Il a cette capacité heureuse de rendre par l'image dans une temporalité très réduite des émotions intenses et des dénouements très originaux. L'originalité des démarches est aussi un signe distinctif des courts métrages. Ainsi apparaît le film réalisé par le cinéaste d'origine chilienne, Felipe Canalès, en collaboration avec la photographe franco-algérienne, Farida Hamak et intitulé : Ma mère, histoire d'une immigration . Durant les quinze minutes que dure le film, le spectateur feuillette, avec l'objectif de la caméra, l'album familial de Farida Hamak. Sur un plan fixe, défile une série de photos en noir et blanc. L'album qui est donné à voir par la photographe est un grand moment de partage et de générosité. On est loin du voyeurisme où la caméra fait une incursion mal venue dans la vie privée des gens. Ainsi au fil des images, on chemine avec cette famille algérienne, qui vient de Kabylie dans les premières années de l'indépendance pour s'établir dans la région parisienne. Chaque photographie sur laquelle coulisse le regard du spectateur raconte à elle seule un pan de cette histoire faite d'errance et de difficultés à s'enraciner dans une France réfractaire à assumer son passé colonial. Aux enfants, nés pour une partie d'entre eux en Algérie, se sont ajoutés d'autres, nés dans l'exil, qui disent les tiraillements qui les habitent, car partagés entre une culture ancestrale omniprésente et celle véhiculée par l'école et la rue du pays d'accueil. D'ailleurs, la narratrice du film dit à un certain moment : «Dehors, je vivais en France et à la maison, je vivais en Algérie.» La mère qui avait une forte personnalité, agissait en véritable gardienne des valeurs et des traditions et ne permettait à sa progéniture aucun écart de conduite par rapport au legs ancestral. L'album évoque les trajectoires des filles de cette famille qui ont grandi en faisant des choix de vie différents de ceux attendus par la maman. Ces conduites, en porte-à-faux avec les traditions, ont causé des ruptures déchirantes dans la famille. Mais, grâce au métier de photographe de la narratrice et son désir d'entretenir la mémoire par l'image, elle a pu se réconcilier avec sa mère. Cette dernière a reconnu que la photographie, en captant les moments de vie d'une famille, perpétue la mémoire d'ici et de là bas, en faisant le lien entre les générations. Ce formidable petit film est l'adaptation cinématographique du livre éponyme publié en 2005 par Farida Hamak aux éditions Inas (Alger) et Maisonneuve Larose (Paris). Lors de la dernière édition du festival Cinemed (cinéma méditerranéen) de Montpellier, la projection de ce court métrage devant un public de connaisseurs a retenu l'attention par son originalité et le support utilisé pour en faire une petite œuvre qui se déguste sans modération.