause la politique des socialistes prônée par Guy Mollet et associé des camps de regroupements à un «génocide programmé». Des pratiques que les Français ont subi de par les nazis. Cela dit, l'écrivain et militant n'a ménagé aucun effort pour rendre le dialogue possible entre de Gaulle et le FLN, d'autant que les deux parties lui font confiance. Pour l'universitaire Afifa Brerhi, il est «un devoir de mémoire en ce que la vie de Jean Amrouche est un morceau de notre histoire collective que nous nous attelons à écrire. Devoir de mémoire envers un des fondateurs du patrimoine littéraire algérien». La même voix relève que Amrouche «ne figurait nullement dans les programmes des cursus universitaires, encore moins scolaires en période coloniale et tout autant après l'indépendance. Seule une élite pouvait se prévaloir d'une fréquentation intellectuelle avec Jean Amrouche». L'intervenante aborde l'œuvre poétique et littéraire de Amrouche, à commencer par Cendre et Etoile secrète. Une œuvre qui, outre «les thèmes évoqués, tous inspirés de sa propre vie, du mysticisme chrétien, la quête de l'originel», est d'une «envergure d'exception lorsque la fracture poétique se veut baudelérienne et mallarméenne, comme il le reconnaissait lui-même» lorsque dans Chants berbères de Kabylie «il disait que s'il avait à les interpréter ce serait à la manière de Baudelaire et Mallarmé». Afifa Brerhi classe L'Eternel Jugurtha parmi ces livres «auxquels on revient constamment tant ils collent à la réalité la plus profonde de l'homme». Et ce n'est pas «excessif» de le «concevoir» comme un «avant-propos d'une charte de projet de société pour l'Algérie». A son tour, l'universitaire Mme Amina Bekat a présenté un livre de Réjane Le Baut intitulé Jean El Mouhoub Amrouche. Mythe et réalité (éditions Du Tell 2005). Un «outil» qui renferme «beaucoup d'informations» sur le poète et met en relief sa dimension «universelle». La rencontre s'est terminée par un récital poétique de Lahlou et des chants de Taos Amrouche, la sœur de Jean, interprétés par la poétesse Flora. Taos Amrouche, à titre de rappel, a été interdite de prendre part au premier festival panafricain qui s'est déroulé à Alger en juillet 1969. En 1982, un groupe d'universitaires et d'étudiants, entre autres, le docteur Malika Baraka et Aït Larbi Arezki, ont pris l'initiative de rendre un hommage à Jean Amrouche au Théâtre communal de Tizi Ouzou (aujourd'hui Théâtre Kateb Yacine). Ils ont obtenu l'accord quant à la participation de plusieurs écrivains et poètes de renom, tels que Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Nabil Farès et Ben Mohamed. Des démarches administratives ont été effectuées, en vain, pour obtenir une autorisation à cet effet. Seuls les services de la police leur ont répondu et de quelle manière. Ils convoquent à leur niveau des initiateurs de la rencontre en question. L'hommage n'a pas eu lieu.