En effet, si le boom pétrolier a permis, derechef, de soutenir une croissance économique à 5%, de baisser le taux de chômage (de 28% en 1999 à 15% officiellement en 2006), de réduire le poids de la dette extérieure (à 4,3% du PIB à fin 2006) et d'augmenter les réserves officielles de change à 90 milliards de dollars, il a échoué en revanche à enrayer les persistantes contre-performances de l'économie algérienne. Les indicateurs sont éloquents. Le niveau de production de l'industrie manufacturière arrive, pour reprendre les chiffres du professeur Ahmed Bouyacoub, à peine à 60% de son niveau de 1989. La croissance du secteur public industriel manufacturier enregistre depuis ces quinze dernières années une baisse continue (-2,3% en 2004, -2,8% en 2005). La productivité : l'économie algérienne, dans un classement établi par la Banque mondiale sur la base du taux de productivité par pays, arrive à la 85e place sur 93 économies étudiées, en dépit d'un taux élevé d'investissement (32% de son PIB), loin derrière la Tunisie, classée au 15e rang mondial, Israël au 19e et l'Egypte au 40e. L'indicateur du développement humain est un révélateur pertinent ; l'indice du PNUD (fondé pour l'essentiel sur la base des travaux d'Amartya Sen) fait intervenir le PIB par habitant, l'espérance de vie, l'alphabétisation des adultes et la scolarisation du primaire au supérieur : l'Algérie arrive dans le classement établi par l'organisation onusienne en 2006 à la 102e place sur 173 pays — derrière les Territoires palestiniens occupés ! La gouvernance : l'Algérie obtient sur cet indice — mesuré par la «la qualité de l'administration» — une valeur de 38 sur 100, nettement en dessous de la moyenne de la région du Moyen-Orient Afrique du Nord qui n'est pourtant que de 49 (Banque mondiale, 2006). L'IDE: si l'investissement direct étranger réalisé en Algérie a enregistré, en 2005, un peu plus de 1 milliard de dollars, les bénéfices rapatriés la même année par les sociétés pétrolières étrangères — qui, soi-dit en passant, contrôlent 53% de la ‘production' du pétrole, 18% de celle du gaz et 25% de celle du GPL — ont atteint, eux, 4,7 milliards de dollars. La corruption : le rapport 2007 de Transparency International classe l'Algérie à la 99e place sur 179 avec un indice de perception de 3 sur 10 (plus la valeur s'approche de 0, plus il y a de la corruption). La pauvreté : plus de cinq millions d'Algériens, soit 15% de la population algérienne, vivent en dessous du seuil de pauvreté. Arrêtons-nous là. Le phénomène, subsumé par les politologues sous le vocable de «paradox of plenty»1 (paradoxe d'abondance), est d'autant plus alarmant qu'il procède d'un effet à la fois structurel et structurant : tandis que la «richesse» financière thésaurisée par le gouvernement provient pour l'essentiel de l'exportation de ressources naturelles non renouvelables, la dépendance rentière vis-à-vis du pétrole et du gaz empêche dans le même temps la diversification de l'économie. La boucle est bouclée. L'Algérie n'est pas la seule à éprouver ce phénomène. L'Arabie Saoudite, parangon s'il en est de l'Etat pétrolier, a vu décroître son PIB per capita de 28.600 $ en 1981 à 6.800 $ en 2001. Cette régression est aussi manifeste dans d'autres pays en développement exportateurs de pétrole et de gaz : Iran, Irak, Libye, Congo, Pérou. Au Nigeria comme au Venezuela, la faillite du modèle de développement a fait plonger le revenu réel par habitant à des niveaux inférieurs à ceux d'avant la découverte de l'«or noir» ! Bref, tous les pays ou peu s'en faut qui ont basé leur développement sur l'exportation du pétrole subissent de plein fouet cette situation à laquelle les économistes ont donné un nom : la «malédiction des ressources naturelles» («Natural Resouce Curse»)2. Le constat, désormais robuste empiriquement, devrait, par soi-seul, susciter un électrochoc : les Etats qui dépendent des exportations des hydrocarbures comptent parmi les pays qui connaissent nolens volens des économies instables, de hauts niveaux de corruption, de pauvreté et d'inégalités sociales, de mauvais indicateurs de santé publique, des régimes autoritaires résilients et, last but not least, des niveaux élevés de violence politique… La «malédiction» n'est pas inévitable comme le montre le contre-exemple norvégien. Celui-ci a cependant un prix : la mise en place des règles du gouvernement représentatif (transparence, accountability, participation démocratique). Or celles-ci sont peu ou pas compatibles avec les normes qui gouvernent la collectivité politique en Algérie. Faut-il toucher, derechef, le fond… du baril, comme en 1988, pour entreprendre les réformes ? – 1- Terry Lynn Karl, The Paradox of Plenty : Oil Boom and Petro-State, Berkley, University of California Press, 1997. L'ouvrage — qui a été salué et primé — est une analyse comparée de plusieurs Etats rentiers dont l'Algérie.2- Jeffrey Sachs, Andrew Warner, «Natural Ressources and Development. The Curse of Natural Ressource», European Economic Review, n°45, 2001.