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Des architectes algériens sceptiques
Publié dans El Watan le 23 - 10 - 2007

Un dessein mal dessiné, pour reprendre la formule géniale d'un brillant architecte de chez nous. Ce gigantesque monument, qui devrait donner une âme culturelle, philosophique, religieuse et bien sûr architecturale à la baie d'Alger, est au centre d'une grosse polémique.
La somme mirobolante de 3 milliards de dollars qu'engloutirait ce projet est sans commune mesure avec l'importance de l'ouvrage, dénoncent les architectes. Cette immense infrastructure qui fait saliver les grandes signatures de l'architecture moderne du fait qu'il est localisé dans la belle baie d'Alger est mise sur le marché comme un modeste ouvrage dans lequel l'amateurisme et l'approximation font loi. Gros plan sur les sous et les dessous de la grande mosquée d'Alger.
Au commencement était la parole… Celle de Bouteflika qui voulait immortaliser son passage à la tête du pays par l'érection de la 3e plus grande mosquée au monde au cœur de la capitale. L'idée fait presque l'unanimité pour une ville qui commence à se lasser de son Maqam chahid (sanctuaire des martyrs) de l'ex-président Chadli. Mais les 3 milliards de dollars annoncés pour sa construction donnent le vertige à beaucoup d'Algériens. De l'autre côté, cette sacrée cagnotte fait tourner la tête aux constructeurs. Les spécialistes s'attendaient à une ruée vers Alger des grands architectes du monde pour inscrire leurs noms dans la postérité grâce à un tel ouvrage phénoménal.
Mais première mauvaise surprise : seuls 17 offres sont parvenues au bureau de l'Agence nationale de la réalisation de la grande mosquée d'Alger (ANRGMA), suite à la consultation internationale lancée. Pour les architectes, ce résultat est un très mauvais départ.
Pour cause, un petit concours pour un opéra à Paris et le simple aménagement d'une cour du musée du Louvre ont suscité plusieurs centaines de réponses dont les plus grandes signatures de l'architecture contemporaine !
Pourtant, Alger et sa baie sont réputées historiquement pour être le terreau d'inspiration et de créativité des grandes signatures. Buchenal y a inventé l'architecture néo-mauresque et Le Corbusier y a bâti une théorie d'urbanisme dans les années 1930, Roland Simounet a revisité La Casbah et l'architecture vernaculaire, alors qu'Oscar Niemeyer y a proposé de «révolutionner la révolution». Mohamed Larbi Merhoum, Prix du président de la République 1999 et Prix national d'architecture 2004, et son collègue Mohamed Abdelhalim Faidi, 1er prix Tony Garnier – Paris 1990 et médaillé de l'Académie française d'architecture 1er prix Constructique – Paris 1993, ont gros sur le cœur de voir ce joyau au budget démesuré aussi mal parti. Ils constatent d'abord que cet imposant monument mérite bien plus que les… 3 pages du cahier des charges préparé. A titre de comparaison, la réalisation d'un CHU a nécessité 5 classeurs de paperasse chez un pays voisin !
Ce texte devant codifier et détailler toutes les facettes du projet ne précise même pas quelle est la vocation et la nature de cette mosquée que l'Algérie voudrait construire. Les architectes l'appellent «le texte fondateur». C'est en fait la dimension culturelle, civilisationnelle et architecturale dans laquelle devrait s'insérer cette mosquée pour lui donner une identité algérienne.
«Il faut préciser le contenu avant que les architectes n'imaginent le contenant. C'est de l'adéquation entre le fond et la forme que naîtra l'idée du génie», explique doctement Larbi Merhoum. La grande mosquée d'Alger est donc inclassable si l'on se fie au cahier des charges puisqu'elle n'est nullement définie. Elle devrait, donc, fatalement, épouser n'importe quelle forme d'Islam (salafiste, ibadite, hanbalite…) puisque son identité est résumée dans la formule «passe-partout» de synthèse entre l'authenticité et la modernité.
