Bruxelles : De notre envoyé spécial Des diplomates, dans les coulisses de Charlemagne Building à Bruxelles, à deux pas du siège de la Commission européenne, n'ont pas oublié qu'Alger a traîné les pieds avant d'accepter de signer cet accord. Accord signé dans des conditions catastrophiques, sans aucune consultation des partenaires sociaux et de la société civile, et qui font que la production algérienne n'est plus protégée face à la concurrence européenne dans la mesure où les entreprises nationales n'ont pas été mises à niveau. La population, elle, attend toujours les «bienfaits» – promis par les autorités – de cet accord qui consacre le démantèlement tarifaire. Il comprend également un volet relatif aux droits humains, à la démocratie, à la réforme de la justice et à la modernisation des services publics. Un volet encore invisible dans la mise en application de l'accord même s'il est prévu d'entamer, dans le cadre du sous-comité «politique étrangère et sécurité», le dialogue sur les questions des droits de l'homme. Ce sous-comité fait partie des structures créées pour suivre l'application de l'accord et dont l'évaluation se fait à travers le conseil d'association qui se réunit chaque année. Des craintes sont exprimées quant à voir Alger se plier dans les mêmes conditions désastreuses de la signature de l'accord d'association et accepter l'offre européenne de politique de voisinage en mauvaise posture. «Fournisseur de gaz, matière stratégique, l'Algérie est en position de force. Elle peut négocier avec assurance le plan d'action de la PEV. Elle peut même imposer ses conditions», estime un économiste. Pourquoi ne le fait-elle pas ? «Il faut d'abord savoir si l'Algérie a une vision stratégique», répond-il. Alger demeure attaché au processus euroméditerranéen de Barcelone qui, depuis son lancement en 1995, n'a pas évolué à cause, entre autres, de la situation au Proche-Orient. M.Benattalah n'a pas expliqué le fondement stratégique de cet attachement sur, au moins, le plan politique. Aucun officiel algérien n'a expliqué pourquoi l'Algérie a salué, avec entrain, la proposition floue du président français Nicolas Sarkozy de créer une union méditerranéenne qui est une autre manière d'assassiner le processus de Barcelone. Contradiction ? Possible. Il reste qu'en matière de politique étrangère, il y a comme une navigation à vue qui trouble toutes les prévisions. Sans le dire, Alger refuse des conditionnalités liées au respect des libertés démocratiques et des droits humains. La Syrie, la Libye, la Biélorussie et l'Algérie sont les seuls pays réticents à l'égard de la PEV. «Un hasard ? Ces pays ne sont pas des modèles de démocratie», a remarqué, en coulisses, un participant à la conférence de Bruxelles. L'absence de contrepartie explique, semble-t-il, le refus algérien de souscrire à la démarche européenne. Alger, comme Tunis et Le Caire, soulignent la difficulté d'entrer dans le marché européen. Le ministre marocain des Finances, Fathallah Oualalou, a appelé, lors de la conférence, à l'ouverture de ce marché pour les produits et services du Sud. Les pays du Vieux continent sont soupçonnés de dresser des embûches sournoises devant ces marchandises. Les pays de la rive sud de la Méditerranée, membres tous de la Ligue arabe, n'arrivent toujours pas à parler d'une seule voix et défendre leurs intérêts. Le représentant de l'Egypte, qui s'est distingué en parlant en arabe lors de la conférence, a reproché à l'UE de ne pas fournir trop d'efforts pour le transfert de la technologie et pour aider les pays partenaires à développer la recherche scientifique (l'UE a mis en place un programme cadre de recherche et développement, PCRD). L'Egypte, selon José Manuel Barosso, président de la Commission européenne, qui a ouvert la conférence de Bruxelles, devra signer, à la fin 2007, un mémorandum d'entente avec l'UE sur l'énergie. Aux dernières estimations, les réserves prouvées de l'Egypte en pétrole sont de 2,6 milliards baril (28e rang mondial). L'Azerbaïdjan et les autres Barosso a dit avoir espoir de signer le même type d'accord avec l'Algérie pour bientôt. La difficulté qu'a Sonatrach à accéder au marché espagnol du gaz risque de retarder cette perspective. S'ajoutent à cela les craintes européennes nées du rapprochement entre la firme algérienne et le géant russe Gazprom (qui va ouvrir des bureaux à Alger). L'Algérie, la Russie et la Norvège sont les principaux fournisseurs du gaz au continent européen. L'UE a passé des accords avec l'Azerbaïdjan, producteur de pétrole en mer Caspienne, et avec l'Ukraine. L'Azerbaïdjan devrait connaître, selon les experts, un boom pétrolier, puisque la production dépassera 1 million de barils/jour dans deux ans. L'ouverture du pipeline Baku-Tbilisi-Jeyhan est perçue comme un bon signe. Situé dans une zone sensible, l'Azerbaïdjan, qui partage des frontières avec l'Iran et la Russie, s'est rapproché ces