Le 21 avril en cours, la cinquième chambre du Conseil d'Etat rendra son verdict dans l'affaire opposant le magistrat Abdallah Haboul au ministre de la Justice et garde des Sceaux et à la présidente du Conseil d'Etat. Jamais depuis la fondation de l'Etat algérien, les plus hautes instances de la justice n'ont été ainsi appelées à s'expliquer au prétoire. Même les feux et les sirènes de l'élection présidentielle n'ont pu faire de l'ombre à l'affaire Haboul. Dans les chaumières de l'appareil judiciaire et les cercles décisionnels du pouvoir, le procès intenté par le magistrat constantinois est une première historique qui pourrait avoir l'effet d'un séisme en haut lieu. Les péripéties du procès et sa révélation à l'opinion publique ont ajouté à la complexité de l'affaire et incommodent de plus en plus la chancellerie qui accumule les erreurs, dont le dernier, et pas des moindres, l'interdiction aux journalistes d'accéder dans l'enceinte du Conseil d'Etat lors de l'audience du 31 mars dernier. Retour sur un scandale juridique. Le feuilleton a commencé en novembre 2006, quand le magistrat Abdallah Haboul saisit le Conseil d'Etat par un recours contre le ministre de la Justice, visant l'annulation d'une décision du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) en sa formation ordinaire, présidée par le président de la République, privant le magistrat de son droit à la promotion. Mais avant de rentrer dans les détails, il faut établir le contexte et rappeler qui est le magistrat en question. Abdallah Haboul était, en effet, président de la section syndicale de Constantine affiliée au SNM, avant que ce dernier ne subisse une opération de redressement en 2004. La section était à l'avant-garde du combat syndical pour défendre l'autonomie des juges et elle créait beaucoup de problèmes au pouvoir au moment où commençait la bataille pour l'élection présidentielle de 2004 entre Benflis et Bouteflika. L'enjeu était de taille et, comme beaucoup d'autres, les magistrats syndicalistes croyaient en un possible changement. On se souvient d'ailleurs du coup de théâtre de la section qui a conduit à la révocation des deux premiers responsables de la cour de Constantine en 2003. La révolution était en marche, devait-on rêver. La suite, on la connaît. L'évolution de la situation a eu pour conséquence davantage de concentration de pouvoirs et une inféodation de l'appareil judiciaire jamais égalée. Pour les autres, la douche écossaise sera suivie du début des représailles. Ainsi, les comptes des récalcitrants du SNM seront réglés l'un après l'autre. La section de Constantine sera dispersée par des mutations disciplinaires à peine voilées en contradiction avec le principe d'immunité des magistrats syndicalisés et Haboul en fera les frais le premier. Un silence Troublant Le ministre de la Justice réplique à l'action du magistrat en demandant au Conseil d'Etat de déclarer le recours irrecevable sur la forme, en se basant sur le fait que les décisions du CSM n'admettent pas un recours en annulation mais un pourvoi en cassation. Le ministre s'est basé pour cela sur une jurisprudence matérialisée par l'arrêt n°016886, rendu par les chambres réunies du Conseil d'Etat. La réponse souffre cependant l'absence de la date de publication de l'arrêt et, plus curieux, le ministre n'a pas produit de copie de l'arrêt, ce qui est pourtant obligatoire, faute de quoi l'argument est nul. Le magistrat plaignant va justement contre-attaquer en relevant ces deux vices, croyant que l'affaire est gagnée. En mars 2008, le Conseil d'Etat tranche dans l'affaire et rejette le recours dans la forme, adoptant ainsi la même position que le ministre de la Justice. Trois mois après, le magistrat revient à la charge en adressant une demande écrite au greffier du Conseil d'Etat lui demandant de lui délivrer une copie de la jurisprudence en question afin de l'utiliser dans le cadre de ce que permet la loi. Il n'aura aucune réponse. Toute la procédure, telle que relatée, se fait bien entendu