Euphémisme inventé par Washington pour légitimer la politique de terre brûlée pratiquée en Mésopotamie. Le schéma semble assez simple : les chiites irakiens, 60% de la population, longtemps réprimés et marginalisés, ont choisi l'attitude du «wait and see» lors de l'invasion américano-britannique en 2003. Un choix implicitement défendu par la plus haute référence religieuse chiite irakienne, l'ayatollah Ali Sistani, d'origine iranienne. La récompense US a été une réintégration de la majorité chiite dans le jeu politique, avec un contrôle notamment des services de sécurité, du ministère de l'Intérieur et une majorité parlementaire sous l'autorité de la famille Al Hakim, longtemps exilée en Iran. Des groupes armés se disant sunnites se sont depuis jurés d'en finir avec les chiites, accusés de collaboration et avec l'occupant américain et avec Téhéran. Le problème politique de démocratisation et de fin de l'occupation s'est soudain transposé dans le giron confessionnel. Le pire venait d'arriver. Dernier développement de ce cycle entretenu de violence et d'amalgame, le message diffusé hier sur Internet par «l'émir» de l'Armée islamique en Irak (AII), un des principaux groupes de la guérilla dite sunnite du pays, où il a appelé les musulmans à «sauver Baghdad de l'occupation iranienne», estimant que l'Iran est pire que les Etats-Unis. Se dirige-t-on pour autant vers une guerre des religions pouvant embraser toute la région ? Pas sûr, affirment des analystes. Car au fond, comme a prévenu Sayyed Fadhlallah, chef spirituel du Hezbollah chiite libanais, le jeu américain se concentre sur l'exacerbation d'une discorde entre les musulmans chiites et sunnites, pour un double objectif : plonger l'Irak dans plus de chaos et maintenir l'Iran pas trop loin du tourbillon. Cela apparaît comme la nouvelle stratégie US qui cible l'atomisation des Etats-Nations arabes et musulmans au profit de l'hégémonie régionale du traditionnel allié israélien. Israël, ironie de l'histoire, pays construit à base de fondements théologiques. – Géographie chiite – Mais le discours des stratèges américains sur la peur de l'épanouissement d'un «arc chiite» au Moyen-Orient, afin de monter les Etats et monarchies arabes sunnites contre l'Iran, persane et chiite, rencontre une difficulté de taille. Représentant 10% des musulmans à travers le monde, les chiites, alliés en grande partie des Américains en Irak, ennemis jurés en Iran et au Liban, diverses par leurs implantations géographiques et leurs écoles de pensée, laïcisant au Pakistan et en Turquie, théocrates en Iran, ne constituent nullement une masse homogène. Même si leur dispersion démographique semble pertinente : la grande école chiite, les duodécimaux (El Ithnaâchria) représentent actuellement plus de 80% de la population iranienne, 60% en Irak. La répartition des chiites dans les autres pays de la région est comme suit : 30% au Liban, près de 50% au Koweït et dans les Emirats arabes unis, plus de 20% en Azerbaïdjan, en Afghanistan et au Pakistan, 66% au Bahrein, 10% en Syrie (les alaouites, au pouvoir). En Arabie Saoudite, les chiffres sont absents mais les chiites sont implantés dans les régions riches en pétrole, à l'Est du Royaume. Profondément attaché à la notion de justice et de lutte contre les «puissants» (al moustakbirin), le chiisme politique a subi l'influence du marxisme et des théoriciens de la libération anti-coloniale (Frantz Fanon à travers l'Iranien Ali Chariati). Une donne que les Américains tentent de présenter comme menace contre les monarchies du Golfe et certains pays arabes (que Washington appelle «sunnites modérés», une appellation grave de conséquences) qui voient d'un mauvais œil la montée en puissance de l'Iran. Dans ce pays, le défi des réformateurs dépasse les frontières de l'ancienne Perse : éviter un isolement croissant de l'Iran -la problématique du nucléaire est au cœur de ce problème- et insister sur l'unité du monde musulman face aux nouvelles menaces d'hégémonie américaine dans la région et dans le monde.