derniers temps des Etats-Unis qui lui ont proposé l'installation de stations radars sur la mer Caspienne. Une attitude qui déplaît à Moscou et qui a amené l'UE à joindre le pays à la PEV à la fin 2006. L'Azerbaïdjan vise clairement une adhésion à la zone euro-atlantique. Si la Turquie est membre de l'Otan, pourquoi pas l'Azerbaïdjan ! Pays voisin, l'Ukraine, qui partage avec Bakou le rapprochement avec Washington, a plus de chances d'adhérer à l'UE. La Grande-Bretagne et la Pologne ont été les principaux défenseurs de cette option à la conférence de Bruxelles. «Pour les pays qui envisagent une perspective plus large, la porte de l'adhésion à l'UE devrait rester ouverte», a relevé Jim Murph, ministre des Affaires européennes du Royaume-Uni. Les pays de l'Europe de l'Est concernés par la PEV, à l'image de la Biélorussie, de la Moldavie et de l'Ukraine, craignent n'avoir pas de place au sein de l'UE. Minsk ne voit pas la PEV comme «une bonne base» de coopération avec les voisins occidentaux. Faisant dans un rentable marketing diplomatique, le représentant de la Biélorussie a estimé que son pays, terre de transit du gaz russe, peut jouer un rôle dans la stabilisation énergétique de l'Europe. En dépit de la crise gazière de l'hiver 2006 avec le voisin russe (revue à la hausse des prix), Minsk demeure proche de Moscou. Selon un eurobaromètre de la Commission européenne sondant l'opinion, 49% des citoyens de l'UE considèrent que la Biélorussie est un voisin, autant que la Russie et l'Ukraine. Anna Fotyga, ministre polonaise des Affaires étrangères, a plaidé pour une adhésion de l'Ukraine et de la Moldavie à l'UE mais s'est gardée de dire quoi que ce soit sur la Biélorussie avec qui pourtant son pays partage 600 km de frontières ! Résultat des courses : il ne suffit pas d'être présent physiquement dans le continent pour faire partie de l'Union européenne. Personne n'a expliqué à Bruxelles les raisons de l'exclusion manifeste de la politique de voisinage de l'Albanie, de la Croatie et de la Macédoine. Ni pourquoi l'Irak, qui est autant loin de l'Europe que l'Azerbaïdjan, n'est pas concerné par cette politique, alors que son voisin syrien l'est. A l'avenir, si la Turquie adhère à l'UE, l'Irak aura bel et bien des frontières avec l'Europe ! Il en sera de même pour l'Iran, situé au sud de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie. «L'UE a aujourd'hui une peur bleue de tout nouvel élargissement. Des pays géographiquement et culturellement éloignés de l'Ukraine à la Géorgie se sont retrouvés coincés dans cette même politique, rebaptisée PEV. Ce n'est pas cohérent. Des pays tels que l'Ukraine ont besoin de la perspective d'une éventuelle adhésion, même si distante dans le temps, ne serait-ce que pour motiver des réformes», estime le journal britannique Financial Times. C'est donc à la tête du client. L'idée des «valeurs européennes» que défend la droite française et allemande, comme préalable à l'adhésion à l'UE, est fausse. Puisque l'habitant de Minsk est autant européen que celui de Lisbonne ou de Dublin. Plus au Sud, Israël adhère entièrement à la PEV. Son représentant à la conférence a fait un plaidoyer pour les énergies renouvelables et surtout de l'énergie solaire estimant que son pays est leader mondial en matière de technologie photovoltaïque. Investissements faibles Tourner la page des énergies traditionnelles est possible, selon lui. «Nous pouvons travailler avec la Jordanie et l'Arabie Saoudite pour développer l'énergie solaire», a-t-il dit. Couper l'électricité à la population, celle de Ghaza notamment, est considéré par le représentant des territoires palestiniens comme une grave violation du droit international. Il a estimé que le mur,bâti par les Israéliens a bloqué l'économie palestinienne et entravé l'accès aux terres agricoles. «L'investissement européen dans la rive sud de la Méditerranée est faible», constate une diplomate jordanienne. Le représentant de la Tunisie a, lui, étonné les présents à la conférence en parlant du respect des droits de l'homme et du pluralisme par le régime de Zine El Abidine Ben Ali, soulignant ainsi le caractère délicat de la PEV dont l'un des objectifs est le renforcement de la démocratie et de la bonne gouvernance. Dictature et démocratie peuvent-elles avoir des balcons communs ? C'est probablement pour cette raison que José Manuel Barosso a mis l'accent sur le principe de «la différenciation» dans la politique de voisinage avec les pays partenaires qui prend en charge les «spécificités» de chaque Etat. L'idée de la «spécificité» avait, dans un passé récent, justifié des violations massives des droits humains dans la rive sud de la Méditerranée. Si Luis Amado, ministre portugais, a appelé à une certaine «flexibilité» dans la mise en application, Günter Gloser, ministre allemand des Affaires européennes, a, lui, prévenu contre l'amalgame «différenciation-discrimination».