par le biais d'un avocat, en l'occurrence maître Abdelhamid Rehioui, sachant qu'à ce niveau le justiciable ne peut s'adresser en son nom à la cour. Le silence du greffier oblige le plaignant à saisir la présidente du Conseil d'Etat, Mme Fella Henni, demandant son intervention pour avoir une copie de l'arrêt. Son initiative sera accueillie avec la même attitude. Un silence qui devient assez énigmatique, voire méprisant. La voie administrative étant épuisée, sans aucun effet, le magistrat décide en octobre de poursuivre en justice le président du Conseil d'Etat en introduisant une action en référé devant la chambre administrative près la cour d'Alger, toujours dans le but d'avoir une copie de l'arrêt. Avec une constance étonnante, la présidente du Conseil d'Etat observe le même silence. Le juge du tribunal saisi se déclare alors incompétent pour juger l'affaire, ce qui pousse le plaignant à aller tenter sa chance sur le propre terrain de son adversaire en interjetant appel devant le Conseil d'Etat. Grâce à l'action hardie du magistrat Haboul et pour que justice soit faite, le juge devient par conséquent partie, une première dans les annales de la justice algérienne. L'arbre qui cache la forêt Mardi 31 mars 2009. Siège du Conseil d'Etat à El Biar. Le greffier appelle l'affaire n°52663 opposant Abdallah Haboul au président du Conseil d'Etat. Me Mustapha Bouchachi, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH), est présent dans la salle en tant qu'observateur. Les journalistes, quant à eux, seront interdits d'accès en dépit du caractère public de l'audience. Ils ne seront même pas admis dans l'enceinte de l'institution, sur ordre du secrétaire général et du chef de cabinet de la présidente, leur ont déclaré les agents de sécurité, qui ont veillé à l'exécution de cet acte de violation des lois algériennes. Dans sa plaidoirie, l'avocat du plaignant tire de son cartable une copie de la Constitution algérienne et invoque l'article 152 : « Il est institué un Conseil d'Etat, organe régulateur de l'activité d'une juridiction administrative. La Cour suprême et le Conseil d'Etat assurent l'unification de la jurisprudence à travers le pays et veille au respect de la loi. » L'avocat avait-il besoin de donner une leçon élémentaire sur la Constitution au sanctuaire de la Constitution ? Il n'en aurait pas eu besoin si celle-ci n'était pas bafouée et ternie par des scandales en cascade, impliquant ses primo défenseurs. Me Rehioui enfonce le clou en rappelant la raison d'être du Conseil et ses missions, invoquant l'article 8 de la loi organique n°9801 du 30 mai 1998 relative aux compétences, à l'organisation et au fonctionnement du Conseil d'Etat qui stipule : « Le Conseil d'Etat publie ses décisions et œuvre à la publication de tous les commentaires et études juridiques. » Mais avant d'en arriver là, l'avocat tire de son cartable magique les 8 numéros de la revue publiée par le Conseil d'Etat en assurant au juge qu'il n'existe aucune trace du fameux arrêt. A ce moment, il en arrive à la conclusion en posant la question de savoir quel est le secret de cette jurisprudence. Que veut-on cacher au peuple au nom duquel la justice est rendue ? L'arrêt n°016886 serait-il une pure invention ou souffre-t-il d'un quelconque vice ? La plaidoirie de la défense une fois terminée, c'était au tour du représentant de la présidente du Conseil d'Etat de répondre, mais cette fois aussi, point de réponse, ce qui porte l'énigme à son paroxysme. En conséquence de l'incapacité du ministre et de la présidente du Conseil à fournir un arrêt sur lequel ils se sont basés pour juger, et le silence dans lequel cette dernière s'est murée malgré maintes sollicitations formulées dans les règles de la procédure, le procès Haboul a glissé d'un simple procès de promotion à celui de la justice algérienne au temps des réformes. S'agit-il d'une manipulation de la justice qui se retourne contre ses propres auteurs ? Y aura-t-il une surprise à l'issue de ce feuilleton historique ?