En effet, sa défunte mère était une brodeuse très connue sur la place d'Alger. Elle avait, d'ailleurs, obtenu, par la chambre du commerce d'Alger en 1937, le premier prix de la meilleure brodeuse. Souheila exhibe d'un air fier ce diplôme, dont l'encadrement a été réalisé des mains du miniaturiste Mohamed Racim. La couture et la broderie n'avaient aucun secret chez sa famille maternelle puisque toutes ses tantes pratiquaient soit de la couture, soit du tricot, soit de la broderie ou encore de la tapisserie. Souheila a donc été bercée dans les coulisses du fil et des paillettes. A l'âge de 13 ans, elle réalise, spontanément, pour sa sœur, une robe en fetla, incrustée de paillettes scintillantes. Sa mère surveillait de près ce travail qui laissait présager déjà un talent certain. Chemin faisant, elle s'aperçoit que le métier de brodeuse l'interpelle à plus d'un titre. Elle décide alors d'en faire son métier. Après avoir enseigné quelques années la couture à la maison, elle s'exile en France involontairement avec ses quatre enfants en bas âge, suite à l'assassinat de son mari en plein cœur d'Alger. Tiraillée entre la douleur et l'exil, elle décide d'exaucer un de ses vœux, celui de s'inscrire à la célèbre école de couture Lessage de Paris. Ce passage de deux ans et demi, dans ce prestigieux lieu, a été une thérapie et une découverte sur un monde merveilleux de la haute couture et de la broderie. Si par le passé, elle se plaisait à réaliser ses broderies avec une aiguille, là, elle apprendra la technique de la broderie sur le crochet «Luneville». Elle décroche une maîtrise en broderie. Voulant absolument découvrir toutes les techniques, elle s'inscrit, toujours à Paris, dans une école privée Malbranche, pour suivre en même temps deux formations différentes : la broderie blanche (nappes, draps…) en ameublement. Souheila révèle sur un ton fier que ses professeurs lui lançaient à chaque fois cette phrase lourde sens : «Vous avez madame des chrosomes de brodeuses.» Ayant acquis une double culture dans sa formation, elle tentera de travailler en France, en vain. Les portes de sésame resteront fermées car, explique-t-elle, «les employeurs préféraient recruter des gens expérimentés». Après un va-et-vient fréquent dans son pays natal, ses amis et ses proches lui conseillent d'ouvrir une boutique afin de montrer son savoir-faire. Après mûre réflexion, elle décide d'offrir un espace à sa potentielle clientèle dans le quartier de Saïd Hamdine à Hydra. Souheila ne cache pas que son premier souhait était d'ouvrir une école de formation en Algérie. Un projet qu'elle met pour l'heure en veilleuse puisque la priorité est accordée à sa petite dernière qui est au collège. Cette brodeuse chevronnée aime travailler sur des tissus nobles qu'elle préfère acheter en France. Les broderies sont faites entièrement à la main, nécessitant des heures de labeur et de concentration. En témoignent le montage du corail reconstitué sur le tissu ou encore la fixation des perles sur un karakou ou un bedroun. Souheila aime bien plancher sur le caftan. Une tenue très prisée par la gent féminine. Elle tente d'innover en achetant elle-même au Maroc, des tissus qui sortent de l'ordinaire. Après avoir dessiné un seul modèle, elle le confie à une couturière marocaine qui excelle dans la sfifa (tissage à la main) au fil de soie. «Je fais toujours une seule pièce. Dans mon travail, j'aime bien voir des choses nouvelles. Mes caftants ne se ressemblent jamais», tient-elle à préciser. Souheila Haddad se définie comme une brodeuse de haute couture de part la riche formation reçue. Elle estime que l'Algérie est dépourvue d'une école spécialisée en Algérie. «Mon vœu est de ramener la technique du crocher Luneville en Algérie. Après avoir organisé un défilé de mode il y a quatre ans, Souheila Haddad voudrait en faire un second prochainement.» En attendant de recueillir les fonds nécessaires pour ce genre de manifestations, cette dame de la broderie continue son chemin. Un chemin auréolé de succès… et de talent.