Documents à l'appui, les représentants du syndicat d'entreprise font ainsi état de quelques plusieurs centaines de chargements de tuf calcaire, de plus de dix tonnes chacun, que l'entrepreneur a prélevé sans qu'une «convention» ou «contrat écrit» ne soit légalement établi. Le SG de la section syndicale, Mustapha Benchabane, affirme que le «contrat» tel qu'il a été passé entre l'entrepreneur et l'assistant du DG du PZL, M. Menaceur, n'avait rien d'officiel. «C'est un contrat verbal qui portait au départ sur l'ouverture de pistes dans la forêt en prélevant du tuf en contre partie», indique-t-il. La proposition de l'entrepreneur va même au-delà de ce simple fait, en témoigne la lettre de l'entrepreneur du 12 octobre 2004, adressée à l'ex-directeur général du PZL, Djaou Nadjib. Dans celle-ci et avec force détails, l'entrepreneur fera part de ses «premiers contacts» pris avec les assistants du DG, lors d'une visite effectuée, mentionne-t-il, à «titre privé et familial» au parc. Lesquels contacts l'ont conduit à s'engager sur une offre de service portant sur la réalisation de «travaux de terrassement dans des terrains en tuf» contre enlèvement de ce dernier. Il évoquera également le «contrat» conclu avec M. Menaceur, portant sur la mise en place, à partir du 6 juillet 2004, de matériels de travaux publics (engins et camions…) pour intervenir notamment au niveau du Géo-Zoo et Barrage dans des «zones en tuf». «Or ces zones, fait-il observer au DG, ne contiennent que des déblais non sélectionnés (…)». La quantité de tuf prélevée à la suite de ces premiers travaux est, d'après l'entrepreneur, «dérisoire». «Elle ne dépasse pas les 2000 m2», écrit-il. Estimant que son entreprise accuse, de ce fait, un «manque à gagner», l'entrepreneur sollicitera le DG du parc de la Concorde civile – objet de la lettre – pour lui «affecter un site de tuf pour extraire une quantité minimum de 20 000 m3» nécessaire pour réaliser son projet d'aménagement du cimetière des Grands Vents. Il réclamera d'autre part dans sa correspondance, l'établissement d'une «convention écrite» pour éviter, prévoit-il, «tous risques potentiels administratifs». Des «risques» justement que la direction du parc a pris non sans trop mesurer les conséquences de l'opération, et encore moins les dispositions réglementaires (la loi minière) relatives à l'exploitation du tuf. Pour le directeur général du Parc zoologique et des loisirs, il est clair que l'objet du «contrat» n'était pas «d'extraire du tuf» mais de «réaliser des travaux d'assainissement» à certains endroits du parc. «Il faut savoir, dit-il, qu'il y avait une lagune de 2000 m3 environs sous l'hôtel Moncada et toutes les eaux usées y stagnaient (…) Il y avait une décharge publique, des tas d'immondices et tout ça a été nettoyé» et jamais, jure-t-il, il n'a été question de carrières d'extraction. «Si on était dans ce cas, on serait passé par l'ouverture officielle d'une carrière, sollicité l'autorisation des services des mines et payé les droits inhérents etc., mais ce n'est pas le cas», observe-t-il, précisant que Hoggar 1, désignée par ses détracteurs comme étant une carrière de tuf, n'est en réalité qu'une «piste» qui a été ouverte en 2002 pour «briser la propagation des incendies de forêt». Elle l'aurait été, constate le DG, après qu'elle ait subi un re-profilage, ce qui lui a «donné l'air d'une carrière !» M. Menaceur, l'assistant du DG, estime, quant à lui, que l'accord qu'il avait passé avec l'entrepreneur se résumait à la mise à disposition du parc d'un ensemble d'engins de travaux publics pour différents terrassements destinés à l'assainissement, à la préparation de nouvelles zones d'activité à l'aval Barrage et le Géo-Zoo et à l'ouverture de pistes de désenclavement. En contre partie, le parc «se devait d'autoriser l'entrepreneur à prélever une quantité maximale de 30 000 m3 de tuf sur les impacts traités en compensation des temps machine». «Le cas échéant, comme il l'indique lui-même dans son courrier au DG de juin 2005, procéder à l'aménagement de l'ancienne carrière dont les travaux présentent des excédents de déblais de tuf.» Jugeant, d'un autre côté, qu'au vu de la situation financière, le parc ne pouvait pas se permettre le «luxe» de passer un marché qui aurait «coûté excessivement cher» et «sans avoir les moyens de l'honorer». «Seul l'intérêt du parc avait conduit mes actes», répond M. Menaceur à ceux qui, dit-il, veulent sa peau . Le fameux «contrat moral» qui, reconnaît-il, n'a pas été «théorisé en la forme» a débouché sur des résultats jugés unanimement «positifs». Les opérations menées ont, d'après «le bras droit» de M. Djaou, grandement contribué à améliorer l'état du parc sur les plans sécuritaire, environnemental, etc. – L'argent du tuf – La quantité de tuf extraite du parc à la suite des opérations menées par l'entrepreneur varie d'un camp à un autre et aiguise bien des passions. Si certains membres du syndicat avancent le chiffre de 800 camions de plus de 10 tonnes de tuf, le directeur général, lui, estime que la quantité «troquée» ne dépasse pas les 3688 m3. «Ceux qui disent qu'il en avait davantage, n'ont qu'à apporter la preuve», brave-t-il. «Le nombre de camions chargés de tuf n'est que de 461», indique le DMP qui exhibe le registre où sont consignées, par les agents de sécurité, les entrées et sorties de camions affrétés par l'entrepreneur. Notons que «l'engagement» de la direction du parc pris vis-à-vis de l'entrepreneur portait sur un volume 10 fois plus grand : 30 000 m3. Un volume que l'entrepreneur n'a «absolument pas obtenu», selon les propres mots du DG, suite à l'arrêt des travaux. L'entrepreneur que nous n'avons pas pu approcher ni joindre sur son téléphone serait, d'après plusieurs sources, actuellement «incarcéré». Par ailleurs, ce qui est à relever, selon M. Djaou, n'est pas la «valeur marchande» du matériau qui «importe peu», mais plutôt la nature des travaux réalisés. «Par ce troc, nous lui avons donné l'équivalent de 400 000 DA de tuf et il nous a fait des travaux pour l'équivalent de 9 millions de dinars.» «8,8 millions de dinars plus exactement», rectifie Menaceur. Une somme qui représente, explique-t-il, l'addition des temps machines engagées par l'entrepreneur. La réclamation des 9 millions de dinars par l'entrepreneur n'a pas été honorée par le parc. Et pour cause : le contrat était clair d'après le premier responsable du parc. «Vous faites des travaux si vous trouvez du tuf, mais si vous ne trouvez pas, vous n'aurez pas un centime», explique M. Djaou. A première vue, l'entrepreneur ressemble, et à s'y méprendre au parfait dindon de la farce. Car comment expliquer le fait qu'il aurait engagé plus de 9 millions de dinars de travaux pour ne récolter en définitif que l'équivalent de 368 800 DA, payé en «nature» : soit avec du tuf (le calcul de Menaceur s'est basé sur un prix référence de 100 DA le mètre cube de tuf extrait et chargé). Autrement dit, l'entrepreneur a savamment troqué son cheval borgne contre un… aveugle. Si l'entrepreneur n'a pas été payé, c'est pour une toute autre raison, prétend le SG de la section syndicale. «C'est que la facture n'a pas été avalisée par le conseil de participation de l'entreprise, puisque le contrat lui-même n'a aucune assise juridique». Sur les mêmes sites indiqués par l'entrepreneur dans sa lettre, deux autres entreprises privées sont intervenues pour réaliser à la même période des travaux de terrassements et d'assainissement au niveau du Géo-Zoo et le Barrage. Les factures qui nous ont été transmises et qui ont été réglées par l'unité Géo-Zoo sont d'un montant global de 4,3 millions de dinars. Y a-t-il un quelconque parallèle à faire ? «Aucun», nous répond le directeur général. «Ces factures n'ont rien à voir avec les prestations de l'entrepreneur», tranche-t-il. Lesquelles prestations sont constatables sur sites, jurent les responsables du parc. Un avis que ne partagent pas les animateurs du syndicat. Là où l'entrepreneur serait intervenu pour des aménagements, les syndicalistes, eux, n'y voient qu'un «banal subterfuge». «Il n'a fait qu'ouvrir des pistes à travers la forêt», soutient Benchabane. «C'est juste un alibi», s'écrie Narrab Nourdine, responsable du service de la maintenance du parc et chargé de l'organique au syndicat. «Un alibi pour atteindre les emplacements de tuf». «Si ces travaux sont une réalité, pourquoi l'entrepreneur n'a pas insisté pour recouvrer ses 900 millions», s'interroge Hicham Ouafi, l'ancien comptable de l'entreprise. – Une vieille histoire – La «carrière» d'extraction de tuf, d'après ces derniers, est située au nord du Parc zoologique, non loin de l'entrée principale. Hoggar I est la plus imposante de toutes. L'emplacement garde, avons-nous constaté, les traces, encore fraîches, des niveleuses, bulldozers et des camions chargés de ce matériau. Les autres sites d'extraction sont dispatchés un peu partout à travers le parc comme c'est le cas à Tinès, le Barrage et même derrière le siège de la direction générale. La multiplication des sites d'extraction a complètement défiguré certains endroits du parc (superficie de 304 ha). Pourtant, et à voir de plus près, l'extraction de tuf au niveau du Parc zoologique et des loisirs de Ben Aknoun est loin de constituer un fait nouveau. La première affaire remonte au mois de février 2001. A l'époque où l'Entreprise nationale d'aménagement des réserves des parcs nationaux et de loisirs (Enarp) réalisait le Géo-Zoo. Après le départ de celle-ci, nous dit-on, des personnes entraient dans l'enceinte du parc pour prélever du tuf. La sécurité les aurait signalés et suite à quoi «un dépôt de plainte a été fait à l'encontre de l'Enarp». Celle-ci s'est défendue d'avoir «envoyé» ces individus, arguant le fait qu'ils ne faisaient même pas partie du personnel de l'entreprise. Les poursuites avaient été actionnées par l'ex-directeur du parc, M. Djouhri. Celui-ci, dans une lettre adressée au directeur de l'Enarp, datant de novembre 2001, affirme avoir surpris «personnellement» un engin de terrassement appartenant à cette entreprise, à l'intérieur du parc, en train de prélever du tuf. M. Djouhri exigera l'arrêt de l'extraction du travertin, qu'il considère préjudiciable à l'environnement «extrêmement fragile» qu'est celui du Parc et réclamera en sus le paiement des quantités prélevées. Les six personnes mises en cause dans ce «vol» ont écopé chacune d'un an de prison ferme et de 20 000 DA d'amende. Le plus surprenant dans cette première affaire est la durée sur laquelle s'est étalé le «vol», plusieurs mois durant, d'après certaines indiscrétions, sans que personne parmi les responsables du parc ne se rende compte. Le cabinet d'expert avait estimé, à l'époque, la quantité extraite «illicitement» à 34 000 m3 de tuf pour un montant de 2,3 milliards de centimes (le prix de référence du mètre cube était de 700 DA). L'affaire serait actuellement au niveau de la Cour suprême. – Les services des mines : les grands absents – Bien qu'investies par la loi minière (loi 01-10 du 03 juillet 2001) de la mission de réguler et régenter l'activité minière, l'Agence nationale du patrimoine minier et l'Agence nationale de la géologie et du contrôle minier (police des mines) ne se sont nullement manifestées pendant que s'organisaient l'extraction et la vente du tuf provenant du Parc zoologique de Ben Aknoun. La loi minière pourtant ne souffre pas l'ambiguïté : seule l'ANPM est habilitée à délivrer les titres et autorisations miniers, y compris la préparation des conventions et cahiers des charges accompagnant l'octroi de ces mêmes titres et autorisations (article 44 de la loi minière) Sollicités pour savoir si la procédure était respectée, les responsables de l'Agence n'ont pas souhaité s'exprimer, prétextant qu'il fallait d'abord obtenir une «autorisation» du ministère de l'Energie et des Mines. L'Agence nationale de la géologie et du contrôle minier, «la police des mines», nous rappelle, quant à elle, par l'intermédiaire d'un de ses ingénieurs, M. Azzroug en l'occurrence, que la richesse minière est et demeure, comme clairement stipulé dans les textes de loi, la propriété de l'Etat. Pour ce qui est du cas du PZL que nous lui avons exposé, il répondra qu'au moment des faits, l'ANGCM n'était pas encore mise en place. «L'agence est créée le 24 janvier 2005 et n'est devenue opérationnelle que vers le mois de juin», nous répondra l'ingénieur. Mais avant que ces deux instruments juridiques ne soient effectifs, c'étaient les walis et les services spécialisés du ministère qui avaient la charge de faire respecter les dispositions de la loi minière et délivraient les titres et autorisations miniers. Une protection dont le Parc zoologique et des loisirs de Ben Aknoun avait grandement besoin sans qu'il n'en soit bénéficiaire.