Ceci pour les fondements culturels de cette mosquée. S'agissant du management du projet, les concepteurs n'ont pas jugé utile d'adosser leur démarche aux standards internationaux. Ainsi, alors que les concours internationaux d'architecture et d'urbanisme ont été codifiés par la conférence générale de l'Organisation des Nations unies en sa neuvième session à New Delhi, le 5 décembre 1956 – article II, l'ANRGMA est passée outre cette procédure en l'adaptant aux «normes maison».
En effet, un assistant à maîtrise d'ouvrage (conseil du client) d'envergure internationale a été certes sélectionné pour permettre la mise en place d'instruments méthodologiques modernes et garantir le succès du projet. Le Canadien Dessau Soprin devait apporter son savoir-faire au client pour une prise en charge sérieuse de l'opération par des professionnels expérimentés. Mais ce spécialiste a été vite mis à l'écart par l'établissement public chargé de manager le projet. L'ANRGMA en l'occurrence a fait le choix de ne pas inviter son assistant canadien payé pour cela, préférant avoir recours aux moyens du bord voire au système D en s'occupant elle-même et par ses propres moyens de la consultation, du mode de concours, du cahier des charges, de la procédure de consultation, des critères de sélection et de l'analyse des offres !
«Nous avons été exclus !»
L'appréciation de nos architectes qui ont pris sur eux de dénoncer cette «incroyable forfaiture» est sans appel : «La consultation n'est ni un concours d'idées ni une consultation restreinte. Elle ne correspond à aucun texte de loi et le cahier des charges tient en quelques pages hors formulaires et contrats-types.» Larbi Merhoum et Mohamed Abdelhalim relèvent point par point les incohérences et les irrégularités ayant jalonné le processus de mise en chantier de la mosquée. A commencer par le jury de 45 personnalités qui a été désigné et dont les maîtres d'œuvre (architectes inscrits et ayant des références construites) se comptent sur les doigts d'une seule main. Le comble est que même l'assistant à maîtrise d'ouvrage retenu (Dessau Soprin) ne figure pas parmi le jury, malgré ses compétences techniques. Aussi, la capacité financière démesurée (80 millions de dinars) imposée aux architectes concurrents comme premier critère de sélection a éliminé ipso facto les nationaux qui, même réunis, ne pourront jamais rassembler un tel pactole. Ils précisent que la mission qui sera confiée demain (le Président devrait choisir le bureau d'études parmi les 17 offres) au lauréat est «réduite au dépôt d'un permis de construire». L'entreprise de réalisation retenue, elle, achèvera plus tard les études à «sa convenance et sans l'architecte». Cette façon de faire dans un marché aussi juteux et coûteux a fait réagir l'Ordre national des architectes algériens. Mais sa protestation «officielle» et «publique» s'est apparemment perdue dans le bruit ambiant autour de l'enveloppe de trois milliards de dollars extensible à souhait.
Les architectes nationaux dénoncent le fait que le débat et la compétition sur ce projet se soient déroulés «à huis clos».
La nuit du doute
Le président de la République devra, si tout va bien, désigner demain le bureau d'études lauréat du concours d'architecture à qui reviendra l'immense privilège de dessiner la grande mosquée d'Alger. Mais rien ne dit que Bouteflika va trancher.
Pour cause, des sources proches du dossier confient que le Président serait profondément déçu par les 17 modestes maquettes qui lui ont été présentées. La preuve ? Alors qu'il devait choisir le bureau d'études à l'occasion du 27e jour du Ramadan (leïlat al qadr), le président de la République a annulé l'opération en dernière minute.
Il aurait même demandé à certains de ses ministres de lui préparer des rapports pour l'aider à faire son choix. Malgré les explications fournies par la commission de sélection des offres qui en a retenu 5 parmi les 17, à force de dessins et de CD Rom, Bouteflika n'a pas été convaincu. Le président va-t-il ordonner la reprise à zéro de l'opération pour davantage de transparence ? Réponse aujourd'hui.


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